En milieu professionnel, certaines femmes ont tendance à se surmener jusqu’à l’épuisement, souvent pour de mauvaises raisons. Elles cherchent à faire valoir une culture du perfectionnisme où aucun faux pas n’est permis. Cette attitude est connue aujourd’hui sous l’appellation du syndrome de la bonne élève. “Ce syndrome désigne une tendance à vouloir tout faire parfaitement, respecter toutes les règles, anticiper les attentes implicites de l’organisation et se sur-impliquer pour “bien faire”. Dans le monde du travail, cela se traduit par un perfectionnisme élevé, la peur de décevoir ses supérieurs, un besoin de validation externe, une difficulté à poser des limites”, affirme Ghizlane Ziad, psychologue clinicienne spécialisée en pathologie clinique et clinique sociale. Pour sa part, Sahar Hadri, psychologue et psychothérapeute en TCC, souligne que le simple fait de reconnaître ce mode de fonctionnement constitue déjà une première étape. “Demandez-vous : est-ce que je cherche à être efficace, ou est-ce que j’essaie surtout d’être irréprochable ?” Pour illustrer ses propos, la spécialiste évoque le cas d’une de ses patientes qui entre parfaitement dans ce schéma. “Une jeune cadre dans une banque me confiait qu’elle passait ses soirées à relire ses mails dix fois avant de les envoyer, de peur d’y laisser une faute d’orthographe. Son manager la percevait comme très consciencieuse, mais elle, elle s’épuisait en silence”. Par ailleurs, la psy précise qu’accepter de livrer un travail “très correct” plutôt que “parfait” peut déjà réduire la pression.
Un syndrome essentiellement féminin ?
D’après Nora Khiyati, fondatrice de NorANKA, associée chez Perfilment, certifiée Mentoach et experte en performance durable et en engagement des talents dans les organisations, ce syndrome “touche largement plus les femmes que les hommes, à cause des normes sociales et de genre. On attend encore d’une femme au travail qu’elle soit compétente, mais aussi agréable, chaleureuse, modeste. Le coût social de la non-conformité est plus élevé pour elles que pour les hommes. Résultat : elles se suradaptent, elles disent oui, elles minimisent leurs réussites”.
La plupart du temps, certains automatismes récurrents à l’âge adulte ne sont pas le fruit du présent, mais trouvent leur origine dans des blessures anciennes et le syndrome de la bonne élève n’échappe pas à cette règle. “Les racines se trouvent souvent dans l’enfance. Le syndrome de la bonne élève peut venir de l’éducation : un environnement familial où l’amour et la validation sont conditionnés par la performance (“sois sage, réussis, et tu seras récompensée”) crée un formatage pour la suite. En effet, les enfants de parents exigeants ou anxieux peuvent développer l’idée qu’ils doivent être irréprochables pour être aimés”, explique Ghizlane Ziad. Selon ces spécialistes, le système scolaire contribue également à ce “formatage” en valorisant la conformité, les bonnes notes et le respect des consignes. À l’âge adulte, ces schémas persistent, “l’individu croit que son estime de soi dépend de sa capacité à satisfaire les attentes des autres, parfois au détriment de son propre bien-être”, regrette-t-elle.
Comme le confirment les professionnelles de la santé mentale, le syndrome de la bonne élève découle en grande partie d’un besoin de reconnaissance et d’une peur de l’échec. Le premier pousse à en faire toujours plus, quitte à s’oublier. “Beaucoup de femmes me disent : Si je dis non, on pensera que je ne suis pas impliquée. Elles finissent par accepter toutes les tâches, même inutiles, juste pour rester la “bonne élève””, confie Sahar Hadri. Quant à la peur de l’échec, elle peut être profondément paralysante. “Certaines n’osent pas se lancer dans un projet ou demander une promotion, de peur de ne pas être “assez bonnes”. Une patiente m’a confié avoir refusé un poste de management, craignant de ne pas être “parfaite” comme cheffe. Elle a préféré rester dans l’ombre, se privant ainsi d’une belle opportunité par peur du jugement”, ajoute-t-elle.
Douter de sa légitimité
À ce jour, il n’existe pas de statistiques officielles au Maroc sur le syndrome de la bonne élève. Toutefois, Nora Khiyati identifie des indicateurs proches, tels que le syndrome de l’imposteur, le perfectionnisme, ou encore la pression à être “likable”. “Près de 75 % des femmes dirigeantes déclarent avoir déjà vécu le syndrome de l’imposteur. Et à l’international, 56 % des femmes disent ressentir une pression constante à “plaire” et à être perçues comme agréables, contre 36 % des hommes. Ce n’est donc pas un épiphénomène”, précise-t-elle.
Lors de ses accompagnements, cette professionnelle dit avoir rencontré de nombreuses femmes brillantes qui, malgré des compétences indéniables, doutaient de leur légitimité et s’enfermaient dans le rôle de “bonne élève” pour compenser ce sentiment. “Le phénomène est réel, même si nous ne disposons pas encore de chiffres locaux précis. On peut néanmoins en percevoir les effets, notamment à travers l’écart de représentation entre les femmes dans le middle management et celles qui accèdent au top management, et plus encore au sein des organes de gouvernance”, fait-elle savoir.
Apprendre à dire “non”
La bonne nouvelle, c’est que le syndrome de la bonne élève est loin d’être une fatalité. Il est tout à fait possible de s’en libérer à travers un travail sur soi, individuel ou accompagné. “La clé n’est pas de devenir “moins performante”, mais de se délester de l’obligation intérieure de l’être à tout prix. Dans cette perspective, un travail thérapeutique peut être très bénéfique pour identifier les croyances héritées de l’enfance et s’affranchir progressivement de ce carcan psychologique. Renforcer l’estime de soi est un bon point de départ pour apprendre à se valoriser pour ce que l’on est – et non seulement pour ce que l’on accomplit”, explique Ghizlane Ziad, psychologue clinicienne spécialisée en pathologie clinique et clinique sociale.
Elle ajoute qu’il s’agit également “d’apprendre à dire “non” sans culpabilité, à dire “oui” par choix, et à exprimer ses émotions avec calme. Savoir poser des limites permet aussi de s’autoriser à demander de l’aide”, insiste-t-elle. Même son de cloche chez Sahar Hadri, pour qui il est essentiel de distinguer la valeur personnelle de la performance réalisée. “Un bon exercice consiste à noter chaque jour une qualité personnelle (gentillesse, créativité, sens de l’humour…) qui n’a rien à voir avec le travail. Cela permet d’élargir son identité au-delà des résultats professionnels”, conseille la psychologue et psychothérapeute en TCC.