“Ma vie est brisée”, le rapport choc d’Amnesty International sur l’avortement

« Ma vie est brisée », c’est l’intitulé du rapport porté par Amnesty International sur l’urgence de dépénaliser l’avortement au Maroc. Entretien avec Stephanie Willman Bordat et Saida Kouzzi, les deux consultantes indépendantes qui ont mené ladite étude.

Quel constat, notamment chiffré, révèle le rapport d’Amnesty International sur la situation au Maroc ?

L’une des conséquences de la criminalisation de l’avortement, est justement le manque de données qui soient officielles, à jour, fiables, et publiques.  Comme l’avortement est considéré comme une question pénale et non pas un problème de santé, il n’a aucune information statistique relative au sujet.  Des associations, notamment l’Association Marocaine de Planification Familiale (AMPF) estime que le nombre d’avortements pratiqués chaque année au Maroc varie entre 280 000 et 370 000, ce qui représente entre 700 et 1 000 avortements par jour.  Pour cette raison, parmi les recommandations détaillées dans le rapport, l’État, et particulièrement le ministère de la Santé et le Haut Commissariat au Plan (HCP), devrait recueillir des données, établir des statistiques et mener des recherches sur l’avortement au Maroc. Par exemple, la collecte d’informations sur les avortements auprès d’établissements de santé et l’intégration de questions sur l’avortement lors des enquêtes nationales sur la population et la santé familiale.A titre d’informations, nous avons réalisé, pour ce rapport, des entretiens individuels avec 77 personnes, dont 33 femmes ayant cherché à obtenir un avortement, dans différentes régions du pays, ainsi que deux médecins généralistes et deux gynécologues, une travailleuse sociale exerçant dans un hôpital, trois avocats, un juge et des représentant·e·s de 15 ONG marocaines. Le rapport avait comme objectif d’analyser l’impact de la criminalisation de l’avortement sur les droits des femmes. 

Le Code pénal marocain interdit l’avortement sauf en cas « de mesure nécessaire pour sauvegarder la santé de la mère ». Dans ce cas-là, comment se déroule la procédure ? Combien d’IVG légaux sont pratiqués au Maroc ?

En l’absence de données, il n’a pas été possible de savoir combien d’IVG légaux sont pratiqués au Maroc.  Les entretiens que nous avons menés avec les femmes et autres parties prenantes suggèrent que l’avortement légal est très rarement pratiqué au Maroc, même lorsque l’acte serait justifié au titre des lois extrêmement restrictives actuellement en vigueur.  Nous n’avons trouvé aucun cas de femme ayant eu recours à un avortement par l’intermédiaire de la procédure « légale ». En effet, aucune des femmes interrogées n’a laissé entendre que les médecins avaient ne serait-ce que vérifié si les risques pour leur vie ou leur santé étaient suffisants pour qu’elles puissent bénéficier d’un avortement légal. De plus, aucune d’entre elles ne s’est engagée dans la procédure nécessaire, fastidieuse, intrusive et longue, qui dissuade probablement les femmes d’essayer d’avorter légalement. Des professionnels de la santé ont expliqué que, même dans les cas où ce serait légal, ils ne pratiquent même pas d’avortements légaux.  Ceci à cause du manque d’un cadre réglementaire ainsi que les menaces de sanctions professionnelles et de poursuites pénales qui pèsent sur eux.  Une femme que nous avons interviewée avait des problèmes cardiaques très graves. Malgré le fait que sa grossesse non planifiée et non désirée mettait sa vie en danger, le gynécologue-obstétricien a refusé de pratiquer l’avortement. Elle a été forcée de mener la grossesse à terme et a accouché dans des conditions dangereuses et déplorables.  Pour cette raison, nous poussons le Ministère de la Santé à adopter un cadre réglementaire assurant des services d’avortement conformes aux « Lignes directrices sur les soins liés à l’avortement » de l’OMS.

La situation des femmes enceintes après un viol est-elle prise en compte dans ce cadre légal ?

Non, pas du tout.  Dix des 33 femmes avec qui nous nous sommes entretenues ont déclaré être tombées enceintes à la suite d’un viol, commis par un inconnu, un voisin, un compagnon ou un mari, et, à cause du cadre légal actuel qui est obsolète et inadapté, ont été forcées de mener la grossesse à terme.  Les résultats de la recherche montrent deux choses. Premièrement, les modifications au Code pénal proposées en 2016, et ensuite retirées, qui auraient autorisé l’avortement dans quelques rares cas exceptionnels, y compris le viol, n’auraient pas permis d’assurer un accès à l’avortement pour les femmes.  Les procédures et autorisations administratives nécessaires proposées en vue d’obtenir un avortement légal étaient trop complexes, demandaient beaucoup de temps et étaient irréalistes. Du fait de l’incapacité de l’État à répondre correctement aux violences sexuelles, ces dispositions n’auraient pas été utiles aux victimes de viol.  Notamment à cause des très faibles taux de signalement des violences sexuelle – environs 3% – due en grande partie à la criminalisation des relations sexuelles en dehors de mariage qui menace de transformer des victimes en criminelles. Deuxièmement, en plus des cas de viol, il y a plusieurs autres facteurs qui privent les femmes et les filles du droit de prendre des décisions autonomes de tomber enceinte ou pas.  L’accès inadapté à la contraception affecte de manière disproportionnée les femmes non mariées, qui risquent de se voir refuser une contraception gratuite dans les établissements de santé, ainsi que les femmes qui n’ont pas les moyens d’acheter à la pharmacie des moyens de contraception. L’État ne garantissant pas la sécurité sociale, physique et économique des femmes et des filles, elles sont par conséquent dépendantes de leur compagnon ou des hommes de leur famille et risquent donc davantage de subir des violences de leur part. L’absence de justice économique – le chômage et migration interne – ainsi que le manque de sécurité mettent les femmes et les filles à risque de prédateurs au travail et à l’école. Tous ces éléments favorisent les grossesses non planifiées et non désirées, et relèvent de la responsabilité de l’Etat.

