J’étais ce qu’on peut appeler une carriériste, et je disposais de toutes les compétences nécessaires pour gravir les échelons au sein de l’entreprise qui m’employait. Pour atteindre mes objectifs, je n’étais jamais avare de mon temps. Je faisais des heures supplémentaires et je n’hésitais pas à travailler les soirs et les weekends… j’étais convaincue que le travail acharné finirait par payer. Un jour, j’ai appris que je pouvais prétendre à une promotion. C’était l’opportunité que j’attendais. Mais rapidement, mon rêve a viré au cauchemar. Mon supérieur m’a clairement fait comprendre que cette promotion n’était pas tributaire de mes compétences professionnelles. J’avais toujours considéré mon supérieur comme un mentor, un homme doté d’une grande expérience et qui me guidait dans ma carrière. Nous échangions souvent des messages, et j’avoue que je ne trouvais pas étrange que nous communiquions en dehors des heures du travail. Mais tout a changé lorsqu’il a commencé à me faire des avances.
Une promotion espérée et des avances déplacées
Un soir, après une réunion tardive au cours de laquelle nous étions restés pour discuter d’un projet important, il a posé sa main sur ma jambe. Mal à l’aise, J’ai fait comme si de rien n’était, pensant qu’il ne s’agissait que d’une maladresse. Mais ensuite, il m’a fait des commentaires déplacés, sur mon apparence, sur “l’énergie” que je dégageais, disait-il d’une voix mielleuse. À ce moment-là, j’ai compris que quelque chose clochait. Les jours suivants, il a intensifié ses avances. Des messages à des heures tardives, des invitations à dîner sous prétexte de discuter de ma promotion. Au début, j’essayais de lui répondre poliment, tout en déclinant ses invitations. Je me disais qu’il finirait par comprendre et me laisserait tranquille. Mais un jour, il a été très clair : si je voulais cette promotion, il fallait que je “sois plus flexible”, que je “fasse des efforts”. J’étais choquée. Comment en était-on arrivé là ? Comment un homme que je respectais avait pu utiliser sa position pour me manipuler de cette façon ? J’ai aussi commencé à me poser des questions sur mes propres actions. Avais-je fait quelque chose pour l’encourager ? Était-ce ma faute ? C’est une pensée qui m’a rongée pendant longtemps. Je me sentais coupable, honteuse. J’ai commencé à l’éviter autant que possible, mais c’était difficile, car il supervisant les projets sur lequel je travaillais, usant toujours de prétextes pour m’appeler ou me demander de rester après les réunions. La situation est devenue insupportable. Je n’en parlais à personne, car je craignais que personne ne me croie : mon supérieur jouissait d’une bonne réputation au sein de l’entreprise. J’avais aussi peur des représailles. Si je parlais, est-ce que cela mettrait fin à ma carrière ? Est-ce que les autres collègues me verraient différemment ? J’étais dans le déni total de ce qui m’arrivait…
Ce sentiment de honte a été heureusement atténué lorsque j’allais sur les réseaux sociaux et que je lisais les témoignages de femmes ayant subi le harcèlement. Cette prise de parole et cette dénonciation des agresseurs m’a fait comprendre que ces femmes partagent les mêmes sentiments de peur, de honte, mais aussi de colère et d’envie de justice. Leur courage m’a inspirée.
Sortir du déni et dénoncer
J’ai donc décidé de parler. Je me suis d’abord confiée à une amie proche. Lui dire à voix haute ce que j’avais vécu m’a fait réaliser l’ampleur de ce que j’avais gardé en moi. Elle a été choquée, mais incroyablement solidaire. Elle m’a encouragée à ne pas me laisser faire, à prendre des mesures pour me protéger. Ensuite, j’ai pris une décision difficile : aller voir les ressources humaines de mon entreprise et leur exposer la situation. Ce n’était pas facile, mais sans grande surprise, ils n’ont pas pris ma plainte au sérieux. Je me souviens que la RH m’a dit d’un ton condescendent “c’est votre parole contre la sienne et le monsieur dont vous parlez est un homme respectable”. J’étais outrée, choquée. J’ai décidé de constituer un dossier et de consulter un avocat afin de porter l’affaire devant le tribunal. L’attente a été longue, angoissante. Un jour, j’ai reçu un appel. Devant les preuves accablantes que j’ai fournies, et ayant peur d’entacher la réputation de l’entreprise, la RH m’a convoquée et m’a proposée un arrangement à l’amiable. Dans la foulée, elle m’a annoncé la mise à pied de mon supérieur qui a fini par démissionner…. J’ai ressenti un mélange de soulagement et de déception, car même si la justice a été rendue (à moitié), cela ne guérissait pas les blessures profondes que ce genre de situation inflige. J’ai appris que le silence ne protège pas et qu’il ne faisait que prolonger la souffrance. En racontant mon histoire, je veux encourager d’autres femmes à ne pas se taire. Ce n’est pas aux victimes de porter ce fardeau. Il faut que les agresseurs soient tenus responsables de leurs actes. Les différents mouvements qui dénoncent le harcèlement m’ont donné la force de prendre la parole, mais ils m’ont aussi montré que la route est encore longue. Au Maroc, le harcèlement sexuel est encore trop souvent minimisé ou ignoré. Il est temps que les choses changent.