Le Tabou du Viol Conjugal au Maroc

Dans les méandres de la vie conjugale au Maroc, le consentement sexuel entre époux reste un sujet brûlant et souvent minimisé. Malgré les efforts des militants des droits des femmes, le viol conjugal demeure une réalité peu reconnue, soulevant des questions juridiques complexes et des défis culturels profonds.

Dans la vie de couple, le consentement, autrefois considéré comme acquis dans le cadre de l’engagement initial, est actuellement remis en question à plusieurs égards. Et lorsque cela concerne les relations intimes entre conjoints, la question suscite des passions. Dans plusieurs pays, le consentement à des actes intimes ou sexuels est une condition même au sein du mariage. Dans d’autres pays où la tradition et les interprétations religieuses influencent fortement les pratiques matrimoniales, la question du consentement dans la vie conjugale est souvent complexe. Pour beaucoup, le mariage consacre un accord initial entre les époux, officialisant ainsi leur union et instaurant la notion de « devoir conjugal ». Ce dernier est alors considéré comme consenti et permanent. « Quand je ne veux pas, je ferme les yeux et j’attends que cela se termine », confie Saïda, mariée et mère de quatre enfants. Pour elle, répondre aux besoins de son époux est « normal et va de soi, sinon, je serais en train de l’inciter à chercher satisfaction ailleurs ».

Cette perception implique que les femmes doivent être disponibles pour leur mari au détriment de leur propre désir. Elle met en lumière une idée largement répandue dans la société marocaine, où le sujet du viol conjugal est souvent minimisé, voire ignoré. Ilham Ouadghiri, militante des droits des femmes et ancienne présidente de l’association Initiative pour la protection des droits des femmes (IPDF), explique que dans une culture où la mentalité masculine prédomine, les femmes peuvent ressentir une forte pression sociale pour satisfaire les besoins sexuels de leur mari, même au détriment de leurs propres désirs. « De ce fait, ces femmes pensent qu’il est de leur devoir de répondre aux désirs sexuels de leur conjoint pour maintenir la stabilité de leur foyer et de leurs relations sociales », ajoute la militante féministe.

Viol Conjugal

Le viol conjugal reste donc un sujet délicat à aborder. Les études sur les violences conjugales accordent souvent peu d’attention aux violences sexuelles, bien que leur existence soit bien réelle. Même dans les pays où de telles actions sont incriminées, il existe peu de données précises sur ce sujet au Maroc. Et pour cause, le viol conjugal, même dans les législations qui le reconnaissent, reste le plus difficile à prouver et donc à sanctionner. « Les victimes redoutent souvent le jugement social et la colère de leur conjoint, ce qui les dissuade de signaler ce type de violences conjugales », souligne Ilham Ouadghiri. Cette crainte peut en partie expliquer le fort sentiment de culpabilité ressenti par de nombreuses victimes. « La honte et la culpabilité constituent des obstacles majeurs à la révélation des violences sexuelles matrimoniales, parfois au point d’empêcher les victimes de les subir silencieusement pendant de longues années », ajoute la militante féministe.

Tout comme il existe des cas de viol où les victimes et les agresseurs se connaissent, il existe des cas de viol où ces derniers entretiennent une relation intime consentie. « La violence, sous toutes ses formes, n’a pas de frontières. Ni le niveau d’éducation, ni le statut économique, ni l’appartenance à une classe sociale ne préservent les femmes de la violence », affirme Ilham Ouadghiri avec conviction. Selon les données du Centre Batha pour l’autonomisation des femmes victimes de violences basées sur le genre, géré par l’IPDF, les femmes victimes de viol conjugal proviennent de divers milieux sociaux. Ilham Ouadghiri souligne que le Centre Batha accueille environ 1.000 femmes victimes de violences de genre par an, la plupart étant victimes de viol conjugal. Malgré cela, le viol conjugal est rarement pris en compte dans les plaintes officielles en raison de son absence de statut criminel dans la législation marocaine. « Les associations féminines continuent de faire pression pour que le viol conjugal soit criminalisé », fait savoir la militante féministe.

Vide juridique

Le viol conjugal n’est ni considéré comme un crime ni comme un délit au Maroc, laissant ainsi sa définition sujette aux jurisprudences et à l’interprétation des juges d’un tribunal à l’autre. Certains cas sont jugés en vertu des dispositions légales sur le viol ou d’autres lois et textes juridiques du Code pénal, liés à l’atteinte à la pudeur, aux coups et blessures ou encore à la torture, entre autres. Anass Saadoun, docteur en droit et chercheur en droit pénal et droit de l’Homme, assure, pour sa part, que le Code pénal ne fournit aucune définition du crime de « viol conjugal », mais définit le viol, dans son article 486, comme étant l’acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une femme contre son gré. « À travers cette définition, le législateur n’exclut pas les couples mariés. Il mentionne explicitement l’homme et la femme, ce qui inclut les époux », défend-t-il.