La criminalisation de l’avortement oblige des femmes et des filles à se tourner vers des avortements clandestins. Quels risques entraînent-ils ?

La criminalisation de l’avortement oblige des femmes et des filles à se tourner vers des avortements clandestins, souvent pratiqués dans des conditions non sécurisées, qui les exposent à des formes multiples de violence et mettent en péril leur santé et leur vie.  Les femmes interviewées avaient fait de nombreuses tentatives de se faire avorter, et ceci de manière répétée pendant plusieurs mois ou tout au long de la grossesse.  Ces méthodes sont la plupart du temps, non seulement dangereuses mais aussi inefficaces.  Parmi les méthodes dangereuses évoquées lors des entretiens figurent l’utilisation détournée de médicaments, l’ingestion de diverses préparations à base de plantes ou de produits chimiques et diverses formes de violence physique, que les femmes s’infligent elles-mêmes ou que d’autres personnes leur infligent.  Certaines ont tenté de se suicider. D’autres femmes ont finalement dû se rendre à l’hôpital d’urgence pour des soins pour de graves complications après avoir tenté d’avorter par leurs propres moyens.  Plusieurs des femmes interrogées ont indiqué avoir été la cible de violences verbales, physiques ou sexuelles pendant la procédure d’avortement ou de soins post avortement.  Une a même été soumise à un interrogatoire par la police à l’hôpital pendant qu’elle recevait des soins après un avortement, et condamnée par la suite à la prison pour relations sexuelles en dehors du mariage.  En plus des préjudices physiques et mentaux immédiats et à long terme, on trouve également que les femmes par la suite n’avaient pas pu terminer leurs études, elles avaient dû quitter leur emploi et/ou déménager dans une autre ville, avec le risque de se retrouver sans abri.

Dans votre rapport, vous avez également mis en avant la discrimination économique liée aux avortements clandestins. Au travers des témoignages recueillis, quels sont, selon les méthodes, les coûts de ces avortements ?

La criminalisation de l’avortement cause une augmentation du coût des méthodes d’avortements et des frais des prestataires de services, ne permettant dès lors l’accès aux avortements sécurisés qu’aux femmes ayant les moyens de les payer.  Les conditions dans lesquelles sont pratiqués les avortements varient donc très largement en fonction des moyens financiers des femmes, et en fonction des différentes méthodes utilisées.  Par exemple les méthodes orales pour provoquer soi-même un avortement coûtaient entre 100 à 400 dirhams pour un mélange de plantes, jusqu’à 4 000 dirhams pour les comprimés Artotec sur le marché noir. Le prix de ces derniers a beaucoup augmenté après son interdiction en 2018.  Les avortements réalisés par l’intermédiaire d’une accoucheuse traditionnelle coûtent entre 1 000 et 4 000 dirhams, avec des prix qui augmentaient en fonction de la méthode, qu’il s’agisse de la prise supervisée d’un mélange de plantes ou de comprimés ou bien de la combinaison de méthodes orales supervisées et de méthodes physiques telles que l’insertion d’un objet dans le vagin.  Les prix d’un avortement réalisé dans une clinique ou un cabinet médical privé allaient de 1 500 à 8 000 dirhams, avec les moins chers pratiqués sans recours à l’anesthésie, dans des conditions insalubres et sans intimité.  On voit que la discrimination économique et le coût trop élevé des méthodes d’avortement et des services associés ont des conséquences directes pour la qualité des soins que les femmes peuvent obtenir. Ces prix sont prohibitifs pour de très nombreuses femmes, ce qui cause des inégalités dans l’accès à l’avortement et une discrimination fondée sur la classe sociale et la situation économique.

De cette collecte de données, quelles analyses faîtes-vous ? Quelles recommandations émettez-vous ?

Les résultats de la recherche montrent comment, à travers les lois et politiques, l’Etat est en train de bafouer un vaste éventail des droits des femmes et des filles, et ceci à chaque étape de ce parcours, depuis leur décision d’être enceinte ou pas, jusqu’aux conséquences du fait de ne pas pouvoir obtenir un avortement sûr et légale.  Parmi ces droits, le droit à la vie, le droit à la santé, le droit à la vie privée, le droit de ne pas subir d’actes de torture ou d’autres mauvais traitements, et l’égalité entre hommes et femmes.  Les réalités décrites dans cette étude démontrent également que la criminalisation de l’avortement est en train de saper les efforts de l’Etat et de la société civile de lutte contre les violences faites aux femmes, le dénuement  économique et la discrimination basée sur le genre.  Au contraire, la criminalisation est en train de justifier, d’alimenter, et de perpétuer ces violences, ce dénuement  économique, et cette discrimination. Pour ces raisons, le rapport appelle le gouvernement marocain à retirer la question de l’avortement du domaine de l’application des lois en tant qu’infraction pénale et d’en faire une question médicale relevant du ministère de la Santé.  Il faut abroger toutes les dispositions du Code pénal criminalisant le fait de demander, d’obtenir, de pratiquer ou de faciliter un avortement et d’obtenir des informations, médicaments et services liés à l’avortement.  Il faut également mettre en place des politiques, plans d’action et ressources qui assurent un accès équitable et en temps opportun des femmes et des filles, à des informations et de services disponibles, accessibles, sûrs, abordables, acceptables et de bonne qualité en matière de santé sexuelle et reproductive, y compris en matière d’avortement, et ceci sans discrimination.

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