L’éducation, ce vaste chantier

La Commission spéciale du Nouveau Modèle de Développement (NMD) appelle à une véritable renaissance éducative pour replacer l’école publique au cœur du projet de société, l’éducation jouant le rôle de catalyseur de développement. Décryptage.

L’éducation est l’une des priorités du Nouveau Modèle de Développement. Afin d’“édifier un capital humain de qualité et mieux préparé pour l’avenir”, la Commission spéciale du Nouveau Modèle de Développement (NMD) plaide pour une “transformation profonde de l’école marocaine” à travers une “thérapie de choc visant à déclencher une dynamique capable de produire un bond qualitatif de grande ampleur à tous les niveaux de l’enseignement”, souligne-t-elle dans son rapport présenté le 25 mai dernier au roi Mohammed VI. Car, même si le Maroc a réussi à massifier la scolarisation, “cette généralisation s’est accompagnée d’une forte dégradation de la qualité de l’enseignement”, comme le soulèvent les 36 personnalités composant cette Commission qui revêt un caractère consultatif. Pire encore, malgré les avancées et les efforts entrepris, le système éducatif n’arrive pas à se sortir de cette “crise d’apprentissage”. Résultats:  “Près de deux tiers des élèves n’acquièrent pas les apprentissages de base au terme de leur scolarité obligatoire, tant au niveau des compétences cognitives (compréhension de l’écrit, raisonnement mathématique) que des compétences non cognitives (sens de la rigueur, autonomie, confiance en soi, civisme, communication, esprit de coopération)”, alertent encore les auteurs du rapport.

Le royaume a ainsi fini parmi les derniers dans le classement PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves), se retrouvant 75ème sur 79 pays indexés… Quant au décrochage scolaire, il reste élevé malgré les progrès réalisés. En 2018, 431 876 élèves avaient quitté les bancs de l’école selon l’Atlas territorial de l’abandon scolaire du Conseil supérieur de l’éducation, et de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS). Mais, depuis l’apparition de la Covid-19, nombreux sont les associations et organismes qui s’inquiètent d’une montée en flèche de l’abandon scolaire… La pandémie a exacerbé les failles d’un système déjà fragile.

L’école de la défiance

L’école traverse une crise de confiance. “Elle ne s’acquitte plus de sa mission d’ascenseur social et de promotion de l’égalité des chances”, explique Rita El Kadiri, membre de la Commission Spéciale sur le Nouveau Modèle de Développement, et ancienne directrice générale de la Fondation Zakoura, confiant que “l’éducation est la principale préoccupation des personnes consultées.” Dans une approche participative, inclusive, ouverte sur les attentes des différents acteurs du développement et plus largement de  tous les Marocains, la Commission a multiplié les consultations citoyennes et les rencontres avec les acteurs régionaux, territoriaux et le tissu associatif. Cette perte de confiance pousse ainsi une partie des parents à envoyer leurs enfants dans le privé, et ce, quel qu’en soit le prix à payer. Conséquence : “Fonctionnant à plusieurs vitesses, le système scolaire marocain génère de grandes inégalités selon le type d’établissement (privé ou public) et le lieu géographique (urbain ou rural)”, poursuit le rapport, faisant, pourtant, remarquer que “les meilleurs systèmes éducatifs du monde n’ont quasiment pas d’écoles primaires privées, avec un taux de privatisation moyen de 3%. Dans ces pays, la performance est portée par une école primaire publique forte tandis que le taux de privatisation n’augmente de manière significative que dans les cycles secondaires et surtout supérieurs.”

“L’éducation est une mission régalienne”, rappelle Rita El Kadiri. Aussi, l’ambition du NMD est de rétablir la confiance en misant sur la réhabilitation de l’école publique, vaste chantier déjà engagé dans une dynamique de réformes politiques et institutionnelles de grande envergure. “Le NMD s’inscrit dans la continuité de la Vision stratégique 2015-2030 de la réforme de l’éducation ainsi que de la loi-cadre 51-17 relative au système éducatif s’articulant autour de trois principaux axes, à savoir l’égalité des chances, l’amélioration de la qualité de l’éducation et de la formation et la gouvernance et la mobilisation”, précise cette experte en matière d’éducation, ajoutant qu’“il est important que le temps politique épouse le temps de l’éducation – un temps long qui requiert de la continuité pour un maximum d’impact”.

Concrètement, à l’horizon 2035, la Commission se donne plusieurs objectifs : plus de 90% d’élèves possédant les compétences scolaires fondamentales à la fin du cycle primaire (moins de 30% en 2020), un score d’au moins 450 dans les rapports PISA, TIMSS et PIRLS (seulement 370 aujourd’hui), plus de 90% d’enfants inscrits en première année du primaire achevant leur scolarité obligatoire en obtenant un diplôme d’enseignement général ou professionnel (contre 50% actuellement), ainsi que le niveau intermédiaire dans une langue étrangère – c’est-à-dire un niveau supérieur ou égal à B2- pour tous les titulaires du baccalauréat (30% aujourd’hui).

