Souad Ettaoussi, militante féministe et directrice de l’Institution Tahar Sebti :
“La Moudawana d’aujourd’hui ne reflète pas la réalité du pays”
“Le Statut personnel promulgué en 1958 avait suscité de nombreuses controverses, et en dépit de toutes les tentatives exigeant son amendement, il n’y eut que des changements minimes. Cette sacralité a finalement été bousculée en 2004 avec l’avènement de la Moudawana. Les dispositions apportées par le nouveau Code de la famille regorgent toutefois d’un grand nombre de contradictions entre les différents articles, vidant ainsi le texte de son essence, ou encore une non-conformité avec les autres lois, constituant un frein à l’exécution de certaines dispositions.
Si la Moudawana a tenté de tracer avec précision les règles de l’institution du mariage, elle a aussi laissé de grandes zones d’ombre concernant sa dissolution.
1. Coresponsabilité… mais un tuteur légal !
Si le mariage est la résultante d’un pacte fondé sur le consentement mutuel et une union légale et durable, il n’en demeure pas moins qu’une multitude de questions reste en suspens notamment dans le cas du mariage des mineurs, de celui des Marocains à l’étranger ainsi que la polygamie. La contradiction la plus flagrante se trouve au sein même de certains articles de la Moudawana, comme le chapitre 4 codifiant la relation entre les époux et plaçant la famille sous leur coresponsabilité. Or, dès qu’il s’agit des enfants, ce même Code stipule que seul le père est le tuteur légal sauf dans le cas de son incapacité à entretenir sa famille, ce rôle incombant alors à la femme.
2. Des conditions inégales de dissolution du mariage !
Le législateur a émis un certain nombre de dispositions en cas de divorce. Mais dans la pratique, les lacunes sont nombreuses. La première, et non des moindres, est relative à la notification personnelle de l’époux ou épouse lors d’une demande de divorce. Cette condition s’avère impossible en cas de changement d’adresse ou de voyage de l’époux voire de l’inexistence de l’adresse fournie. Une autre contrainte concerne le refus de l’un des époux de se présenter au tribunal après réception de la convocation. S’il s’agit du mari, le tribunal considère qu’il ne veut plus donner suite à sa demande de divorce et classe l’affaire, mais s’il s’agit de la femme, le tribunal se prononce alors sur le dossier… Et s’il s’avère que son adresse est erronée, le tribunal applique à son encontre les peines prévues dans l’article 361 du Code pénal…
3. Les biens acquis pendant le mariage : Oui, mais…
Les deux époux disposent chacun d’un patrimoine propre. Toutefois, ils peuvent se mettre d’accord sur les conditions de fructification et de répartition des biens qu’ils auront acquis pendant leur mariage. Cet accord fait l’objet d’un document distinct de l’Acte de mariage. Mais la réalité soulève de nombreuses questions : quand faut-il conclure cet accord ? Est-il assimilable aux autres types de contrat ? Comment déterminer avec exactitude l’apport de la femme qui veille sur sa famille et sur l’éducation de ses enfants ? Quels documents fournir pour garantir les droits des femmes ? En cas d’absence d’un accord entre les époux, l’article 49 donne la solution : le recours aux règles générales de preuves, tout en prenant en considération le travail de chacun des conjoints, les efforts qu’il a fournis et les charges qu’il a assumées pour fructifier les biens de la famille… Le législateur ne spécifie aucunement la nature des efforts et des charges. Dans la pratique, seules les preuves matérielles sont acceptées, ce qui exclut le travail de la femme au sein du foyer !
4. Une pension alimentaire qui tarde…
La garde de l’enfant incombe au père et à la mère tant que les liens conjugaux subsistent. En cas de divorce, les enfants ont droit à la pension alimentaire dans un délai d’un mois afin de préserver le train de vie de l’enfant. En pratique, il s’est avéré que le délai d’un mois n’est pas respecté !
Pour moi, certains chapitres du Code de la famille semblent, de prime abord, novateurs et innovants, mais dans les faits, ils posent un problème dans la mesure où des articles de la Moudawana sont en contradiction avec la réalité du pays. Aussi, il est indispensable de procéder à une refonte totale de la Moudawana afin de l’harmoniser avec la Constitution de 2011 et les conventions internationales ratifiées par le Maroc tout en prenant en compte l’évolution de la société.”.