L’éducation à l’ère de la Covid-19, le défi jeunesse

Quelques mois après l’apparition du Coronavirus (Covid-19), reconstruire et repenser le système éducatif est devenu un impératif. Le défi ? Transformer la crise en opportunité en évitant de creuser les inégalités. Entretien avec Golda El-Khoury, directrice et représentante du bureau de l’UNESCO pour le Maghreb.

Du 20 avril au 13 juillet, vous avez lancé la première partie de la campagne de consultation “La Jeunesse du Maghreb en Action pour relever les défis liés à la COVID-19”. Quels sont les priorités, interrogations ou doutes soulevés par les jeunes sondés ?

Avec nos partenaires du mouvement de la jeunesse dans les pays du Maghreb, nous avons lancé un dialogue avec les jeunes de la région via la plateforme “Jeunesse du Maghreb en Action”. Cette campagne se divise en plusieurs consultations déclinées par thématique. La première a eu lieu en avril dernier sous le thème de l’éducation à distance, et plus largement, du futur de l’éducation. Plus de 100.000 jeunes y ont participé ! Tous sont conscients et inquiets de l’impact de la crise qui est loin d’être négligeable pour eux puisque beaucoup risquent d’être laissés pour compte.

Quelle place accordent-ils à l’éducation ? Quelles sont leurs principales inquiétudes à ce sujet ?

Leurs inquiétudes concernent essentiellement l’éducation à distance. Les jeunes sondés la considèrent certes comme extrêmement importante mais ne pouvant remplacer celle en présentiel. Les stagiaires et les étudiants des établissements de formation professionnelle ont notamment insisté sur la spécificité de leur cursus. Car sans pratique, leur formation est incomplète. La jeunesse questionnée a également soulevé le manque de connexion, surtout en milieu rural, et de compétences des professeurs en matière d’usage des nouvelles technologies de l’information et de la communication ainsi que l’inégalité d’accès à l’éducation à distance pour les filles. Autres points évoqués : le rôle des professeurs de l’école de l’avenir qui devrait intégrer celui de facilitateur de l’apprentissage et de médiateur ainsi que l’intérêt des activités sportives, culturelles et artistiques favorisant l’épanouissement, pas encore couvertes jusqu’à maintenant par l’enseignement à distance.

Pour pallier la fermeture des établissements scolaires engendrée par la pandémie de Covid-19, et assurer la continuité des cours, l’enseignement numérique à distance a été développé. Quel bilan en faites-vous ?

La pandémie a démontré au monde entier la nécessité et l’importance des nouvelles technologies ainsi que l’urgence de renforcer l’esprit et les principes de solidarité, de partage des connaissances entre les communautés scientifiques internationales. D’ailleurs, c’est dans ce cadre que nous avons signé un accord avec deux grandes institutions d’enseignement supérieur, l’École Hassania des Travaux Publics au Maroc et l’Université de Nouakchott Al Aasrya en Mauritanie, pour renforcer la coopération sud-sud dans l’enseignement supérieur et la recherche dans les domaines des sciences et nouvelles technologies. Des initiatives lancées par l’UNESCO ont également vu le jour comme la “Coalition mondiale pour l’éducation” démontrant la solidarité internationale, ou encore “l’Académie mondiale des compétences” dotant les jeunes de compétences en matière d’employabilité.

Vous énoncez des initiatives mais quels sont les écueils ?

La crise a pris tout le monde par surprise provoquant une incertitude sans précédent ! Les gouvernements ont été dans l’obligation d’agir rapidement et de manière décisive. Au début ça a été difficile d’amener les décideurs à s’engager dans des initiatives internationales, vu l’urgence sanitaire afin de limiter la propagation du virus et répondre aux impératifs de la situation. Toutefois, la crise affectant le monde entier, l’UNESCO a été dès le début convaincue que la collaboration est la seule façon d’aller de l’avant. Alors que les pays tentent d’anticiper leur réponse, l’UNESCO s’est engagée pour la mise en place de partenariats au niveau international afin de partager les approches les plus efficaces et soutenir les étudiants, les enseignants, les familles. Il est important que cette crise favorise l’innovation et l’inclusion sans exacerber les inégalités d’apprentissage.

L’enseignement à distance a été révélateur de disparités puisque tous les élèves, notamment en milieu rural, ne possèdent pas d’ordinateur ou n’ont pas accès à Internet. D’après le ministère de l’Education nationale, le besoin en tablettes dépasse le million…  Dans ces conditions, peut-on privilégier ce type d‘enseignement ?

Le recours au numérique suppose un accès généralisé à cette technologie. Or, la pandémie a fait ressortir les inégalités en termes de qualité et d’accès à l’éducation. L’enseignement à distance se présente certes comme un élément indissociable et indispensable de l’orientation générale des systèmes éducatifs dans les pays tant développés qu’en voie de développement. Mais, n’oublions pas que les formations présentielles ont leur importance. Aussi, il faudrait les associer à des méthodes novatrices, ainsi qu’à une remise à niveau pour répondre aux défis de l’avenir et construire des systèmes éducatifs résilients.

La refonte de l’École est un enjeu majeur comme le prouve l’ambitieuse Vision stratégique 2015-2030 de la réforme de l’éducation. Mais, à l’heure de la Covid-19, le Projet de loi des finances rectificative (PLFR) 2020 a amputé le Département de l’Éducation nationale de plusieurs milliards de dirhams…  Comment alors relever le défi ?

