Le dictionnaire Larousse définit le luxe comme le “caractère de ce qui est coûteux, raffiné, somptueux ”. C’est aussi un “plaisir relativement coûteux qu’on s’offre sans vraie nécessité”. En fait, le luxe englobe tout cela et plus encore. Il renvoie à une palette de termes, comme somptueux, rare, raffiné, prestigieux et bien d’autres expressions… “Le luxe vend du rêve”. Comme l’a bien compris Bernard Arnault, patron du groupe français LVMH, “les rêves n’ont pas de prix”. Il suffit d’observer son attrait dans des métropoles telles que Paris ou Milan. Démocratisé sans perdre ses spécificités, le luxe allie rareté, esthétisme, raffinement et exclusivité. Ce secteur a évolué vers une dimension industrielle, porté par des groupes influents propageant une multitude de grandes marques à travers le globe. Aussi, lorsque les crises frappent, les tarifs du secteur prennent l’ascenseur. Parfois même massivement, néanmoins la demande suit et a même tendance à s’amplifier. “Un cercle vertueux”, comme le définit l’économiste et président du Centre d’études et de recherches Aziz Belal (CERAB), Mohamed Chiguer. “Le luxe est un monde à part qui, pour une grande partie ne fonctionne pas sur le schéma de l’offre et de la demande.”
En effet, le luxe est une activité anticyclique qui repose sur une règle intangible: les émotions. Alors que la crise du Covid-19 aurait pu mettre à genoux le secteur, il n’en a rien été. Les marques de luxe ont fait preuve d’adaptabilité en réagissant rapidement dès le début de la crise. Selon Statista, l’un des plus grands portails de statistiques au monde, la valeur du marché mondial des produits personnels de luxe a atteint 353 milliards d’euros fin 2022, soit une progression de 26% depuis fin 2019. LVMH, emblème du secteur, est devenue la première société européenne dont la capitalisation boursière a dépassé les 500 milliards d’euros, doublant la valeur de ses actions depuis fin 2019. Le secteur des montres de luxe a également enregistré un engouement sans précédent, avec une hausse annuelle de 20% des prix moyens sur le marché de l’occasion pour les modèles des trois grandes marques – Rolex, Patek Philippe et AP – entre août 2018 et janvier 2023. En Italie, dans l’industrie automobile, la société Ferrari bat des records avec une marge opérationnelle dépassant les 23% fin 2022 et une capitalisation boursière dépassant 57 milliards d’euros. “Le luxe réside dans cette capacité de transcender les modes éphémères et de créer des pièces uniques qui respirent l’élégance, l’authenticité et la modernité en même temps”, relève la créatrice de Haute couture, Fadila El Gadi.
Au Maroc, le secteur du luxe se développe de manière disparate, certains segments tels que le tourisme étant plus dynamiques que d’autres. “En France, le secteur du luxe joue un rôle crucial dans l’économie, contribuant de manière substantielle à la création de richesse. Cependant, lorsque l’on transpose cette réalité au contexte marocain, nous sommes confrontés à un défi notable : l’absence de production locale de biens de luxe”, explique Mohamed Chiguer. D’après une récente étude réalisée par Mastercard Economics Institute, étudiant les avancées économiques entre 2019 et 2022 sur le continent africain, le Royaume a damé le pion aux autres pays en termes de dépense dans l’acquisition des biens de luxe avec un score de 71%. Viennent ensuite Madagascar (70%), la Jordanie (60 %), le Sénégal (55%), le Kenya (39%) et la Zambie (34%). Que proposons-nous donc comme produits luxueux au Maroc ?
Tourisme, sur de bon rails
Les offres diversifiées du tourisme de luxe au Maroc, qu’il s’agisse de séjours balnéaires, gastronomiques, axés sur le bien-être ou le golf, sont soigneusement conçues pour satisfaire les voyageurs haut de gamme. Ces expériences exclusives, souvent regroupées en packages avec des animations adaptées à une clientèle exigeante, font de Marrakech la seule ville marocaine offrant une expérience véritablement luxueuse, imprégnée de culture, d’arts, de traditions et de patrimoine architectural. Cependant, le Maroc est confronté à un défi majeur dans le domaine du luxe : le manque d’hôtels haut de gamme. L’industrie hôtelière de luxe demeure relativement rare, en dehors de Marrakech, et Tanger, bien qu’émergeante, est encore en phase de développement de ses investissements hôteliers vers le haut de gamme. Rita Touzani, consultante en tourisme, souligne que le Maroc compte seulement deux ou trois hôtels réellement luxueux.
