FDM : 150.000 entrées en un mois, vous prévoyiez un tel succès pour “Road to Kaboul” ?
Brahim Chkiri : Je savais que ça pouvait fonctionner, que le film n’allait pas passer inaperçu et qu’il trouverait son public ; mais je ne m’attendais pas à un tel succès. C’est tout simple : les plus grands succès à travers le monde sont des comédies. Au Maroc, il y avait très peu d’oeuvres de ce genre au moment où mon film a été mis en salle. Et puis, les gens voulaient voir autre chose. Ils étaient las des histoires fondées sur des comiques. Ça les change de regarder des comédies basées sur des situations. Dans mon film, je transpose des Marocains tout à fait ordinaires dans des contextes extraordinaires, alors qu’on les voyait jusque-là confinés dans la misère ou dans des problématiques liées à la femme, à la religion, à l’héritage… Notre cinéma est souvent resté très terre à terre dans le choix des thématiques.
Qu’est-ce qui, à votre avis, a le plus accroché le public ?
Déjà, contrairement à ce qu’on dit, le public marocain n’est pas difficile. C’est notre cinéma qui l’est. Va essayer de faire rire un Allemand ou un Suédois ! Ce sont nos cinéastes qui n’ont pas encore trouvé les bons outils pour être plus attractifs. Les Marocains ont bon enfant, blagueurs, accessibles… il faut juste ne pas les prendre pour des idiots parce qu’ils ne sont pas dupes.
Votre registre est-il définitivement comique ?
Non, pas forcément. J’ai d’ailleurs commencé par la réalisation de téléfilms policiers. Mon registre, c’est raconter de belles histoires qui font passer un bon moment, mais aussi réfléchir parfois, et qui créent quelque chose dans le coeur des gens.
Pourquoi une comédie pour votre premier long-métrage alors ?
L’idée de ce film vient de mon oncle, Lahcen Chkiri, comédien connu dans le sud. C’est l’histoire de quatre jeunes chômeurs qui veulent immigrer en Hollande, qui se trompent de route et qui se retrouvent en Afghanistan. J’ai tout de suite trouvé l’idée géniale et je ne suis pas le seul. En fait, dès que je racontais le pitch à quelqu’un, il souriait forcément parce qu’il imaginait ce que cela pouvait donner. Mais je vous avoue qu’au départ, je ne savais pas vraiment pour quel support je pouvais développer l’histoire.
Pourquoi avoir choisi la région de Tata pour tourner ce film ?
Pour moi, la région qui ressemble le plus à ce qu’on peut imaginer de l’Afghanistan, c’est celle de Tata. La lumière et l’architecture sont époustouflantes. D’ailleurs, dès les premières images, on n’a pas l’impression d’être au Maroc, mais à Bora Bora. Et puis, je dois dire que les gens du coin nous ont beaucoup aidés parce que c’est l’une des premières fois qu’on tourne chez eux. Mais les conditions étaient très difficiles, voire extrêmes. On tournait par 55 degrés à l’ombre, alors qu’il n’y avait même pas d’ombre (rires) ! Mais c’est connu dans le milieu, il faut être un aventurier pour travailler avec Brahim Chkiri. Comme je n’ai pas grandi au Maroc, mais à Bruxelles, je profite donc de mes tournages pour découvrir mon pays. Et ce que je trouve magnifique ici, c’est qu’on peut encore explorer des tas de paysages, aller à la rencontre des gens…
Les comédiens vous ont-ils facilement suivi vers Tata ?
En leur racontant le pitch, je voyais qu’ils étaient déjà emballés. Et puis, j’aurais pu leur proposer d’aller tourner en Afghanistan (rires) ! Ce qui est bien, c’est que les acteurs marocains sont très demandeurs pour jouer d’autres types de rôles. Je n’ai donc pas eu de difficulté à réunir mon équipe. Il y avait une très bonne énergie sur les lieux de tournage, même s’il y a eu quelques soucis au niveau de la production puisque nous n’avons pas obtenu d’aide du Centre Cinématographique Marocain. Mais on a eu raison de s’accrocher, car le public a cru en nous et était au rendez-vous.
Vous allez encore plus à la rencontre de ce public en projetant le film dans les régions les plus reculées. Pourquoi une telle initiative ?
C’est la productrice du film, Imane Mesbahi, qui a eu cette idée. Moi-même, je trouvais triste qu’il n’y ait pas assez de salles de cinéma au Maroc. Alors que dans un pays comme le nôtre, qui est encore une jeune démocratie, il est important d’avoir un secteur cinématographique prospère, parce que le cinéma est un outil extrêmement puissant pour véhiculer une bonne image de soi et de sa culture. Et puis, quand on fait un film, le but est qu’un maximum de personnes le voie. Il faut, à mon avis, réhabituer les Marocains à aller au cinéma. C’est dans ce sens que nous avons décidé de lancer l’opération “Cinéma pour tous”, partir du 20 août prochain. L’idée consiste à faire une tournée cinématographique dans tout le pays, et de projeter le film dans un certain nombre de petites villes et villages qui ne disposent pas de salles de cinéma. L’objectif est de sensibiliser un maximum de spectateurs, et montrer ainsi qu’il y a des potentialités dans ces régions, même les plus enclavées.
En parlant de culture et d’image du Maroc, vous faites du cinéma “propre” ?
Oui, je prends ma douche tous les matins. Les gens qui travaillent avec moi sont propres, ils se parfument même ! Il nous arrive parfois de marcher dans la boue pour placer nos caméras, mais c’est tout. C’est quoi cette histoire d’art propre ? Personnellement, je suis pour l’existence de toutes les formes d’art : les propres, les sales, avec une moustache ou avec de longs cheveux… Dans mon pays, tous les arts peuvent se côtoyer, et tout le monde doit avoir le droit de parler, aussi bien ceux qui veulent de l’art “propre” que les autres. Mais qu’on laisse les gens choisir ! Il faudrait pour cela penser à leur éducation. Après, ils peuvent décider de regarder un film pornographique ou religieux, cela ne regarde qu’eux !