En plus de sa forte symbolique religieuse, le mois de Ramadan est profondément ancré dans la culture et la société marocaine. Les premiers témoignages historiques de la pratique du Ramadan au Maroc des historiens du Moyen Âge. Le Ramadan est un rite ancestral, collectif, populaire. Il revêt une dimension spirituelle, politique, sociale et culturelle, souligne Abdelbaki Belfakih, docteur en anthropologie sociale et culturelle. La Monarchie marocaine a joué un rôle clé dans l’organisation et la promotion du mois de Ramadan.
“Politiquement, au Maroc, l’observance publique du Ramadan est dictée par l’autorité royale. En effet, depuis 1962, le Roi, en tant que commandeur des croyants, a instauré les ‘Causeries religieuses’, un concept hautement réfléchi qui participe au renforcement de la position de la Monarchie marocaine sur la scène internationale. Ces causeries ont également contribué à la formation des imams, en particulier pour la France, ainsi qu’à l’envoi de prédicateurs dans d’autres pays”, explique Abdelbaki Belfakih.
Évolution des comportements
Au fil des années, l’évolution des comportements au sein de la société a conduit, d’une certaine façon à la déperdition des principales valeurs du Ramadan. Ainsi, ce qui était censé être un mois de discipline et de purification intérieure a versé dans les excès. “Socialement, l’État met tout en œuvre pour faciliter le jeûne. En plus de porter une attention particulière à l’approvisionnement des marchés et à la régulation des prix, les autorités s’assurent que les besoins essentiels des citoyens sont couverts pendant ce mois. Cependant, on observe que le Ramadan a perdu une partie de sa fonction spirituelle, devenant un mois de surconsommation et de gaspillage excessif”, note Abdelbaki Belfakih. D’un point de vue culturel, la consommation de contenus audiovisuels semble être devenue indissociable des rituels qui prennent place durant cette période de l’année. “Le Ramadan demeure un moment de communion cathodique. Les feuilletons, séries et émissions de divertissement spéciales Ramadan occupent une place centrale à la télévision. Si cette période s’inscrit dans la continuité des anciennes sociabilités, notamment autour de la table du ftour, elle se voit aujourd’hui bousculée par l’omniprésence des tablettes et des téléphones portables, modifiant ainsi les habitudes de partage”, poursuit l’anthropologue.
“La nuit d’Al-Qadr” est meilleure que mille mois
La 15ème nuit du Ramadan et la Nuit du destin (Laylat al-Qadr) ont une résonance particulière chez les Musulmans, car elles représentent une opportunité de purification spirituelle, de rédemption et d’élévation auprès de Dieu. “Concernant la 15ème nuit du Ramadan, il est important de souligner que l’observation du début et de la fin du mois se fait par la vision lunaire. La lune est pleine à la fois à la fin du mois et à la moitié de celui-ci. La veille du 27ème jour représente pour les Musulmans, non seulement la nuit “bénie”, symbolisant la révélation du Coran et le voyage nocturne du prophète Mohammed vers la Mosquée al-Aqsa de Jérusalem, mais aussi l’instauration de la mytho-histoire sur laquelle repose un dogme fondamental”, fait savoir Abdelbaki Belfakih. Durant la Nuit du destin, les croyants multiplient donc leurs prières, leurs invocations et leurs actions pieuses dans l’espoir de bénéficier de la grâce divine. “Il est dit que durant cette nuit, lorsque les portes du Paradis sont ouvertes, l’encens brûle dans les maisons pour accueillir les Anges. Tout acte pieux accompli cette nuit-là, qu’il s’agisse de prières, de récitations du Coran ou d’actes de générosité, est d’une portée incomparable pour celui qui les réalise. On affirme que le mérite religieux sera multiplié par mille. C’est pourquoi cette nuit est considérée comme meilleure que mille mois. Durant cette nuit sacrée, tous les péchés commis par les jeûneurs durant l’année écoulée sont pardonnés, et les vœux formulés lors de cette nuit sont exaucés”, détaille l’anthropologue.
Des liens renforcés
Au-delà de sa dimension religieuse, “Laylat al-Qadr” détient, dans l’imaginaire collectif marocain, une dimension culturelle et sociale très prononcée. Marquée par un fort élan de solidarité, c’est aussi une nuit où prennent place des festivités et des célébrations dans toutes les régions du Royaume. “La dernière décade de Ramadan, marquée par Laylat al-Qadr, représente l’un des moments les plus sacrés et spirituellement significatifs dans l’Islam. Cette période se distingue non seulement par son importance religieuse, mais aussi par la manière dont elle rassemble les croyants. Les célébrations qui s’y déroulent témoignent des liens profonds unissant les Marocains, illustrant leur attachement à l’Islam. Elles renforcent la cohésion sociale, symbolisent l’appartenance à une communauté et créent des occasions de partage à travers des pratiques telles que la zakat (aumône) ou le partage des repas”, déclare Mouhcine Hichy, expert et consultant en sciences sociales et humaines.
En somme, pendant Laylat al-Qadr au Maroc, la solidarité ne se limite pas à des dons matériels. Elle se traduit aussi par une forme de soutien moral et spirituel, qui vise à renforcer les liens au sein de la communauté et à venir en aide aux plus vulnérables. “Laylat al-Qadr transcende la quête spirituelle personnelle pour devenir un moment de solidarité et de fraternité au sein de la société marocaine. Cette dimension sociale s’entrelace étroitement avec la portée spirituelle de la Nuit du Destin. Pour les Musulmans, Laylat al-Qadr constitue le meilleur moment de l’année pour obtenir le pardon divin. Placée sous le signe de la miséricorde, cette nuit est entièrement dédiée à l’adoration. Les fidèles sont invités à suivre l’exemple du Prophète Paix et Salut sur lui, qui redoublait d’efforts spirituels durant les dix dernières nuits du Ramadan. Cet attachement spirituel et social marocain puise également sa source dans le Saint Coran”, soutient Mouhcine Hichy.
Quoique la pratique du mois de Ramadan soit profondément inspirée des textes sacrés, elle reste influencée par la culture et les traditions propres à chaque pays. “Il s’agit d’une rupture ritualisée, qui revient chaque année sous la forme d’un rite répétitif. Ce rite, nourri de pratiques diverses et variées, inscrit l’événement dans le temps et traverse les générations”, résume Abdelbaki Belfakih.