Il est 22 heures, un jour de semaine. “Dring, dring, dring…”, le téléphone sonne, mêlant vibration et sonnerie stridente pour m’extirper d’un sommeil profond, résultat d’une accumulation de fatigue de plusieurs semaines : “Bonsoir ma chérie, c’est tata Zoulikha. Je te rappelle que ce samedi, c’est le mariage de ta cousine Ghita, à Fès. Ça va être grandiose ! Le mari est un ould nass, fils d’une grande famille, les Benjelloun, qui n’a pas lésiné sur les moyens. Je compte sur toi, hein ? Et puis, tu devrais y penser tu sais bien, c’est dans ce genre d’événements que tu trouveras ton futur mari. Il faut que tu sois tirée à quatre épingles, tu mets ta plus belle takchita. Je passerai te chercher en voiture”.
Encore plongée dans les bras de Morphée, les mirettes collées et l’esprit vaseux, ma réponse n’a pas tardé à se faire entendre. “Tu sais bien que je n’aime pas les mariages. Mon dernier date des années bissextiles, je jouais encore à la poupée. Désolée, je ne suis pas très motivée pour ce genre de festivités qui m’ennuient au plus haut point. De plus, je n’ai jamais eu de takchita! En revanche, si je peux m’y rendre en jean et baskets, je pourrais éventuellement l’envisager …”, lui lançais-je sur un ton narquois.
“Wili wili wili, tu n’y penses pas ! Baraka man lbahlane. Je vais te prêter une takchita. Je passe te chercher ce samedi à 9 heures pétantes, on a de la route à faire. Je le prendrais très mal si tu ne venais pas, d’autant que c’est ma dernière petite fille qui s’apprête à convoler en justes noces. Allez, je dois y aller, ton oncle est en train de pester en attendant son dessert. Bonne soirée. Je t’embrasse.” Biiip biiip biiip… Je n’ai pas le temps de rétorquer quoi que ce soit que tata Zoulikha a déjà raccroché.
Le jour J, je fais l’effort de m’y rendre car malgré son côté “fassiste pacifique”, je ne peux rien lui refuser. Les festivités battent leur plein et comme imposé par le protocole, je suis sur mon 31. “Ma chérie, tu es venue, c’est un miracle ! Écoute, je viens de repérer le cousin du futur époux. Il doit avoir 45 ans et j’ai entendu dire qu’il n’a jamais été marié. Tiens, regarde, il est là, tu le vois ? Pas mal non ?”, me lance une cousine. “Il est moche et bedonnant, lui lançais-je. Je ne veux pas me marier ! Et puis, j’ai jamais osé vous en parler, mais je préfère les femmes” ajoutais-je sur le même ton pour enfoncer le clou. La soirée s’achève et mon cauchemar aussi. Je fais le serment de ne jamais renouveler l’expérience. La course au “mari à tout prix” n’a jamais fait partie de mes priorités ; difficile à comprendre pour la “matchmaker family”…
3 mois plus tard…
Ramadan est passé et après quelques semaines de jeûne léthargique ou ma panse a crié “famiiineee !”, je décide de prendre mon baluchon et d’aller croquer la grosse pomme. Direction New York, pour aller souffler chez l’oncle Sam, histoire de me remplir le ventre de quelques boustifailles et victuailles bien charnues afin de rattraper le temps perdu. Sac à dos, iPad dans la poche, écouteurs boulonnés aux oreilles et Nike vissées aux panards, je déambule dans les rues, un brin nostalgique au souvenir de mon année passée ici cinq ans auparavant…
En route pour mon fast-food préféré dans le but de m’enfiler mon quatrième burger de la semaine, je tombe sur une grosse coupole qui ressemble étrangement à un bâtiment familier : une mosquée. Un lieu dont je ne suis pas une fervente adepte, mais qui attise ma curiosité au vu de son emplacement en plein centre de Manhattan. Je pousse les portes et décide d’y jeter un coup d’œil. Je me retrouve nez à nez avec une jeune femme, la trentaine, visage de porcelaine, sourire accroché au visage et voile noir sur la tête : “Bonjour, comment allez-vous? Je viens du Maroc, serait-il possible de visiter ?”, lui lançais-je dans la langue de Shakespeare. “Mrahba, mrahba!
Bienvenue à la mosquée de New York, je suis marocaine aussi, de Tanger. Ça fait plaisiiiiiir!”, me dit-elle en darija sur un ton très accueillant tout en me prenant par le bras pour me diriger vers son bureau. Installée confortablement dans son rocking-chair, ma nouvelle copine me tire les vers du nez. “Alors, t’as quel âge ? Mariée ?”, poursuit-elle tout en me faisant un léger clin d’œil. “J’ai 35 ans, et non, je ne suis pas mariée”. Ma réponse fait l’effet d’une bombe. Son visage se ferme, elle jette son sourire aux oubliettes pour se parer de la mine de quelqu’un à qui on vient d’annoncer ma mort certaine dans quelques mois, suite à une longue maladie incurable. “Oh meskina, c’est tellement triste, une fille aussi jolie que toi.
Mais le Tout Puissant te réserve un homme très bon, très pieux, j’en suis sûre. Je vais t’aider, ne t’inquiètes pas. Dieu t’a amenée jusqu’à nous, c’est déjà ça”. Je reste aphone, quelque peu sonnée par sa réaction inattendue. Je n’ai de toute façon pas le temps de répondre que ma nouvelle agence matrimoniale sur pattes me chope le bras pour m’embarquer dans le bureau d’une collègue : “Viens, je vais te présenter Taqwa, c’est une Américaine qui s’est convertie à l’islam”. Prise de court, je me fais déposer comme un vulgaire paquet dans une chaise en face du bureau de mon nouvel ange sauveur d’un célibat éternel. “Bonjour ma sœur, je suis Taqwa, ravie de te rencontrer. J’ai entendu votre discussion dans le bureau d’à côté, je pense avoir la solution à ton problème. J’ai une base de contacts d’hommes musulmans charmants que je peux te présenter. Nous allons remplir une fiche ensemble pour t’introduire dans notre réseau, tu trouveras ainsi un mari”, me dit-elle avec entrain. Mon esprit n’a pas le temps de se remettre en marche que Taqwa commence son interrogatoire. “Nom, prénom, âge, profession, genre idéal : taille, origine ethnique…” Ce dernier élément provoque en moi un électrochoc et me tire de mon état comateux.
Je décide enfin de réagir: “En ce qui concerne l’origine ethnique, je souhaiterais qu’il ait les yeux bleus”, dis-je, le regard rieur. Ma marieuse reste interloquée face à ma doléance, dont elle n’a certainement pas l’habitude. “Nous allons faire notre maximum pour répondre à ta demande”, dit-elle en bégayant, désappointée par mon étrange attirance pour une couleur d’iris peu commune. Mon interrogatoire arrive enfin à terme, et par la même occasion, mon calvaire aussi. Mes deux nouvelles amies pour la vie me serrent fort dans leurs bras en me souhaitant le meilleur pour la suite, et en me promettant qu’elles feront tout ce qu’elles peuvent pour trouver chaussure à mon pied. Je reprends ma route pour ma visite new-yorkaise en évitant désormais les lieux de culte, sait-on jamais…
Je m’appelle Shaynaz, 35 piges, mais à vrai dire, j’ai toujours l’impression de ne rien avoir pigé… Comme vous, j’ai des diplômes censés m’ouvrir des portes. De plus, j’ai au compteur une presque-vie de 13 ans à l’étranger… Récit de mon retour au bled et des histoires fantasques dans mon Maroc natal. |
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