Hind Bensari “L’amour est le fondement de la vie”
“Dans le cadre de la série “Des Histoires et des Hommes” de 2M consacrée à l’Amour-, j’ai réalisé le documentaire “Lalla” sur l’amour de mon grand-père envers ma grand-mère. Âgé de 94 ans, il a passé 70 ans de vie commune avec sa femme, aujourd’hui décédée. Dans mon film, il revient sur cet amour, celui d’un homme qui se marie avec une femme qu’il ne connaissait pas avant de tomber amoureux d’elle. C’est le schéma classique de la famille traditionnelle marocaine. Au fil des bobines et des pellicules photos trouvées dans les placards et autres tiroirs de la famille, j’ai pu voir l’évolution du regard de mon grand-père sur son épouse qu’il filmait. Il l’a toujours poussé à s’émanciper. Il n’a jamais voulu qu’elle reste cantonnée à la cuisine ou à l’éducation des enfants. Cet homme-là l’a fait voyager et a essayé de lui donner tous les moyens en sa possession pour qu’elle soit le plus indépendante possible. De son côté, ma grand-mère a beaucoup résisté face à ce chamboulement proposé. “Lalla” n’est pas un documentaire sociologique sur les couples d’antan. C’est le témoignage d’un amour singulier d’un homme envers sa femme, mais aussi d’une petite-fille, en l’occurrence moi, envers mon grand-père. Vous savez, j’ai toujours fait du documentaire de société et l’amour est, selon moi, le fondement de la vie. Tout le monde a un lien avec l’amour qui est un pilier central dont j’avais très envie de parler. Je pense que le confinement et l’éloignement avec les miens engendrés par la pandémie de Covid-19, en a fait le reste. Je ne réside pas au Maroc. Aussi, ce documentaire est devenu une évidence et a également aidé mon grand-père à sortir de sa solitude en parlant d’amour. L’amour est très fort au Maroc. La société marocaine est très aimante même si je reconnais qu’il n’est pas simple pour la jeunesse de s’aimer librement aujourd’hui. Mais je pense que la particularité de notre pays est cet amour profond qu’a tout un chacun pour son cercle familial bâti par ses parents et grands-parents.”
Talal Selhami : “L’enfance construit notre rapport à l’amour à l’âge adulte”
“Que ce soit en tant que réalisateur ou individu, je traite l’amour avec beaucoup de pudeur dans le sens où j’ai un regard sincère, idyllique voire naïf sur ce thème qui m’est cher. Dans mon film “Achoura”, je raconte l’histoire de quatre amis d’enfance qui visitent une maison lors de la célébration d’Achoura. D’après une légende urbaine, un affreux Djinn surnommé Boughatate sort une fois par an pour se nourrir d’enfants innocents. L’un d’eux disparait. Vingt ans plus tard, on retrouve les trois enfants devenus adultes. Ils ont refoulé le souvenir de ce jour jusqu’à sa réapparition qui coïncide avec l’enlèvement de plusieurs autres enfants. Le départ de cette histoire est un triangle amoureux qui va se poursuivre dans le temps. Pour moi, l’enfance construit notre rapport à l’amour à l’âge adulte. Aussi, l’amour est innocent et sincère. Je ne le pense pas de façon cynique comme il est traité aujourd’hui dans de nombreux films, reflétant globalement l’évolution de la société. Au Maroc, j’ai l’impression qu’en coulisses, les couples, surtout la nouvelle génération, tentent tout de même de conserver ce rapport amoureux primaire pourtant tiraillé entre leurs visions occidentalisée et conservatrice. C’est très paradoxal, à l’image de notre société. Pour moi, il est important d’aborder les sentiments en revenant, en puisant à la source. Je suis en cours d’écriture de plusieurs projets dont une comédie fantastique abordant une nouvelle fois, le thème de l’amour entre deux personnages dont la mort ne deviendra plus un obstacle. Les histoires d’amour animent ainsi mes personnages et sont essentielles surtout aujourd’hui, dans le contexte morose que nous connaissons.”
Tala Hadid : “L’Amour est un mot qui décrit quelque chose d’infini”
La maison est la d’où l’on part. Comme nous avançons en âge
Le monde devient plus étrange, et plus compliqué
le motif
De morts et de vivants. non le moment intense
Isolé, dense d’avant comme d’après,
Mais bien tout une vie brûlant à chaque moment
Et non le temps de vie d’un homme seulement
Mais celui-là de vieilles pierres indéchiffrables
Il y a un temps pour la soirée à la lueur des étoiles,
Un temps pour la soirée à la lueur de la lampe
(La soirée des photographies que l’on feuillette)
L’amour est le plus près d’être lui-même
Lorsqu’ici-et-maintenant cesse d’importer.
Les vieillards doivent êtres des explorateurs
Ici et là n’importe pas
Il nous faut toujours toujours nous mouvoir
Au sein d’une autre intensité
Pour une union plus intime, une communion plus profonde
À travers le froid obscur, la vacante désolation,
Le cri de la vague, le cri du vent, les vastes eaux
Du malouin et du pétrel. En ma fin mon commencement.