Pour remédier à cette lacune, l’Office national marocain du tourisme (ONMT) a récemment établi des partenariats avec des groupes américains renommés tels que Signature Travel Network et Virtuoso, visant à accroître la notoriété du Maroc en tant que “Preferred destination”. “Il est important d’investir dans la promotion des produits du terroir en labélisant les spécialités locales pour offrir une expérience de dégustation luxueuse aux visiteurs étrangers”, insiste Rita Touzani.
Cette stratégie, selon la consultante en tourisme, peut inciter les touristes à revenir. Alors que les Marocains préfèrent souvent acquérir des produits de luxe à l’étranger pour bénéficier de la détaxe, obtenir un plus grand choix et des prix avantageux, les touristes étrangers privilégient des expériences uniques et apprécient les produits du terroir.
Ainsi, le tourisme de luxe au Maroc, bien qu’élitiste et exigeant, peut encore croître en valorisant les richesses locales et l’identité culturelle du pays. “Il est nécessaire de relever le défi du manque d’établissements hôteliers de luxe pour répondre à la demande croissante des voyageurs haut de gamme”, souligne Rita Touzani.
Selon elle, en investissant dans des infrastructures hôtelières de qualité, le Maroc peut renforcer son attrait pour une clientèle recherchant des expériences exclusives et mémorables. La promotion de produits du terroir et le développement d’hébergements de luxe peuvent ainsi contribuer à faire du Maroc une destination de choix dans le secteur du tourisme de luxe.
Automobile, un marché de luxe ?
Outre le secteur touristique, l’industrie automobile au Maroc connaît une croissance remarquable, soutenue par les importantes usines de RENAULT-NISSAN dédiées à la carrosserie et au montage, ainsi que par l’usine STELLANTIS. En 2022, cette industrie a enregistré une croissance exceptionnelle, dépassant les 11 milliards d’euros en exportations. Les perspectives pour cette année demeurent prometteuses, stimulées par la dynamique des écosystèmes, l’expansion des usines, l’intérêt croissant des constructeurs automobiles internationaux pour le sourcing au Maroc, l’extension du complexe portuaire de Tanger Med et le projet du port Kénitra Atlantique. Mais qu’en est-il du marché des voitures de luxe ?
Parallèlement à cette expansion, l’émergence de nouveaux concessionnaires et showrooms dédiés aux voitures de luxe à travers le pays suscite un intérêt croissant. Ces établissements, présents dans des villes telles que Casablanca, Marrakech, Tanger et Rabat, bien qu’apparemment déserts de clients à l’extérieur, créent une atmosphère exclusivement réservée à une élite restreinte. Ils exposent avec fierté des modèles de voitures prestigieuses, arborant des prix exorbitants. Au cours des sept premiers mois de 2023, Audi a enregistré une augmentation de 1,8% de ses ventes au Maroc, totalisant 2 547 voitures et représentant une part de marché globale de 2,95%. Cela a surpassé les performances de BMW (1 998 unités et 2,32% de part de marché) et de Mercedes (1 536 unités et une part de marché de 1,78%), selon l’Association des importateurs de véhicules au Maroc (AIVAM). Porsche a également connu une croissance remarquable, avec une augmentation de 20%, totalisant 240 unités. “Les produits que nous proposons à nos clients surpassent ceux des concessionnaires classiques, étant spécifiquement conçus pour répondre aux exigences d’une clientèle désireuse de se démarquer”, affirme Anas Benkirane, propriétaire d’un garage de voitures de luxe à Casablanca. Selon lui, le luxe est essentiellement défini par le prix, créant une perception distinctive même si cela ne garantit pas nécessairement une qualité intrinsèque. “La tarification élevée accentue la rareté du produit, renforçant ainsi son statut exclusif.”
De son côté, Mohamed Chiguer souligne que malgré la contribution des ventes de voitures de luxe importées aux revenus nationaux par le biais des salaires et des impôts, leur impact global sur l’économie marocaine semble limité. “La sous-traitance pourrait être une opportunité pour le pays d’acquérir des compétences techniques en matière de voitures de luxe. Toutefois, la sous-traitance devrait également être considérée comme un premier pas vers le développement de produits nationaux”, suggère l’économiste. Il insiste sur le fait que, en sous-traitant les véhicules, une partie significative des recettes est rapatriée au pays exportateur sous diverses formes telles que facturations, formations et dividendes, ce qui pourrait être évité en produisant localement les véhicules.
