L’amour à l’épreuve du patriarcat

Depuis des siècles, l’amour dans le monde arabe est objet d’histoires, de poésies et de chansons. Au fil du temps, cet amour, fantasmé et idéalisé s’est vu dévalisé et dépossédé de son essence par le système patriarcal qui a imposé et intériorisé des codes. Néanmoins, la révolution amoureuse semble en marche. Décryptage.

L’amour doit être réhabilité. Le monde arabe a été célébré pour sa prose et ses histoires d’amour, merveilleuses parfois légendaires comme celles de “Majnoûn et Leïla” de Jâmi qui a notamment inspiré “Roméo et Juliette” de Shakespeare et “Le Fou d’Elsa” de Louis Aragon. Parmi les poètes arabes de l’amour, Abu Nawas et Nizar Qabbani ont marqué les esprits tout comme la diva de la chanson, Oum Kalthoum qui l’interprétait, avec force et justesse, notamment dans son titre “Ya habibi”. La langue arabe est également riche en vocabulaire pour exprimer l’amour. Il existe plus de 60 expressions, chacune faisant référence à un degré amoureux. L’érotisme arabe en était également un hymne exploré sans complexe ni tabou. Le livre “Le Jardin parfumé” du cheikh Nefzâouî en est la preuve comme plus récemment “Le Kama-sutra arabe” de l’anthropologue et philosophe Malek Chebel. Originellement pur, le plaisir n’a plus fait loi. Le système patriarcal s’est imposé, influençant notre rapport à l’amour marqué par des mécanismes de domination masculine. Le silence s’est alors installé et la notion de “Hchouma”, désignant l’ensemble des sujets tabous que l’on ne doit pas aborder en société ou en famille, a pris place. La femme devait s’oublier et être vouée à son rôle de gardienne du foyer, mère et épouse.

L’amour selon le patriarcat

Dans son dernier essai passionnant “Réinventer l’amour. Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles”, Mona Chollet explore et décortique l’amour hétérosexuel sous le joug du patriarcat. À travers une riche documentation, elle examine ainsi la façon dont nos représentations romantiques sont construites, intériorisant une forme d’infériorité féminine, notamment un dévouement, et produisant des déséquilibres de pouvoir qui peuvent culminer en violences physiques et psychologiques. “Au Maroc, le système patriarcal impacte encore plus les amoureux dans leur quotidien”, interpelle Soufiane Hennani, fondateur de la plateforme “Machi Rojola” créée pour repenser et questionner la masculinité au Maroc. Alors que les femmes sont de plus en plus émancipées, elles hésitent encore aujourd’hui à s’habiller comme elles le veulent puisque leur tenue vestimentaire sera scrutée et jugée à l’extérieur. Si elles sortent le soir, idem. Le tout pour des considérations familiales et sociales. Car “que va-t-on penser ?”.

L’obsédante sexualité

La virginité féminine est encore pour beaucoup de familles issues des milieux populaires, garante d’honneur. Le test de virginité est ainsi monnaie courante dans certaines catégories sociales même si des médecins commencent à refuser de le pratiquer, le qualifiant d’humiliant pour les jeunes filles et d’inutile. Pour “restaurer” l’hymen perdu, certaines femmes ont recours à l’hyménoplastie (la reconstruction de l’hymen sans trace visible) “On ne peut plus parler de virginité mais d’hymen, tient à faire remarquer le psychothérapeute Aboubakr Harakat. Car beaucoup de femmes ont des relations sexuelles (sodomie, fellation, préliminaires) avant le mariage”, les relations sexuelles hors mariage demeurant un crime puni de prison en vertu de la loi 490. “Le Maroc est allergique à l’amour, peste Soufiane Hennani, car ce sujet implique la question des libertés individuelles.” “On nous apprend à mentir, à avoir honte, à faire des choses sans le dire, à vivre cachées… La vérité c’est que nous sommes tous hors-la-loi, avait clamé l’écrivaine Leila Slimani, en recevant le prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes, pour le travail réalisé par le Collectif 490 dont elle est à la cofondatrice aux côtés de la réalisatrice Sonia Terrab. Dans sa campagne L7hob Machi Jarima accompagnée du dépôt d’une pétition au Parlement réclamant l’abrogation des infractions pénales portant sur les libertés individuelles, le Collectif s’est donné pour mission d’être le porte-parole d’une jeunesse qui ne “demande (qu’) à être écoutée et elle le mérite. Elle est le futur, le Maroc de demain. À l’heure où la fuite des cerveaux impacte si lourdement notre pays et son développement, où cette jeunesse se sent opprimée, menacée dans sa liberté quotidienne élémentaire, vit dans la peur et dans la honte, et ne rêve plus que de partir, fuir, ne plus jamais revenir, est venu le temps de dire stop, d’affirmer et de marteler : l’Amour n’est pas un crime.” Pour Soufiane Hennani, l’amour est ainsi une lutte en soi. “Deux amoureux n’ont pas besoin d’une loi pour s’aimer mais leur amour permettra de déstabiliser le patriarcat car il est capable à termes de changer toute loi anti-amour.”

