Vous célébrez en cette année 2024 vos trente ans de carrière. Quel regard portez-vous sur votre parcours ?
Je suis plus ou moins satisfaite de mon parcours, de ce que j’ai pu réaliser, même si je suis une éternelle insatisfaite. J’ai débuté dans le domaine à l’âge de 17 ans, car j’ai toujours su que je voulais être comédienne. C’est grâce à mon père qui m’a toujours soutenue, épaulée et encadrée que nous avons tracé ensemble ces 30 ans de carrière. J’aurais adoré qu’il soit encore parmi nous pour fêter cela. Ce spectacle représente certes un rendez-vous que je donne à mon public pour fêter mes 30 ans de carrière mais c’est aussi un rendez-vous que je donne à mon père pour honorer son vœu, celui de me voir sur scène.
Pourriez-vous nous donner plus de détails sur votre spectacle « 30 ans de rire », actuellement en tournée dans plusieurs villes marocaines ?
Ce spectacle est une sorte de nostalgie et d’autobiographie. Je n’ai pas voulu que ce soit du Stand Up, un humour que je respecte. Je ne me voyais pas parler de ma vie qui est basique : je suis avant tout une maman qui est comédienne. Mais c’est une autobiographie de mes personnages que j’ai voulu mettre en avant. Ces personnages que j’ai incarnés au fil des ans sont le reflet de la société marocaine, de mon pays le Maroc. Dans ce spectacle, j’ai tenu à présenter les sujets avant les personnages. J’ai donc installé les protagonistes en fonction de ce que j’avais envie de dire. C’est un spectacle qui porte des messages d’amour, de tolérance, d’acceptation de l’autre et qui met en scène des personnages qui véhiculent des choses positives. On en a tellement besoin aujourd’hui ! Dans ce spectacle, je signe ma première mise en scène. J’ai tenu à garder le fameux rideau rouge pour rappeler l’ancien théâtre, que j’allais voir avec mon père. Ce spectacle est plein de références personnelles qui sont un clin d’œil à mon père. J’espère qu’il sera heureux et fier de moi.
Vous êtes issue d’une famille d’artistes. Cela vous a-t-il aidé dans votre cheminement et vos choix de carrière ?
J’ai eu la chance de grandir dans une famille d’artistes. Forcément, avoir des frères et sœurs qui sont dans le milieu, ma mère qui, bien qu’elle reste dans l’ombre, gère un peu toute cette petite “entreprise”, ça aide. Mais lorsque le comédien est face à son public, c’est le talent qui prime. On l’a ou on ne l’a pas. Le fait d’avoir une famille dans le milieu m’a bien entendu aidée, mais aujourd’hui j’ai voulu me prouver à moi-même qui je suis et ce que j’ai accompli
Vous êtes au top des humoristes marocains, et l’une des rares femmes à exceller dans ce domaine. En tant que femme, peut-on dire qu’il a été difficile pour vous d’évoluer dans le show-business ?
Honnêtement je n’ai jamais fait la différence entre l’humour féminin et masculin. L’humour n’a pas de religion, de sexe ou d’appartenance. On juge plutôt le comédien sur ce qu’il a à dire sur scène, c’est pour cette raison que je ne me suis jamais sentie bloquée ou marginalisée. Lorsque je suis arrivée dans ce domaine, il y avait déjà des femmes qui ont balisé le terrain, notamment Khadija Assad et Touria Jabrane. Celle-ci a incarné très tôt le rôle de l’homme dans “Massrahiat ayyam al ghaba”. Personnellement, j’estime que lorsqu’un artiste exerce ce métier, il doit prendre la mesure de ce qui a été accompli pour qu’il puisse tracer son propre chemin. Tout ceci m’a permis de me forger ma propre identité sans pour autant copier les autres. Je pense que cette démarche est très importante. Tout au long de ma carrière, j’ai été encouragée par des amis de mon père, des acteurs et c’est grâce à eux que j’en suis là aujourd’hui.
Lors de vos prestations, vous réussissez à entrer dans la peau d’une multitude de personnages. Comment se fait le choix des personnages et des métamorphoses ? Quels sont les personnages qui vous ont le plus marquée ?
