Mariage des mineures : La jeunesse en première ligne

Au cours du mois de mars, la réforme du Code de la famille devra être présentée au Roi Mohammed VI. Parmi les changements tant attendus, l’interdiction, sans dérogations, du mariage des mineur.e.s. Une revendication portée par de plus en plus de jeunes qui se démènent pour faire bouger les lignes, que ce soit sur le terrain ou sur la toile.

De plus en plus de jeunes marocains s’engagent pour l’abrogation, pure et simple, des articles 20, 21 et 22 du Code de la famille. Car, malgré l’article 19 qui stipule que “la majorité matrimoniale s’acquiert pour le garçon et la fille, à dix huit ans grégorien révolus”, le juge peut autoriser une union avec ou entre mineurs. Et ce “par décision motivée précisant l’intérêt et les motifs justifiant ce mariage, après avoir entendu les parents du mineur ou son représentant légal, et après avoir eu recours à une expertise médicale ou procédé à une enquête sociale”, comme le mentionne l’article 20. Résultats: 14 197 en 2023, selon les statistiques de la Présidence du ministère public.  Contre ce phénomène, de nombreux jeunes ont décidé de s’en aller en guerre contre le mariage de leurs pairs. Le mouvement BIGGER (Building a Greater Girls’ Rights), porté par une délégation d’une vingtaine d’adolescentes (13-20 ans), en est l’exemple. Il a été lancé au printemps 2022 par l’ONG Project SOAR, Mobilizing for Rights Associates (MRA) et 16 autres associations militant en faveur des droits des femmes et des filles. Ces organismes ont formé ces jeunes filles, deux par région, qui auraient pu être, elles aussi, victimes de mariages forcés. “Ce sont d’anciennes bénéficiaires de Project Soar qui se sont construites en cultivant leurs atouts et en forgeant ainsi leur leadership”, précise Victoria Di Gaetano, coordinatrice développement de Project SOAR. Mi-novembre, cette bande jeunes s’est retrouvée devant la Commission consultative chargée du pilotage de la réforme du Code de la Famille à l’Académie du Royaume à Rabat où elle a présenté son plaidoyer et soumis ses propositions d’amendements.“ À l’assemblée, les filles ont lancé, avec ardeur et assurance, qu’il était temps de mettre fin au mariage des enfants en comblant les lacunes juridiques”, relaie Victoria Di Gaetano.

Sur le terrain, d’autres associations parient aussi sur la jeunesse pour mettre fin au mariage des mineur.e.s, à l’instar de l’organisme Afourer (bénéficiant du soutien de l’association Droits et Justice) qui intervient dans la commune éponyme et les douars environnants (région de Béni Mellal-Khénifra). Parmi ses bénévoles, Asmae, 21 ans. “En tant que femme, la question du mariage des mineures me touche profondément”, déclare-t-elle. “J’ ai entendu tellement d’histoires de fillettes mariées mortes en couches car leur corps, si frêle, n’était pas encore prêt à enfanter…” Pour la jeune étudiante en droit, son âge est un avantage : il permet de briser la glace et de libérer la parole. “Je sais comment m’y prendre avec elles (comportement, vocabulaire, contexte, …). C’est un avantage considérable même si je n’ai pas la recette miracle pour mettre un terme à ces drames. À travers mes mots, j’essaie de les convaincre qu’il est essentiel de poursuivre leurs études pour travailler et, surtout, être indépendantes !”, martèle-t-elle. La sensibilisation est son mot d’ordre. “À Afourer, les habitants semblent de plus en plus préoccupés, et ouverts à échanger, sur cette question. Ce n’est, en revanche, pas le cas pour ceux vivant à la montagne : ils ne comprennent toujours pas pourquoi nous militons contre le mariage des mineur.e.s”, déplore-t-elle. “D’autant plus qu’à leurs yeux, la seule personne légitime pour aborder ce sujet épineux, reste l’homme le plus âgé, le Sage du Douar.” Et de poursuivre : “Pire, de nombreuses fois, ce sont les fillettes elles-mêmes qui rejettent notre proposition de formation ou d’accompagnement, préférant se marier…. Leur argument ? C’est la seule chose à faire….”

 

Une co-construction dans l’échange

Échanger, échanger et encore échanger. Toujours dans le respect. C’est l’engagement de l’association Les Citoyens dont la mission est de fédérer et renforcer les capacités des jeunes, des femmes et des acteurs territoriaux afin de construire une société favorisant l’égalité et l’inclusion, tout en proposant des idées et des modèles innovants. Un mouvement participatif qui regroupe une majorité de jeunes, comme l’assure Anace Heddan, président à 31 ans de ladite association. Sur le net, Les Citoyens tentent d’enclencher le débat mais ce n’est pas chose aisée. La raison ? “La violence des commentaires qui ferme toute discussion”, répond Anace Heddan. Pour lui, l’anonymat facilite les discours haineux. Un avis partagé par Oussama Zidi, 24 ans, des associations Medias & Cultures ainsi que Kif Mama Kif Baba, qui soutient l’importance du militantisme 2.0. En effet, changer les mentalités passe inévitablement par les réseaux sociaux. Un terrain certes miné mais qui ne peut être délaissé. Bon nombre d’internautes, particulièrement les jeunes y construisent leur opinion.

Opération de sensibilisation contre le mariage des mineures dans les environs de Marrakech.

Malgré les vents contraires, la jeune génération associative fait front. “Nous voulons sortir des impasses où la société veut nous enferrer”, prévient Oussama. “Nous tentons d’être créatifs pour ouvrir le débat”. Mais “les voies des réseaux sociaux sont impénétrables”, comme le décrit Ghizlaine Mamouni, présidente de l’association Kif Mama Kif Baba et avocate. “La question du mariage des filles mineures soulève celle du consentement et de la sexualité des jeunes. Or, sur ces sujets encore tabous, la parole n’est pas encore aussi libérée sur la toile que dans d’autres pays, sans compter les problématiques d’accès à Internet et à ce type de contenu par les personnes les plus concernées, c’est-à-dire celles vivant en milieu rural. Les jeunes savent qu’ils risquent d’être étiquetés et beaucoup ne sont pas prêts.” Et de souligner :“la jeune génération est une génération clé. Ce sont les électeurs de demain qui sont de plus en plus nombreux à militer de différentes manières pour le changement. Ils sont conscients que les filles sont mariées pour des raisons socio-économiques qui infirment toute idée de consentement, qu’un mariage dont le consentement est vicié n’est rien d’autre qu’un viol. Nos jeunes connaissent trop bien les conséquences désastreuses de cette pratique (déscolarisation, dépendance économique ad vitam aeternam, exposition à des risques médicaux pouvant entraîner la mort (fausses couches à répétition, maladies génitales graves…) pour ne plus l’accepter.” Un propos appuyé par Oussama Zidi qui défend que “c’est dans notre action que réside notre refus de l’indifférence. Nous sommes la force qui démantèle l’inacceptable pour construire un Maroc où chaque voix compte et chaque injustice trouve sa fin.”

 

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