Mais la contrainte dans le contexte du viol conjugal dépasse souvent les simples actes de force physique. Elle englobe également des formes de coercition morale telles que le chantage, les menaces de divorce, ou d’autres pratiques dégradantes portant atteinte à la dignité de la femme. Bien que les tribunaux soient conscients de la gravité de cette situation, les décisions varient d’un tribunal à l’autre. « Même si l’épouse consent dans des circonstances données, son consentement est considéré comme invalide car elle est incapable d’agir avec conscience et discernement », ajoute l’expert en droit pénal. Il rappelle que différentes jurisprudences ont eu lieu au Maroc, dans des cas de viol conjugal.

Toutefois, signaler le viol conjugal reste une épreuve complexe pour de nombreuses femmes. « Outre les obstacles psychologiques, les normes socioculturelles peuvent les dissuader de dénoncer les abus dans leur propre foyer », relève Dr. Anass Saadoun. En plus de la difficulté de fournir des preuves, les tribunaux doivent prendre en compte la protection de la vie privée des victimes, la simplification des procédures judiciaires et la réparation des préjudices subis. « Une révision légale du crime de viol, adaptée à sa réalité conjugale, ainsi que des ajustements procéduraux pour renforcer la protection des victimes, sont nécessaires pour garantir une justice équitable », réclame le juriste.

Dans cette optique, à l’heure où une réforme du code pénal est si attendue, il est impératif de ne pas passer à côté de l’introduction de la notion de viol conjugal, alignant ainsi les lois sur les normes et les avancées internationales en matière de droits humains. Cette démarche serait non seulement un pas vers la justice pour les victimes, mais aussi une affirmation de l’engagement du pays à lutter contre toutes les formes de violence à l’égard des femmes. « En adoptant des lois et des politiques plus protectrices, le Maroc peut véritablement progresser vers une société plus équitable et respectueuse des droits de tous ses citoyens », conclut Ilham Ouadghiri.

“ Les femmes commencent à briser les tabous”

Au Maroc, les tribunaux ont prononcé plusieurs jugements condamnant indirectement le viol conjugal, marquant ainsi une évolution progressive dans leurs décisions. Les efforts en matière de justice au Maroc se font de plus en plus sentir, comme en témoignent les exemples suivants :

• Le 9 septembre 2009, le tribunal de première instance d’El Kelâa des Sraghna a condamné un mari pour violence conjugale. Cette condamnation a été prononcée après la plainte déposée par la femme, déclarant que son mari l’avait violée avec violence lors de la nuit de leurs noces, puis lui avait administré des substances narcotiques la plongeant dans l’inconscience.

• Le 6 juin 2013, la Chambre criminelle de la Cour d’appel d’El Jadida a condamné un mari pour le viol de son épouse en utilisant la force. Cette condamnation est survenue suite à une plainte déposée par l’épouse auprès du procureur général, affirmant que son mari l’avait agressée sexuellement devant leurs enfants. Les examens médicaux ont confirmé l’agression sexuelle, entraînant la condamnation du mari à deux ans de prison ferme.

• Le 30 juin 2018, la police de Larache a été alertée suite à l’admission à l’hôpital régional d’une jeune femme présentant d’importants saignements de ses parties intimes. Lors de son interrogatoire, elle a expliqué qu’elle avait eu un différend avec son mari, qui l’avait violemment agressée et forcée à avoir des relations sexuelles malgré son refus. La Cour d’appel de Tanger a ensuite décidé de condamner l’accusé pour le crime de viol entraînant un rapport sexuel forcé, conformément aux articles 486 et 488 du Code pénal. En raison du retrait de plainte de la plaignante, le condamné n’a écopé que de deux ans de prison avec sursis.

À travers ces exemples, nous constatons une augmentation des signalements de crimes de viol conjugal, les femmes commençant à briser les tabous. Cependant, nous constatons également une disparité dans la manière dont les tribunaux qualifient cet acte, le considérant parfois comme un crime de viol, parfois comme un crime de violence conjugale. Cela souligne la nécessité d’une intervention législative claire pour criminaliser cet acte.

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