Dépoussiérer l’image du métier de super-héros

La formation des enseignants est un levier central, crucial, conditionnant la réussite des réformes à venir. La Commission du NMD appelle ainsi à une valorisation des professeurs avec une amélioration de leur formation et un renforcement de l’attractivité du métier pour “qu’ils deviennent les garants de l’apprentissage”. “Pour dispenser un enseignement de qualité, il faut attirer et sélectionner les meilleurs étudiants dès l’obtention de leur baccalauréat”, appuie Rita El Kadiri, avant d’interpeller : “Pourquoi le concours de médecine est réservé aux candidats titulaires d’un baccalauréat avec mention très bien, alors que ce n’est pas le cas pour l’Education nationale ?” L’école est pourtant la voie initiale du progrès social et de la prospérité économique d’un pays. Aussi, rehausser le niveau de compétences du corps enseignant est inévitable pour atteindre les objectifs ambitieux. Parmi les recommandations émises, la création d’un Centre d’excellence du Professorat, la mise en place d’un nouveau système d’évaluation des enseignants prenant en compte leur impact sur l’apprentissage des élèves et leur développement professionnel ou encore un système de gestion de carrière.

Les membres du NMD se sont également prononcés en faveur d’une généralisation du parcours de formation initiale en cinq ans – aujourd’hui, elle ne concerne que 10% des nouvelles recrues -, ainsi que d’une formation continue régulière pour les enseignants en poste notamment en matière d’outils numériques. En effet, “l’école marocaine doit (aussi) opérer une modernisation profonde de ses programmes et de ses approches pédagogiques pour entrer pleinement dans le XXIème siècle”, comme le revendique la Commission, avant de soumettre que “compte tenu du rôle du numérique en tant que levier de transformation du système éducatif et incubateur de nouvelles pratiques pédagogiques orientées vers l’étudiant, le système éducatif national doit soutenir le développement d’un écosystème de technologies de l’éducation (Edtech) marocain intégrant toutes les entreprises et startups utilisant les nouvelles technologies pour révolutionner le monde de l’éducation et de la formation, Mooc, supports pédagogiques, marketplaces de professeurs particuliers, formations spécialisées ou encore applications pédagogiques et ludiques sont autant de terrains de jeu.”

L’égalité des chances

“Pour relever le défi de la réforme du système éducatif, l’enseignement préscolaire doit devenir obligatoire pour l’Etat et la famille et être intégré graduellement dans la filière de l’enseignement obligatoire, conformément à une architecture éducative cohérente”, avait déclaré le roi Mohammed VI à l’occasion de la Journée nationale sur l’enseignement préscolaire, le 18 juillet 2018 à Skhirat. Ainsi, dans le sillage des Hautes orientations Royales, le développement du préscolaire est mis en avant dans les recommandations de la Commission. Mais, pour une réussite éducative complète, les membres du NMD préconisent également une évaluation des acquis scolaires des élèves en plusieurs paliers d’apprentissage (connaissances, savoir-faire et savoir-être). Elle s’accompagnerait de la mise en place d’un dispositif de lutte contre l’échec afin d’intervenir à chaque étape de la vie de l’enfant – spécialistes de la remédiation et des troubles de l’apprentissage, notamment des orthophonistes, des psychopédagogues et des assistants pédagogiques au sein des établissements scolaires-, d’un renforcement du système d’orientation scolaire à travers la mise en œuvre du projet personnel de l’élève, ainsi que de la valorisation de la voie de l’enseignement professionnel. “Cette filière n’a pas bonne réputation dans l’esprit des gens, signale Rita El Kadiri. Aussi, lorsqu’un élève est orienté vers cette voie, il est perçu comme un enfant en échec.” Pour elle, il faut l’ériger en filière attractive offrant des débouchés quasi-assurés sur le marché du travail, luttant, par ricochets, contre le chômage des jeunes et l’informel. À l’horizon 2035, la Commission vise 20% d’élèves des collèges et lycées dans l’enseignement professionnel, contre respectivement 1% et 5% aujourd’hui.

L’autonomie des établissements, gage de réussite

Pour une refonte de l’éducation, la Commission mise, une nouvelle fois, sur les acteurs du terrain et joue une approche plutôt singulière : celle de l’autonomisation des écoles. Les directeurs d’école seront appelés à se transformer en véritables managers pour élaborer avec l’équipe pédagogique un projet d’établissement. Un mécanisme incitatif de certification-qualité verra le jour. “Gérée par un organe indépendant, la certification imposerait le respect d’un certain nombre de bonnes pratiques en matière de gestion de l’établissement, de pédagogie et de vie scolaire, et donnerait accès en contrepartie à des avantages pour les établissements et les enseignants”, détaille-t-on dans le rapport, insistant qu’ “une refonte complète de la gouvernance des établissements scolaires est nécessaire pour créer les conditions d’une gestion performante capable d’accomplir l’ambition du Maroc en matière éducative”. Les conclusions du NMD dévoilées, la balle est désormais dans le camp du gouvernement et des différents acteurs et institutions qui “sont invités, chacun dans son domaine de compétence, à participer et contribuer activement à la mise en œuvre des recommandations pertinentes de ce rapport, afin de servir la nouvelle ambition et le nouveau cap de développement, à la hauteur des attentes de Sa Majesté le Roi et du peuple marocain”, comme le stipule un communiqué royal. Mais, le succès de cette approche ne pourra se mesurer qu’au changement de regard des familles sur l’école publique, passant d’une totale défiance à une solide confiance. 

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