Le tableau est sombre… Le taux d’activité des femmes au Maroc ne cesse de décliner. Selon les statiques du Haut-Commissariat au Plan (HCP), il est de 19,8% en 2022, enregistrant une baisse cumulée de près de 30 % de 2004 à 2022. Quant au taux de femmes entrepreneures, il est à peine de 12,8%. Selon le classement de “Global Gender Gap Report, 2022”, le Maroc se classe ainsi à la 139ème position sur un total de 146 pays pour le volet “participation et opportunité économique”. Or, comme l’appuie, à l’automne 2023, la Banque mondiale dans son rapport de suivi de la situation économique au Maroc, l’inclusion des femmes au marché de l’emploi serait un moteur puissant de développement socioéconomique. “L’atteinte des objectifs du Nouveau Modèle de Développement (NMD), à savoir une participation des femmes au marché du travail de 45 %, pourrait stimuler la croissance de près d’un point par an.” L’amélioration des droits de la femme est, depuis plus de 20 ans, au centre des préoccupations du Royaume. En droite ligne avec la vision royale, l’autonomisation économique des femmes est l’une des priorités du gouvernement actuel, bien conscient de la richesse de la gent féminine dans le développement du pays. Celui-ci ne peut se faire sans elle. Aussi, pour palier la faiblesse et le déclin de la participation économique des femmes, plusieurs mesures, incitations, programmes ont vu le jour dont un qui redonne particulièrement espoir : le plan gouvernemental pour l’égalité 2023-2026 (PGEIII), lancé en mars 2023, qui vise à décliner les orientations et engagements du programme gouvernemental 2021-26 sur l’égalité, la lutte contre les violences et les discriminations fondées sur le genre fixant à 30% le taux d’activité des femmes à l’horizon 2026. Le PGEIII est porté par la Commission Nationale pour l’Égalité entre les Sexes et l’Autonomisation de la Femme (CNESAF), présidée par le Chef du Gouvernement Aziz Akhannouch. Mis en place par le décret 2.22.194 du 20 juin 2022, le Comité comprend, outre les départements ministériels et les institutions nationales, le secteur privé, et les représentants des associations des régions, des préfectures et provinces et des communes, et la société civile.
Le PGE III en 288 mesures
Le cap du PGEIII est très clair : stopper le ralentissement du taux d’activité des femmes et inverser la tendance à l’horizon 2026. Élaboré par le Ministère de la Solidarité, de l’Insertion sociale et de la Famille (MSISEF), en concertation avec l’ensemble des parties prenantes et aligné sur les recommandations du Nouveau Modèle De Développement (NMD), le cadre stratégique du PGE III s’articule autour de trois axes stratégiques:“l’Autonomisation et Leadership”, “la Protection et Bien-être” relatif à la “prévention et protection, environnement protecteur des femmes”, et les “Droits et Valeurs” concernant “la promotion des droits et la lutte contre les discriminations et les stéréotypes”. Chaque axe se conjugue en différentes mesures : 288 au total (129 pour le programme 1, 83 pour le 2 et 76 mesures pour le 3). Parmi les mesures phares à retenir, un soutien à l’éducation, à la formation professionnelle et à l’enseignement supérieur des jeunes (internats, soutien scolaire, transport scolaire,…). Pour faciliter l’accès à la formation, le ministère a notamment digitalisé l’infrastructure de 400 centres en 2023, avec l’objectif d’en atteindre 500 en 2024. Les femmes peuvent accéder gratuitement à des plateformes en ligne pour leur formation, grâce à des tablettes fournies par le ministère, permettant ainsi une formation à distance même dans des zones reculées, comme le met en avant le département de tutelle. D’autres mesures portent sur l’intégration du genre dans différents programmes gouvernementaux de promotion de l’emploi. Pour ce faire, la Commission plaide, entre autres, à travers le PGE III, pour un renforcement de l’employabilité et de l’activité des femmes dans le cadre de différents programmes sectoriels (Awrach, Forsa, “Gissr atamkine wariada”, IDMAJ, TAEHIL, industrie, travailleurs sociaux, agriculture, pêche, etc.). Au cœur du PGE III également, les femmes rurales et en précarité. Et ce, à travers un soutien en termes de formation qualifiante, d’insertion professionnelle et de protection sociale. Les autres points dudit plan ? La promotion d’un environnement (législatif, politique, financier) incitatif et durable afin qu’il soit favorable à l’autonomisation des femmes à travers différentes initiatives comme la mise en place de crèches sociales en collaboration avec la société civile et les collectivités territoriales, ou encore la mise en œuvre de services d’aide aux familles (GISSR-ALOSRA). En parallèle au PGE III, les programmes doivent être multiples au vu de la situation économique des femmes, comme le martèle le MSISEF, mettant en avant la Stratégie GISSR (Green Inclusive Smart Social Regeneration) pour un développement social inclusif, innovant et durable pour la période 2022-2026. À travers ce programme dont tout un pilier a été dédié à l’égalité et au leadership féminin, 84.000 femmes ont été accompagnées dans leur création d’activités économiques.
