Wissal Ben Moussa, une guide de l’agro-écologie

Wissal Ben Moussa porte le Domaine Nzaha, une ferme agricole conduite en pratique de permaculture nichée au pied de l’Anti-atlas dans la région pré-saharienne du Oued-Noun (Guelmim). Un projet ambitieux qui vise notamment à impulser une dynamique éco-responsable avec la population locale.

Le Domaine Nzaha est un projet agro-écologique à caractère humain qui reflète une vision large et engageante de l’écologie. Portée par Wissal Ben Moussa, cette ferme logée au coeur de la plaine d’Azwarig, entre montagne et vallée de l’anti-Atlas, aspire à créer des changements positifs et visibles en régénérant les terres arides de la vallée et en réveillant sa biodiversité perdue. “Ma famille a toujours pratiqué l’agriculture à Guelmim. J’ai ainsi grandi proche de la nature et j’ai très vite voulu comprendre comment ce monde fonctionnait”, confie cette jeune femme de 33 ans. Ingénieure en industries agroalimentaires de l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II de Rabat, elle développe, au fil des années, une sensibilité pour l’environnement. “Ma prise de conscience a été croissante, assure-t-elle. Par exemple, ma participation au SIFE (Student In Free Enterprise), dénommé aujourd’hui Enactus, – communauté d’étudiants qui s’engage à utiliser l’entrepreneuriat pour améliorer les conditions de vie- m’a permis de toucher du doigt les problématiques liées au monde rural comme le manque d’eau et l’exode rurale.” À travers cette expérience estudiantine, elle a notamment travaillé avec les coopératives rurales. “À ce moment-là, j’ai su que je voulais aider les gens durablement et éthiquement mais je ne savais pas encore de quelle manière”, affirme-t-elle. Après son premier diplôme en poche en 2012, c’est vers Paris qu’elle s’envole pour des études au sein de la prestigieuse AgroParisTech où elle obtient un Master en Management de l’innovation dans les agro-activités et les bio-industries. De retour au Maroc, elle est embauchée dans une multinationale spécialiste de l’agroalimentaire, un travail qui va s’avérer être à l’encontre de ses convictions. En effet, elle est témoin des dérives industrielles sur toute la chaîne de valeurs. “J’avais envie de mettre en cohérence mes aspirations personnelles, ma prise de conscience écologique, et cette envie de vouloir faire une différence”, déclare Wissal Ben Moussa qui, après avoir serré les dents pendant trois longues années, décide de quitter le monde de l’entreprise sans avoir encore de projet concret en tête.

Retour aux sources

“Le lendemain de ma démission, j’ai appelé mon père pour lui poser quelques questions sur un terrain familial qu’on a baptisé par la suite Domaine Nzaha, se souvient-elle. Je lui ai notamment demandé si, à son avis, je pouvais tenter de cultiver des plantes aromatiques sur un terrain en repos depuis si longtemps. Il m’a juste répondu : Essaie”. C’est ce qu’elle fera. En septembre 2017, la jeune femme s’installe à la ferme et retape, avec l’aide d’un ouvrier, le hangar avant de s’attaquer à l’exploitation. “Nous nous sommes tout d’abord concentrés sur 1000 m2 puis 1 hectare, 3 ha, avant d’avoir une vision claire pour les 26 ha que compte notre terrain”, explique-t-elle et rigole dans la foulée : “Les débuts ont été laborieux car je n’avais pas la main verte”. Pour apprendre à cultiver, Wissal Ben Moussa dévore des bouquins. “C’est quand je suis tombée sur un livre de permaculture, que je m’y suis retrouvée”, sourit-elle, avant d’expliquer : “La permaculture est un concept qui repose sur trois piliers : prendre soin de la nature, des Hommes et partager équitablement les ressources et les récoltes.” Et de poursuivre : “La permacuture est une manière holistique de gérer les systèmes et les ressources. Aussi, l’agroécologie est la faculté qu’à l’agriculteur à s’adapter à son écosystème en l’observant et en utilisant toutes ses potentialités” Wissal Ben Moussa prend alors le temps d’étudier son écosystème : son soleil, ses vents et son climat semi-aride. Après un examen minutieux et des conseils éclairés de plusieurs membres de la communauté permacole, elle parvient à nourrir sa terre, lui donnant l’apport nécessaire pour qu’elle retrouve toute sa vitalité. En une année de tests, elle réussit à faire pousser des légumes biologiques à partir de semences locales et paysannes, non traitées et sans OGM, en utilisant des engrais naturels. En d’autres termes, “la vie renaît dans une terre qui semblait morte, glisse-t-elle. Le retour des papillons, coccinelles et autres petites bêtes a été notre meilleur indicateur.”

Recréer un écosystème

Au-delà de la production maraichère et de plantes aromatiques biologiques, le Domaine Nzaha a pour vocation de créer une dynamique avec la population locale en proposant une alternative éco-responsable et de qualité. “J’ai imaginé le domaine comme une sorte de “laboratoire à ciel ouvert” dans lequel on testerait des méthodes, de nouvelles variétés et des approches peu connues en agriculture conventionnelle. Souvent, nous repensons des techniques ancestrales ou nous importons des méthodes de contrées semblables, et nous les adaptons à nos spécificités locales”, décrit-elle. Cette démarche a conduit le Domaine Nzaha à nouer des relations de partenariat avec plusieurs acteurs locaux comme Dar Si Hmad, une ONG très active connue notamment pour son projet “DBABA – CloudFisher”, un équipement lowtech de capteurs permettant de collecter l’eau de brouillard au sommet de la montagne Boutmezguida à Ait Baamrane afin de pallier le manque d’eau qui affecte les communautés locales de plusieurs villages avoisinant cette montagne. “Jamila Bargach, la directrice de Dar Si Hmad Jamila voulait aller plus loin dans ce projet, à savoir utiliser à bon escient le surplus d’eau récoltée lorsque la météo le permet”, explique Wissal Ben Moussa. Dans ce sens, les deux femmes lancent le programme “Afouss Ghissiki” (La main dans la terre arable abandonnée en amazigh) dont le but est d’offrir cette eau aux paysans, en les formant aux pratiques d’agroécologie et créer, ainsi, des conditions favorables au maintien d’une population d’exploitants. Riche de sa formation et de ses expérimentations au niveau du Domaine Nzaha, Wissal Ben Moussa a formé sous la tutelle de Dar Si Hmad, une vingtaine de bénéficiaires issus de différents douars et oasis à côté. “Sur l’ensemble des bénéficiaires, six ont construit un projet agro-écologique viable et pérenne”, se réjouit la jeune femmequi a notamment reçu le 2ème prix “Terre de Femmes Maroc 2021” de la Fondation Yves Rocher pour son parcours volontaire. “À travers le Domaine Nzaha, je prouve qu’il est toujours possible de créer un monde meilleur, sain et éthique, résistant aux aléas climatiques”, lâche cette héroïne qui œuvre ainsi pour la biodiversité en faisant la promotion d’un modèle de développement protecteur pour l’environnement. 

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