Comment est né « Triple A » ?
La genèse du film est partie d’un déclic : celui d’enfants qui mendiaient la nuit auprès de femmes qui, pour la plupart, ne sont pas leur mère. Chaque soir, je les voyais. Cette image m’a bouleversée, hantée et interpellée. « Triple A » n’est pas concentré sur ce fait de société, mais je voulais l’évoquer. Cela a été la genèse mais pas le cœur du film qui est l’amour sous toutes ses formes. Mais de là, est né ce questionnement, celui du manque d’amour des seuls personnes au monde qui sont censées les protéger. L’un des personnages, Yasmin, est né de cette souffrance. C’est un personnage dont l’enfance a été meurtrie par une mère qui l’a notamment loué aux mendiants.
Quelle est la difficulté de parler d’Amour ?
C’est celui de tomber dans le cliché ou dans la romance. Or, les amours sont pluriels. Je le montre à travers mes personnages comme celui de Souad, interprétée par Majdouline El Idrissi, qui cherche l’amour de sa mère, ou ceux de Yasmin et Yasser, joués par Hind Ben Jebara et Khalil Oubaaqa, qui développent entre eux un amour fusionnel.
Dans votre film, la performance des acteurs épate… Comment les avez-vous choisis ?
Comme le dit si bien la réalisateur Woody Allen, « je ne dirige pas les acteurs, je prends des professionnels ». C’est la vérité ! Les cinéastes les dirigent en leur expliquant quels sont leurs personnages (caractère, biographie, style vestimentaire, etc.) J’oriente ainsi mes acteurs. Je connaissais la plupart des comédiens qui jouent dans « Triple A », j’avais en tête leur compétence et leur potentiel. Hind Ben Jebara que j’avais remarqué dans de petits rôles à la télévision, m’a beaucoup impressionnée. Le seul acteur que j’ai découvert, était Khalil Oubaaqa. Lors du casting, j’ai tout de suite vu en lui une incroyable force.
Le tournage a, paraît-il, été périlleux…
Oui, effectivement ! Nous avons eu quelques incidents durant le tournage qui s’est déroulé il y a deux ans maintenant. Mais rien de dramatique heureusement ! Khalil Oubaaqa s’est notamment tordu la jambe tandis que moi, je me la suis cassée.
Par moments, votre film est ponctué d’illustrations. Pourquoi ?
L’écriture est mon premier amour. J’ai longtemps été scénariste avant de me lancer dans la réalisation. Depuis toute petite, j’aime aussi le dessin. Les illustrations dans « Triple A » reprennent des extraits du livre « Le prophète » de Khalil Gibran, un grand poète libanais. Les histoires relatées dans « Triple A » sont assez violentes tout comme les rapports entre les personnages et le vocabulaire employé. Aussi, je voulais ramener un peu de douceur, d’où également l’utilisation d’humour dans le film. Je trouve que cela allège la pression avant de la remonter. Le film n’est ni un drame, ni une comédie, mais une comédie dramatique.
Dans votre deuxième long-métrage, vous abordez brièvement le sujet sensible et tabou de l’inceste… Avez-vous hésité avant d’en parler ?
Non, car il fallait que je le fasse ! C’était une évidence pour moi. Après avoir vu ces enfants dans la rue, je me suis beaucoup questionnée. L’art est ma seule arme pour dénoncer et « crier » afin, je l’espère, ouvrir le débat. Je m’efforce d’être la voix de ces « sans-voix ».
Vous considérez-vous alors comme une réalisatrice engagée ?
C’est un mot très lourd à porter. En tant qu’être humain, je ne peux tourner le regard face à de telles atrocités ! Le monde est trop sombre !
Quel regard portez-vous sur la place de la femme dans la réalisation ?
Elle a beaucoup évolué comme plus largement la place de la femme dans la société. Il y a eu beaucoup d’avancées. Le problème au Maroc, et peu importe le sexe, c’est la culture cinématographique mais aussi l’orientation. Beaucoup de jeunes, et cela a été mon cas il y a 20 ans, ne savaient pas qu’ils pouvaient intégrer tel ou tel institut cinématographique.
Quels sont les freins empêchant l’essor des femmes réalisatrices ?
Je ne pense pas qu’il y en ait. Je pense qu’ils sont communs aux deux sexes, à l’instar du problème du financement des films.