Entre craintes et espoirs
Pour Nabil Adel, économiste et professeur universitaire, il y a trop d’acteurs dans le PGE III, trop de mesures et trop de cibles en si peu de temps, sans parler des difficultés d’exécution sur le terrain. “Comme beaucoup de plans au Maroc, nous avons de bonnes intentions, nous focalisant sur l’objectif mais en oubliant la pratique…” Et d’enchaîner : “On réduit globalement l’autonomisation des femmes à l’augmentation du taux d’activité. Or, ce denier est une variable économique. Et donc il faut des mesures économiques pour palier plus largement le problème du chômage”. Leila Doukali, présidente de l’Association des femmes chefs d’entreprise du Maroc (AFEM) qui est membre de la CNESAF, a un regard différent sur le PGE III. D’après elle, la feuille de route est très claire et complète, restructurée et étoffée pour être efficiente. “Miser sur l’autonomisation et la participation des femmes au développement du Royaume est salutaire”, appuie-t-elle. “L’aspect formation et éducation prend une place significative afin de réduire les disparités de genre notamment en matière de softskills”, indique-t-elle. “Une attention particulière a aussi été donnée à une transition vers une économie formelle. Je tiens à rappeler que sur le total des femmes exerçant une activité au Maroc, deux-tiers sont dans l’informel. Il est certain que des initiatives telles que Força où la femme est bien sûr partie prenante, ou encore Gissr atamkine wariada sont des moteurs d’opportunités d’entreprenariat.” Et de souligner : “ il est urgent de travailler sur une véritable action de sensibilisation à l’égalité des responsabilités familiales. Il faut mettre en place une solution alternative à la garde d’enfant et une politique de transport fluide et sécurisée, sans oublier d’enclencher un travail de proximité garantissant une écoute attentive envers ces femmes qui ont tant de choses à dire.” Pour la présidente de l’AFEM, la mise en œuvre dudit plan nécessite une implication sans faille de la société civile. “Notre rôle au sein de la Commission Nationale pour l’Egalité entre les Sexes et l’Autonomisation de la Femme qui porte le PGE III, sera justement d’informer sur le terrain – l’association est présente dans 6 régions-, et d’être une véritable force de propositions.” Mais selon cette responsable, la promotion de l’employabilité des femmes et le renforcement de leur accès aux opportunités économiques passent également par des dynamiques diverses. Aussi, l’AFEM compte-t-elle prochainement dévoiler son plan d’action 2024-2026, se déclinant en 5 axes : les incubateurs et accélérateurs, la promotion du digital comme outil de développement et de compétitivité, la sensibilisation à l’économie responsable, la mise en place d’une plateforme de e-learning ou encore le soutien aux femmes du secteur de l’industrie. “Nous avons beaucoup de toutes petites “industrielles” qui ne le savent pas”, explique Leila Doukali. “Nous souhaitons les accompagner à travers des séances de coaching tout en leur ouvrant notre réseau.” “Comme nous le savons tous et toutes, nous évoluons dans une société patriarcale où il est compliqué d’avancer”, rappelle-t-elle. “Nous ne devons pas être confinées à préparer à manger et à éduquer les enfants. Pour cela, nous avons le devoir d’être mobilisées et d’accompagner cette volonté d’impulsion, cette envie de changement en faveur des femmes.”