Au cours de son histoire, le couple traverse une série de phases, de la plus intense à la plus tumultueuse. Parmi elle, l’isolement. Ensemble, les deux tourtereaux qui se bécotaient sans cesse avec passion au début de leur relation, semblent n’être que l’ombre de leur amour… “Généralement, le sentiment d’isolement est consécutif à des échecs répétitifs de communication, dus principalement à des incapacités de l’un, de l’autre ou des deux, explique Bernard Corbel, psychologue et psychothérapeute qui a notamment constaté que les mesures prises pour endiguer la pandémie de Covid-19 ont accentué ce sentiment. Les erreurs de communication dans le couple reposent sur le manque d’empathie, lui-même lié à une attitude de domination, laquelle se dispense d’écouter l’autre. Quand on n’est pas averti, chacun cherche des moyens (paroles, comportements) pour dominer l’autre et cela conduit à l’échec du couple.” Pour Najat Kobi, thérapeute de couple, la solitude émotionnelle s’installe lorsque le couple n’arrive pas à se mettre à nu, ne déballant aucunement ses sentiments, peurs et craintes. “Cette notion de vulnérabilité est extrêmement importante, surtout dans le contexte marocain, interpelle la spécialiste. Montrer à l’autre notre vulnérabilité, c’est-à-dire nos faiblesses et nos failles, est quelque chose que nous faisons très difficilement car nous avons très peur que l’autre les utilise contre nous.” Aussi, enfermons-nous à double tour dans le silence, stoïque, du moins, à première vue, face à ce mal intérieur qui nous ronge…
La désillusion, une épreuve
Dans son imaginaire, tout un chacun dresse le portrait de son partenaire idéal, unique et irrésistible, passionné et passionnant, s’inventant ainsi une multitude de scénarios sortis tout droit des plus beaux films romantiques qu’ait connu le cinéma. Or, la réalité est tout autre. Aussi, l’atterrissage est souvent source de coupure dans la relation, engendrant par ricochets, ce sentiment de solitude… Toutefois, comment faire la distinction entre des attentes légitimes et illégitimes ? “Elles ne sont ni l’une, ni l’autre, répond Najat Kobi. Ce sont des attentes que nous portons dans nos bagages. Elles se forgent à travers notre personnalité, notre estime de soi, nos précédentes expériences amoureuses, et parfois même notre vision du couple formé par nos parents.” Et de disséquer : “Les attentes sont basées sur la naturelle nécessité de recevoir et le besoin de donner mais surtout sur l’illusion de complitude : nous naissons incomplet, et l’autre va venir combler nos besoins et nos manques, ce qui est complètement illusoire. Mais nous y croyons. Pour recevoir ce qui nous manque, nous allons devoir séduire, mettre un masque, gommer au maximum nos défauts pour être “aimable”. Ainsi, devenons-nous tout d’abord amoureux du masque de l’autre, avant qu’il ne tombe… Pour que le couple survive face à cette succession de désillusions, il va falloir mettre en place un processus. C’est là, la finalité d’une relation : continuer à être “aimable” alors que les masques éclatent les uns après les autres.” Pour Bernard Corbel, personne ne devrait se limiter à attendre que l’autre satisfasse ses propres besoins et désirs. “Mieux vaut au contraire chercher à savoir comment permettre davantage l’épanouissement de l’autre, et comprendre ce qui en est un obstacle, développe-t-il. Le don de l’autre devrait être de l’ordre du contre-don. Ainsi, avant d’être déçu(e) de ne pas avoir reçu, il faut plutôt commencer par se responsabiliser.” Néanmoins, Il est aussi important de comprendre que nous n’avons en rien entaché la relation. “Il faut se méfier de la culpabilité, poursuit-il. Être à la fois victime et culpabiliser, c’est assurément se sentir terriblement déçu(e) et en peine de discerner le légitime et l’illégitime. On peut se sentir rejeté(e), abandonné(e) et cela peut être un fait ou bien une conviction erronée.”
