FDM : Fille d’une grande vedette de la chanson, est-ce déjà un premier pas vers une carrière artistique ?
Meriem Belkhayat : Sans doute. Comme dans ma famille les gens ont toujours vécu de la création, je n’ai jamais porté l’angoisse des lendemains difficiles. Mais c’est plutôt ma mère, styliste depuis trente ans, qui est à l’origine de ma vocation vu que j’ai baigné très tôt dans les chiffons et la couture. Même si elle a essayé de me dissuader, sans succès, d’emprunter cette voie ! (Rires). Une fois mon diplôme obtenu à Al Akhawayne, j’ai donc bifurqué naturellement vers mes premières amours…
Comment perceviez-vous Caftan avant de le vivre ? Challenge éreintant ? Passeport professionnel ? Concours difficile avec présélections draconiennes ?
Tout à la fois. J’avais déjà affronté, en 2007, l’épreuve des présélections sans être retenue ; et je ne l’avais pas très bien
vécu en post. Néanmoins, avec le recul, cette étape a été très formatrice dans mes débuts de styliste. En dépit de la charge de travail immense que représente la réalisation d’une collection complexe en un temps record, Caftan est pour moi l’événement annuel de mode orientale. Y participer permet de marquer sa présence à l’échelle nationale et internationale et d’aspirer à une reconnaissance professionnelle.
Le thème « Vogue Zaman » est chargé d’histoire tout en étant tourné résolument vers la modernité. Au niveau de la construction de votre collection, comment avez-vous nagé dans ces eaux contradictoires ?
Le Zaman a tout de suite fait remonter en moi le souvenir de ma grand-mère, neggafa dans les années 45-50… Je me suis empressée d’aller fourrer ma tête dans les cartons pour retrouver ses photos et celles des mariages qu’elle animait. Pour fixer ma collection dans ce passé-là, j’ai réalisé des caftans cintrés à l’ancienne avec des fentes sur les côtés, des manches trois-quarts étroites et des gants tatoo, en forme de oucham. A l’époque, les femmes mettaient aussi des tabliers sur leurs habits à la maison, pour ne pas les salir ; j’ai donc repris ce concept au niveau de mes jupes mini, brodées (au-dessus du genou) que j’ai faites glisser, a contrario, sous la pièce principale. La touche moderne est apportée par la coupe qui s’évase progressivement, l’adoption de manches épaulettes au niveau de certaines tenues et quelques ceintures en cuir…
Une thématique imposée et parfois surprenante crée-t-elle chez un styliste une limitation et une difficulté à y adapter son propre style ou, à l’inverse, lui ouvre-t-elle les horizons d’une créativité débridée ?
C’est un accès à d’autres perspectives enrichissantes. Voyez les créateurs internationaux : ils s’inventent euxmêmes des thématiques, mixent des modes passées ou des influences issues d’autres cultures. Alors que, nous, Marocains, on reste souvent assez timides et on ne creuse pas assez le terreau des idées. S’il n’y avait pas Caftan, l’événement avec son effervescence créative, toute cette recherche autour du vêtement n’existerait sans doute pas !
Quelles sont vos sources d’inspiration pour créer ?
Les tableaux orientalistes, et, notamment, les oeuvres d’un peintre algérien qui me fascine : Houssine Ziani ; j’ai d’ailleurs intitulé ma collection “La cerise du paon”, du nom d’une de ses peintures. Reste donc toujours présent à mon esprit ce style turc de vêtements (gilets, sérouals, broderies), même si je ne l’exploite pas forcément dans mes
“ÊTRE STYLISTE N’EST PAS UN MÉTIER ACADÉMIQUE ET CONVENU; CELA NÉCESSITE UNE TOUCHE DE FOLIE !”
créations. Et puis, il y a aussi la source intarissable des créateurs internationaux : Georges Hobaika, Valentino, Moschino, Gaultier. Ils sont toujours en avance d’une tendance ou d’une coupe. Merci en passant à Fashion T.V qui médiatise les défilés haute couture ! (Rires)
C’est quoi votre révolution arabe à vous du caftan ? La Meriem Belkhayat touch qui vous caractérise ?
Pailletages et broderies sur des tissus de préférence unis, qui sont comme une toile blanche sur laquelle je dessine et façonne au gré de mes envies. Pour les motifs des broderies, il n’y a pas de limites non plus à mon imagination : je peux reprendre le dessin du verre à thé, comme une bague Boucheron en forme de paon (reproduit sur le dos d’une de mes tenues). Pour les coupes, je m’inspire des détails haute couture des créateurs internationaux ; surtout pas des stylistes locaux, évidemment, pour ne jamais copier mes pairs, même de manière inconsciente et involontaire !
Faut-il, nécessairement, être un peu artistedans l’âme pour réussir dans ce métier ?
C’est-à-dire que la technique ne suffit pas…Autodidacte, je n’ai jamais fait d’école de stylisme mais j’ai mon prof avec moi, à demeure : ma mère qui m’apprend les techniques de coupe et le modélisme. Mais je reste persuadée que, s’il y a des choses qui s’enseignent dans les écoles, lorsqu’on n’a pas une perception artistique, un sens du détail, une imagination possible dans “le comment habiller une femme”, on atteint vite ses limites. Il ne s’agit pas d’un métier académique et convenu ; il nécessite une touche de folie…
Bilan santé de Jeune Talent et poussées d’adrénaline successives sur l’ensemble du process…
Le jour de l’annonce des résultats des présélections, j’ai reçu un choc. Dont je ne me suis remise que dix jours plus tard (rires) ; pendant tout ce laps de temps, j’étais comme ailleurs, en mode stand by, incapable de débuter ma collection ! Par la suite, il y a eu quelques engueulades de mes pauvres couturiers, des pics de stress aboutissant parfois au démontage de certaines tenues… Puis une zénitude progressive m’a envahie, une fois que le résultat a commencé à se matérialiser de visu.
Quels sont vos stylistes marocains haute couture préférés, et pourquoi ?
Les deux créateurs entre lesquels mon coeur balance sont : Dahab Benaboud et Si Mohamed Lakhdar et ce, même si leurs styles sont, a priori, opposés. La première m’émeut par ses couleurs douces et le chic de ses tenues chargées; le deuxième, par sa touche jeune qui bouscule les codes. A varier en fonction de son humeur ou du genre de festivités auxquelles on est conviée…