Le textile, entre haut de gamme et luxe
Concernant l’industrie textile au Maroc, une transformation significative est en cours pour hisser le secteur vers des produits de gamme supérieure, répondant aux attentes des consommateurs. Avec 1.600 entreprises, le secteur a réalisé un chiffre d’affaires de 60 milliards de dirhams en 2022. Actuellement, 173 projets d’investissement visent à renforcer l’intégration du secteur et à le conformer aux normes des marchés mondiaux, comme l’a souligné le ministre de l’Industrie et du Commerce, Ryad Mezzour, devant la Chambre des Représentants en juillet dernier. L’objectif est d’augmenter les exportations textiles à 50 milliards de dirhams, dépassant ainsi le record de 2018 (36 milliards de dirhams). Mohamed Chiguer précise par ailleurs, que le Maroc ne produit actuellement pas localement des articles d’habillement de luxe, à l’exception de niches souvent considérées comme haut de gamme plutôt que luxueuses. “En période de crise, le luxe a su se démarquer, car l’achat n’est plus uniquement motivé par la qualité, mais plutôt par le désir de s’identifier à une catégorie sociale spécifique”, souligne Mohamed Benamour, PDG de la marque Benson Shoes et membre de l’Association marocaine des industries de textile et de l’habillement (AMITH). Selon lui, le luxe englobe le prix de la qualité associé à tout l’environnement créé autour du produit.
Le PDG de Benson Shoes qualifie sa marque, présente dans différents pays tels que la Belgique, le Japon, les États-unis (Washington), etc. de “Premium” car il estime, que ce sont les emplacements des boutiques dans des quartiers luxueux aux coûts exorbitants, qui sont le véritable baromètre du luxe. Mohamed Benamour estime que “La distinction entre le luxe et le haut de gamme réside dans la volonté de fixer des prix bien au-delà des coûts de production, avec une qualité indéniable, mais à des tarifs exorbitants”, précise-t-il. Cela se traduit, d’après lui, par des frais liés au marketing et à l’image, comme le recours à des célébrités pour promouvoir des articles onéreux ou la location de magasins prestigieux sur les Champs-Élysées, par exemple. Cette dynamique entre l’évolution du secteur du textile, les aspirations des consommateurs et la définition changeante du luxe met en évidence la complexité et la subtilité de l’industrie, “où le positionnement, l’expérience client et l’image jouent des rôles cruciaux dans le succès d’une marque ou d’un produit”, note Fadila El Gadi.
En somme, le Maroc se trouve à un point charnière, tiraillé entre la montée en gamme de ses industries, les aspirations changeantes de sa clientèle et la redéfinition constante du luxe dans un monde en évolution rapide. Alors que le pays cherche à accroître sa présence dans l’industrie du luxe, que ce soit dans le textile, la gastronomie, ou d’autres secteurs, il est confronté à des défis complexes. Car au-delà des chiffres de vente et des indicateurs économiques, le véritable défi réside dans la capacité du Maroc à créer des expériences de luxe authentiques, ancrées dans son riche patrimoine culturel et artisanal. “L’économie du luxe au Maroc devra jongler entre tradition et modernité, entre la préservation des savoir-faire séculaires et l’innovation nécessaire pour s’aligner sur les tendances internationales”, avance l’économiste Mohamed Chiguer. En fin de compte, l’avenir du luxe au Maroc se joue non seulement dans les salles d’exposition, les boutiques et les hôtels, mais aussi dans la capacité du pays à tisser une histoire qui transcende le matériel, capturant l’imagination d’un public mondial et assurant la prospérité des générations futures.
En quoi votre entreprise incarne-t-elle le luxe ?
Notre entreprise incarne le luxe à travers une approche artisanale mettant en valeur des techniques marocaines ancestrales et des matières premières de haute qualité. Chaque pièce est créée à la main avec une attention minutieuse aux détails, offrant ainsi une expérience personnalisée et exclusive. Notre approche durable, alliant respect de l’environnement et préservation des traditions artisanales, renforce notre engagement envers la notion contemporaine et universelle du luxe.
Peut-on valoriser l’artisanat marocain dans le monde du luxe ?
Absolument, l’artisanat marocain est l’essence même du luxe. L’art de la broderie traditionnelle, le tissage et la couture à la main font partie de notre ADN. Notre entreprise collabore étroitement avec des artisans locaux, préservant des savoir-faire séculaires et formant de nouveaux
talents. Cette démarche contribue à préserver et promouvoir l’artisanat marocain sur la scène internationale du luxe, fusionnant richesse culturelle et contemporanéité dans chacun de nos modèles.
Comment définissez-vous la haute couture dans le contexte de votre création ?
Bien que le statut de haute couture soit protégé à Paris, nous estimons que notre approche artisanale, notre excellence et notre fusion délicate de travail traditionnel, d’innovation et d’exclusivité nous permettent de prétendre au titre de haute couture. Chaque vêtement que nous concevons est une œuvre méticuleuse, alliant expertise artisanale, innovation, exigence et grande qualité, redéfinissant ainsi la haute couture comme une fusion contemporaine de créativité et de tradition. Chaque vêtement est conçu comme une œuvre à part entière, où chaque détail est soigneusement pensé et exécuté avec précision.