Plusieurs évolutions de la société ont ébranlé le modèle traditionnel du mariage. Comment se fait aujourd’hui le choix du conjoint ?
J’ai fait une étude datant de plus d’une trentaine d’années. Ce qui en a émergé, c’est que le mariage ne peut se faire sans la présence de la famille. Il y a trente ans, c’était aux parents de cautionner le mariage. Le modèle dominant du choix du conjoint se faisait alors selon trois manières différentes : un intermédiaire (khattaba, dellala, une connaissance) ; la famille jouait également un rôle dans le choix du futur conjoint, et arrangeait toutes les étapes du mariage. Enfin, il y a les mariages consanguins (20% des unions). Le mariage consenti en toute liberté était quasiment absent. Aujourd’hui, le modèle traditionnel est toujours en vigueur. Dire que le mariage est moderne et qu’il est librement consenti est un leurre. Ce qui a changé, c’est que la famille est un peu plus “libérale”, mais la décision lui revient toujours en dernier ressort. Les jeunes aujourd’hui “négocient” plus avec les parents et disposent d’une certaine marge de manœuvre dans le choix du conjoint sans pour autant prétendre à un mariage librement consenti à 100%.
Les statistiques du HCP font état d’une baisse des actes de mariage qui sont passés de 313.356 en 2010 à 194.480 en 2020. Pourquoi ? L’institution du mariage ne séduit-elle pas toujours autant les Marocains ?
Il faut relire les chiffres autrement. Je ne pense pas que le mariage soit en régression. Je pense que nous restons profondément attachés à l’institution du mariage et à fonder une famille mais c’est plutôt l’âge du mariage qui a augmenté. Les Marocains se marient de plus en plus à un âge plus tardif. Autrement dit, le modèle du mariage précoce perd du terrain. Lorsque j’ai travaillé sur le célibat, il y a une vingtaine d’années, j’ai découvert qu’à Casablanca, dans la préfecture d’El Fida-Derb Soltane, l’âge moyen de mariage chez les hommes était de 36 ans ! L’une des raisons est à imputer à la pauvreté, car au Maroc c’est au garçon de demander la fille en mariage, de la prendre en charge et de subvenir à ses besoins. Cette dernière tarde à se marier, car elle attend qu’on la demande en mariage. De plus, une bonne partie des femmes ont peur du mariage, craignant les violences conjugales, la maltraitance et le divorce.
Tout acte sexuel hors mariage est puni par la loi. Pensez-vous que les Marocains attendent d’être mariés pour avoir leurs premières relations sexuelles ?
Bien sûr que non. Les relations sexuelles hors mariage existent bel et bien dans notre société. La seule différence, c’est que lorsqu’on parle du mariage, il s’agit plutôt de la relation officielle qui permet de vivre pleinement sa sexualité au Maroc. Car en dehors du mariage, plusieurs critères sont pris en considération à savoir la loi, la famille, la société, etc.
Effectivement, l’acte sexuel hors mariage est assimilé à la fornication. Il n’est accepté ni par la société ni par la loi. Cette restriction aurait-elle, d’après vous, des répercussions sur la vie de couple des Marocains ?
Je ne pense pas. Je pense que la plupart des couples vivent sous le signe de “tu sais, je sais, nous savons”. Nous vivons au Maroc dans une culture ambivalente et dans un paradoxe social que nous gérons bien. La dualité entre tradition et modernité ne nous dérange aucunement. Nous portons plusieurs casquettes, la casquette traditionnelle, la moderne et la religieuse, et nous dévoilons chacune d’entre elles en fonction des situations.
À votre avis, les femmes subissent-elles toujours des injonctions liées au mariage (virginité, jeune âge, maîtrise de l’art culinaire, obligation de prendre soin du mari, du foyer) ?
Oui, c’est toujours le cas. Nous avons beau prôner des valeurs modernes mais le fond traditionnel, musulman, social, est toujours là.
Applique-t-on toujours l’ancienne tradition “barbare” du “Sarwel” ?
Je n’aime pas l’adjectif barbare. À mon sens, l’adjectif est fortement subjectif. Ce sont des traditions au cours desquelles des “dérapages” pouvaient avoir lieu. Sauf que ce sont des actes qui sont librement consentis pendant le mariage. Lors de ces cérémonies, rien ne relève plus de l’intime. C’est plutôt le social qui domine parce que la famille s’ouvre sur les autres. Célébrer un mariage c’est le faire connaître et le faire accepter par la communauté. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on organise la cérémonie du mariage. Dans le temps, les femmes se réveillaient aux aurores pour apporter le petit-déjeuner du “sbouhi” avec, sur la tête, le “serwal” entaché du sang de la mariée qu’elles montraient à la communauté avec une grande fierté. Les gens dans la rue appréciaient, applaudissaient même. Mais ces mêmes mariés qui ont clamé haut et fort leurs relations sexuelles, ne peuvent pas, par contre, s’embrasser par la suite dans un lieu public parce qu’il y a des normes que nous nous devons de respecter. Comme je viens de le dire, le Marocain a plusieurs casquettes, et c’est la casquette traditionnelle qui prend toujours le dessus. Un couple peut se prendre par la main mais pas plus. Ce sont des attitudes schizophrènes mais marocaines.
Pensez-vous que le fait de verser une dot au moment de la conclusion du mariage, pourrait être considéré comme une discrimination vis-à-vis de la femme ?
Il faut poser cette question aux femmes. Il y a au Maroc des femmes qui se sentent valorisées par la dot tandis qu’il y en a d’autres qui se sentent dénigrées. Nous avons donc affaire à des profils différents. Les femmes qui se sentent valorisées sont des femmes qui tiennent compte de la société, des valeurs sociales, du “qu’on dira-t-on”, de la famille, de la famille élargie, etc. Alors que celles qui se sentent dénigrées estiment qu’elles ne sont pas à vendre. Je pense, toutefois, que la dot est toujours de mise même si nous n’en parlons que rarement. Ceci sans oublier que sur les plans juridique, légal et religieux, la dot est obligatoire pour tout acte de mariage. En somme, le mariage a-t-il évolué ? L’institution du mariage évolue. Elle ne peut pas ne pas évoluer. Mais elle le fait très lentement. Nous sommes dans une société très conservatrice. Lorsqu’elle évolue, c’est que nous avons “lâché un peu du lest”, surtout lorsqu’il s’agit d’un domaine aussi sensible que le photo domaine matrimonial.