T.S Eliot, Quatres Quatuors
Nos tasses de café. Les oiseaux les arbres verts
À l’ombre bleue, le soleil gambade d’un mur
À l’autre telle une gazelle
L’eau dans les nuages à la forme illimitée dans ce qu’il nous reste
Du ciel. Et d’autres choses aux souvenirs suspendus
Révèlent que ce matin est puissant splendide,
Et que nous sommes les invités de l’éternité.
Mahmoud Darwish, Etat de siège
“Comment aborder l’ineffable et ce qui échappe à toute catégorisation? L’Amour est un mot qui décrit quelque chose d’infini, un voyage non seulement vers l’Autrui (qui prend des formes multiples: agape, caritas, eros, philia, fraternitas), mais aussi un voyage qui nous emmène au centre de ce que signifie être dans ce monde. Les poètes chantent le monde depuis la nuit des temps. Cette action est en soi un acte d’amour, un appel non pas à idéaliser le monde, mais à mieux le voir. Voir le monde tel qu’il est, c’est aussi restaurer la croyance et l’amour. En tant que créateurs d’images, nous moulions, comme Spinoza, des lentilles pour clarifier la vision. Parler d’amour au Maroc ? Pour cela, il faut accepter que la vérité soit cachée derrière un voile, et cela signifie avoir à apprendre à lire les traces, à ressentir ce qui est absent ou caché, ainsi qu’à accepter l’incertitude et le mystère.”
Mohcine Besri : “L’amour est complexe au Maroc”
“L’amour. Ce thème me travaille depuis des années, mais je ne me suis jamais prêté à l’exercice. Pourtant, j’ai tenté à plusieurs reprises de m’y plonger mais sans y parvenir. Aussi, j’ai beaucoup d’interrogations sur ce sujet, souvent sans réponse. Vous savez, l’amour est complexe au Maroc, car le regard de la société n’est pas clair et diffère selon le lieu et la situation sociale de la famille. L’amour, qui ne peut être que clandestin ici, ne sera pas vécu de la même manière à Oujda, à Tanger ou à Casablanca. Et l’amour contemporain alors ? A mon époque, on se cachait dans les salles de cinéma, derrière des arbustes et arbres feuillus ou dans des ruelles bien précises. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Comment est-il vécu par la jeunesse dans cette ère contemporaine rythmée aux sons des notifications d’applications en tout genre. Il serait intéressant que de jeunes réalisateurs et réalisatrices qui connaissent les codes, s’emparent de ce sujet. Pour moi, c’est un véritable challenge que je finirais peut être pas relever un jour, Concernant les scènes de sexe, il faut dire que c’est assez délicat dans notre société, mais pas que la nôtre, la plupart des films américains ne comportent pas ou très peu des scènes de sexes explicites, cela ne les empêchent pas de traiter le sujet pour autant. Personnellement, j’avoue que je peux comprendre qu’une actrice marocaine refuse de l’envisager et de se confronter aux répercussions qu’il induira ne serait-ce qu’au coin de la rue, sans parler de son entourage proche. En conclusion, je dirais que j’ai plus de questions que de réponses à ce sujet mais je reste persuadé qu’une love story version marocaine serait la bienvenue.”
Hicham Lasri : “En amour, il existe une opposition humanité-société”
“Je trouve très intéressant de raconter les difficultés de tomber amoureux au Maroc. Les gens sont prêts à aimer et à être aimés, mais est-ce que le contexte le permet ? Non. Il n’existe pas, par exemple, d’endroits pour nous retrouver – à mon époque, les amoureux se réfugiaient dans la pénombre des salles de cinéma – ainsi la société nous empêche de nous investir émotionnellement et d’envisager une sorte d’amourette bercée aux sons de mélodies égyptiennes. C’est d’autant plus difficile pour la nouvelle génération en raison de l’omniprésence de pseudos bien pensants religieux. Bref, au Maroc, l’amour n’est pas sans obstacle. C’est ce que je raconte notamment dans mon dernier court-métrage baptisé “Sidi Valentin” prévu le 14 février. Il a été financé par une plateforme internationale et produit par Lamia Chraibi. “Sidi Valentin” est un homme qui tombe sous le charme d’une jeune femme. Il va être à la fois obnubilé par cette histoire naissante et perturbé par sa voiture embarquée par la fourrière, qu’il va essayer de récupérer à tout prix. Dans son “voyage” express de 24h, la jeune femme va le découvrir dans tous ses états : du mec sympa et charmant à l’hyper-stressé perdant son visage glorieux jusqu’à devenir insoutenable. Bref, chaque pays a ses codes en terme d’amour. Ici, je ne pense pas qu’on puisse jouir de belles histoires comme dans un film Bollywoodien si on est pris dans l’essoreuse sociale (pauvreté, oppression politique, peur, etc). Pour moi, même en amour, il n’existe pas d’opposition homme-femme mais une opposition humanité-société car c’est le contexte qui définit le courage (en refusant le statu quo) ou la lâcheté des uns et des autres.”.