Tous les personnages que j’ai interprétés jusqu’à aujourd’hui ont une importance, et une place spéciale dans mon cœur. Ces personnages ont une particularité, c’est qu’ils viennent d’un background, ils ont un vécu. Ce sont des personnages qui sont minutieusement étudiés. J’essaie de joindre l’utile à l’agréable, c’est-à-dire qu’il y a le personnage, le texte et le sujet. Quand on arrive à joindre ces univers ensemble, cela apporte une identité et un poids à mon message et à mon interprétation. J’ai incarné un grand nombre de personnages : l’immigrée, la bourgeoise, la petite fille, Tata Hanane, etc. Quand je pense à ces personnages, j’ai le sourire aux lèvres et une certaine nostalgie pour les personnages que j’ai interprétés à mes débuts. Il m’arrive parfois de reprendre d’anciens personnages. Dans mon nouveau spectacle, il y a le personnage du prisonnier, de la vieille dame, l’occasion pour moi d’aborder le thème de l’abandon des personnes âgées, un phénomène qui devient récurrent au Maroc, alors que cela n’existait pas dans notre culture. À travers ces personnages, j’aspire à être l’une des porte-paroles de ces catégories.
Avec votre regard aiguisé et votre recul, quel regard portez-vous sur la nouvelle génération d’humoristes marocains ? Pensez- vous que la relève est assurée ?
La présence des jeunes est là. Nous avons la quantité mais nous cherchons toujours la qualité. Je ne généralise pas, car certains sortent du lot. Il y a beaucoup de filles qui percent sur Instagram. Mais il ne faut pas oublier que les réseaux sociaux ont une durée de vie qui n’est malheureusement pas éternelle. Il faut donc travailler sur le fond, car il ne s’agit pas d’être dans sa chambre devant la caméra de son téléphone à se déguiser avec des moustaches et des perruques. Aujourd’hui il y a des jeunes filles qui me contactent et qui font des choses très sympathiques sur les réseaux sociaux, car elles ont compris qu’il fallait passer à autre chose. Ces filles-là ont besoin d’un coup de main, et c’est pour cela que je compte déployer un projet en faveur de l’humour au féminin. J’attends que mon spectacle soit bien rodé pour leur donner un coup de pouce, les mettre en scène et monter un projet avec elles.
Justement, vous êtes une source d’inspiration intarissable pour cette génération d’humoristes, quels conseils aimeriez-vous leur donner ?
Mon conseil est de continuer à travailler, dans l’ombre, le silence et la discrétion. On n’a pas besoin de s’afficher sur les stories pour prouver que l’on travaille. Ce qu’il faut faire absolument c’est se nourrir de pièces de théâtre, regarder beaucoup de films, voyager, apprendre, lire, s’enrichir de l’intérieur pour être plus fort une fois sur scène. Il faut se perfectionner, ne pas croire que faire 10 minutes sur scène est suffisant pour réussir à tenir 1h30 sur les planches…Cette nouvelle génération peut me croire sur parole, durer dans le temps est finalement le vrai challenge.
Longtemps imitée, jamais égalée. Comment pourriez-vous décrire votre humour ?
C’est un humour qui vient du cœur, sincère. J’ai toujours eu envie de faire changer les choses, changer les mentalités sans pour autant les brusquer ou les choquer. Nous avons plein de choses à revoir ensemble, que ce soit sur la cause féminine, sur la situation des mères, la tutelle sur leurs enfants, etc. J’ai envie aujourd’hui d’aller plus loin dans ce sens, pour que mon passage soit marquant et surtout utile. Je n’ai pas envie d’avoir de regrets dans 10 ans. C’est donc un humour proche de mon public où je donne la liberté aux spectateurs d’interpréter mes vannes.
À votre avis, peut-on rire de tout ?
Bien sûr que l’on peut rire de tout ! On peut aborder tous les sujets. Mais tout dépend de la façon dont on va en parler. Pour ma part, je n’aime pas choquer, ce n’est ni dans ma nature, ni dans mes principes ou mon éducation. Cependant, j’aime faire bouger les choses avec délicatesse, finesse et de manière artistique.
Au cours de votre carrière, avez-vous constaté un changement dans la façon de rire des Marocains ?
Les mentalités ont changé, l’esprit des Marocains a évolué. Il est certain qu’aujourd’hui, certaines choses sont plus acceptées que d’autres. On sait tous que l’humour est basé sur trois points essentiels, à savoir la religion, la politique et la sexe, mais au Maroc on ne peut pas trop s’attarder sur ces choses. C’est pour cela que la tâche d’un humoriste marocain est beaucoup plus difficile et complexe que celle d’un humoriste en France par exemple, car celui-là peut tout se permettre ou presque. Aussi, lorsqu’un artiste marocain arrive à faire rire son public il y a beaucoup plus de satisfaction et de mérite.
Photographe Sajid Mohamed
Stylisme et réalisation ANAS YASSINE
Maquillage Nadia Lakrim
Coiffure Mohamed Mezian
Post prod Abdel Kebdani
Remerciements Cocqlicot Atelier Floral