Se retrouver
Pour tenter de relever un couple à terre, il faut tout d’abord se recentrer sur soi, nous offrant un second souffle vital et du recul indispensable pour avoir une autre vision de notre union. “Pour pouvoir partager mes émotions, mes espoirs et mes rêves dans le couple, je dois apprendre à les identifier, guide Najat Kobi. Il faut se demander qui je suis en dehors des injections du monde extérieur, ainsi que faire le tri entre ce qui m’appartient et ce qui appartient aux autres (ma famille, mes parents, la société…). Tout ceci passe par un vrai travail d’introspection souvent douloureux qui reste très difficile à mener seul.” Elle conseille ainsi d’être accompagné(e) par un thérapeute pour “gagner du temps dans le chemin qui mène à nous-mêmes.” Un avis partagé par Bernard Corbel. “En dehors d’une démarche avec un psychologue, ce qui m’apparaît comme quasi indispensable pour connaître ses responsabilités et actions possibles, on pourrait au moins se tourner vers la méditation et utiliser des outils de recherche de pleine conscience, appuie-t-il. En parallèle, jour après jour, il faut se mettre dans l’observation factuelle de ce que dit et fait le partenaire. L’inconscient opérera et il en ressortira des comportements ou des prises de paroles capables de générer des changements.”
les ÉPREUVES de la vie
Au cours de sa vie, le couple doit aussi surmonter une série d’épreuves comme la naissance d’un enfant, le deuil, et parfois l’apparition d’une maladie grave. Des situations qui peuvent ainsi faire glisser l’un des partenaires, ou les deux, dans une profonde solitude. “Cela dépend de la capacité de résilience de chacun, ou au minimum d’un des deux, signale Bernard Corbel. La résilience sera d’autant plus forte que l’on bénéficiera d’appuis extérieurs.”
Pour ce spécialiste, il faudrait ainsi arriver, le moment voulu, à pouvoir communiquer sur la redéfinition d’une vision et d’objectifs du couple, donnant l’exemple d’un temps pour se retrouver à deux au moins une fois par mois, par des séquences de 36 à 48 heures. “Quand on parle de lien amoureux dans le couple, on parle d’intimité, ajoute Najat Kobi. Par exemple, on peut prendre davantage soin de l’autre, être à son écoute et y répondre adéquatement, ou encore renforcer notre sentiment de mutualité en se considérant de plus en plus comme une seule entité.” Mais pour ne plus avoir le sentiment d’être coupé(e) l’un de l’autre, “il est nécessaire d’avoir envie d’investir du temps et de l’énergie pour se reconnecter, souligne-t-elle. Pour cela, intéressez-vous de nouveau à l’autre en lui posant des questions sur les sujets qui lui tiennent à cœur et en écoutant vraiment les réponses. Vous pouvez aussi démarrer une nouvelle activité ensemble. Ce qui très important, c’est que le couple veuille mettre de l’énergie à la construction de la “maison-couple”. S’il y en a qu’un seul qui prend des initiatives et que l’autre subit ou juste suit, le bâtiment s’écroulera…” Mais, la solitude, à juste mesure, peut tout aussi être bénéfique.
“Tous les individus oscillent entre les deux pôles d’extraversion et d’introversion, indique Bernard Corbel. Je conseille toujours de fuir les extrêmes. Si vous avez un besoin exclusif de rester chez vous, recherchez plutôt une voie médiane et soyez aussi capable de vous extravertir le moment venu en appréciant les rencontres avec des amis ou encore en partageant des sorties. En somme, l’idéal, c’est de pouvoir être sociabl(e), de jouer d’une capacité de contact, mais aussi de s’octroyer des moments rien qu’à soi pour penser, réfléchir, créer à partir de son imaginaire. Si on est en couple il faudrait pouvoir négocier des plannings selon ces deux aspects pour chacun des deux partenaires.”
Et de lâcher : “la solitude sera encore plus bénéfique si elle s’accompagne, en alternance, de la vie à plusieurs.” Oh l’amour, un long travail de communication… vital !