Chantage sexuelle

“La société patriarcale commence à battre en retraite”, estime le psychothérapeute Aboubakr Harakat, avant de préciser qu’il parle du milieu urbain. “Le Maroc est complexe, rappelle-t-il. Il en existe plusieurs, entre le monde rural et celui urbain, entre les classes aisée, modeste et pauvre.” Pour lui, les médias et les réseaux sociaux commencent à avoir des répercussions sur la société. Même si le mouvement MeToo qui a pris une ampleur internationale en 2017 avec l’affaire Harvey Weinstein, n’a pas eu de retentissement attendu au Maroc, il a engendré quelques hashtag comme #Masaktach pour dénoncer le harcèlement de rue, les agressions sexuelles et les violences envers les femmes. Mais depuis juillet 2021, les langues se délient avec le scandale retentissant “du sexe contre des bonnes notes” à l’université baptisé #MeTooUniv. Plusieurs affaires de harcèlements sexuels d’étudiantes par leurs professeurs, notamment des “séances de fellation” contre la validation du semestre, ont été révélées, entachant le milieu universitaire. Depuis, des professeurs ont été renvoyés et arrêtés, des directeurs ont dû démissionner, une commission d’enquête a été diligentée en urgence et des comités d’écoute et des numéros verts pour les étudiantes mis en place.

Vers un bouleversement amoureux ?

Pour le psychothérapeute Aboubakr Harakat, notre rapport intime à l’amour se  métamorphose déjà, sûrement mais doucement. Il l’observe au sein de son cabinet. “J’ai beaucoup plus de couples qui viennent me voir pour un problème d’éjaculation précoce, raconte-t-il. Cette initiative est prise par l’homme qui se préoccupe ainsi du plaisir de sa partenaire”. Et d’enchaîner: “J’ai eu un couple de patients, qui est venu pour le même problème. Le mari est tombé des nues lorsque son épouse lui a confié que, depuis 20 ans qu’ils sont ensemble, elle n’est aucunement satisfaite sexuellement. Il s’est senti trahi et n’a pas compris pourquoi elle n’avait pas parlé depuis.” Par pudeur ou pour ne pas le blesser, cette patiente s’est oubliée… volontairement. “Notre rapport à l’amour changera par le biais de l’éducation sexuelle”, plaide ce spécialiste, appuyant qu’il est important d’apprendre également aux enfants, filles et garçons, d’exprimer leurs sentiments et émotions, et d’arrêter la glorification du mâle au détriment de la femme. “Il est crucial de suivre l’évolution de la société notamment les attentes de la nouvelle génération qui s’enlace déjà au détour de la corniche de Casablanca ou dans d’autres endroits pour essayer de vivre pleinement leur amour.”

La masculinité positive

La masculinité positive joue un rôle important dans notre rapport à l’autre. Il permettrait de rééquilibrer les relations hommes-femmes, et, par ricochets, de réinventer l’amour. C’est en tout cas la conviction de Soufiane Hennani. “Nous luttons contre les masculinités toxiques et nous plaidons pour les masculinités positives, explique-t-il, en se revendiquant au passage de féministe. Il faut arrêter de promouvoir certains idéaux traditionnels masculins (domination violence, misogynie,…), freinant l’égalité.” Pour Laïla Marrakchi qui a réalisé l’un des épisodes de l’émission de 2M intitulé “Des histoires et des hommes” consacrée à l’amour, “les hommes souffrent tout autant que les femmes, explique-t-elle. Lors du tournage de ce documentaire, j’avais des idées reçues sur la relation homme-femme et sur les couples qui ont très vite été balayées par mes interlocuteurs. Car les femmes ont peur des hommes mais les hommes ont aussi peur des femmes et du rôle qui leur est adossé.” Et de développer : “Il y est bien sûr important de déconstruire les codes mais cela ne signifie pas en adopter d’autres ?” “Tout est une question de respect, argue, de son côté, Aboubakr Harakat. Ce respect nous permettra enfin de vivre notre amour que ce soit dans l’espace public, en famille ou à la maison.” Ainsi, ce respect nous aidera à changer notre perception du corps des femmes dans la société et à bousculer le conformisme social. Car l’amour n’a pas de limites. Ni de cadre. Il se vit par définition librement. 

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