En effet, même si l’on n’en connaît pas encore l’ampleur totale, l’impact économique de la COVID-19 devrait excéder celui de la crise financière mondiale de 2008. L’OCDE estime que l’impact économique initial de la pandémie devrait être l’équivalent d’une chute du PIB annuel pouvant aller jusqu’à deux points par mois d’application de mesures strictes de confinement. Et l’Union africaine estime à 1,5 point la perte moyenne de croissance économique en 2020.

La récession de l’économie mondiale se répercutera sur les recettes publiques de nombreux pays, donc sur les ressources disponibles pour les services sociaux, notamment l’éducation et la santé. J’espère que l’on verra davantage de partenariats publics et privés, et de solidarité mondiale pour remédier à ce déficit, mais également pour rendre les systèmes éducatifs plus résistants, plus inclusifs et plus équitables pour tous. Aussi, il est essentiel que les États mettent en œuvre des plans d’urgence nationaux pour l’éducation afin de revoir les activités déjà planifiées et de mobiliser des ressources supplémentaires grâce à diverses sources. Malgré tout ce que la crise a engendré, elle se présente dans de nombreux pays comme une occasion, à mon sens, de transformer la façon dont les services éducatifs sont assurés, en particulier, l’apprentissage à distance.

L’enseignement privé a toujours été qualifié de partenaire de l’enseignement public. Néanmoins, ne craignez-vous pas un risque accru d’enseignement à plusieurs vitesses voire même une marchandisation de l’éducation ? 

Effectivement, de nombreux acteurs de la société civile redoutent que certaines personnes ou entreprise ne s’engouffrent dans l’opportunité offerte par la crise Covid-19 pour vendre du service à distance et des contenus éducatifs standardisés. D’ailleurs, les gouvernements ont, aujourd’hui plus que jamais, une responsabilité très forte de réguler les acteurs privés de l’éducation pour ne pas défausser le caractère public qu’est le droit à l’éducation afin qu’il reste un bien commun et non pas un “produit”, voire pire encore une marchandise. En prenant les précautions qui s’imposent sur des sujets cruciaux comme l’équité et le caractère confidentiel des données, les partenariats public-privé restent très importants pour faire face aux défis de cette crise. C’est d’ailleurs, dans cet esprit de partenariat que la Coalition mondiale de l’éducation a été lancée par l’UNESCO. La crise actuelle vient également nous rappeler que l’éducation publique est un rempart contre les inégalités, démontrant ainsi l’importance de la scolarité pour des vies dignes et remplies de sens.

Autre préoccupation : la scolarisation des fillettes. La crise sanitaire a fragilisé leur situation. Comment éviter une hausse du taux de déperdition ?

Pour faire face aux crises, la rapidité des réponses prises et les mesures d’urgence mises en place tiennent rarement compte des répercussions en matière d’égalité des genres. Résultat : les fermetures subites des écoles n’a malheureusement pas pris ce paramètre important en compte. Les filles vivent au quotidien, et au niveau mondial, des situations d’injustice qui peuvent compromettre la poursuite de leurs études à distance et leur retour à l’éducation ! À cet effet, à l’UNESCO, nous appelons à l’adoption de mesures qui tiennent compte du genre afin de permettre de protéger les progrès réalisés en faveur de l’éducation des filles ces dernières années. Aussi, afin d’éviter une hausse du taux de déperdition auprès des filles, les différentes parties prenantes devraient s’engager à renforcer le rôle moteur et la participation active des femmes et des filles au sein des processus de prise de décisions face à la Covid-19.

Au lendemain de la pandémie, comment repenser également l’éducation non formelle ?

L’éducation non formelle répond à la diversité des besoins d’apprentissage selon les contextes et les groupes d’âge, y compris l’acquisition de compétences de base en alphabétisme, de par la flexibilité et la variété de ses modes d’organisation et de transmission. Avec l’impact de la crise et la possibilité d’avoir plus de décrochage scolaire, l’éducation non formelle peut être également une des ressources pour reconstruire la perte d’apprentissage et remédier aux impacts post-crise. Il est important que les programmes d’éducation non formelle aient pour cible les groupes défavorisés et répondent aux divers besoins d’apprentissage des enfants (scolarisés ou non), des jeunes et des adultes, et bien évidemment des filles. Enfin, j’aimerai insister sur le caractère exceptionnel de la période que nous traversons. Saisissons cette occasion pour transformer le monde et réinventer l’organisation de nos écoles, en adoptant une vision sociopolitique des systèmes éducatifs et de la citoyenneté à l’échelle mondiale afin de concevoir des dispositions qui positionnent les citoyens et citoyennes comme acteurs centraux dans la construction de valeurs communes de l’humanité, et la promotion de la culture de la paix, du respect de la diversité et de l’entente mutuelle. υ

L’exposition « L’atelier musée de l’estampe–Empreintes d’artistes » organisée par la Fondation Chraïbi Abderrazik et la Galerie Marsam, en partenariat
La 16ème édition Dar Maalma Expo 2024 et la 3ème Congrès des femmes artisanes africaines se tient du 19 au
La 2e édition de Kafila al Jassad (la Caravane des Corps) se tient du 22 au 24 novembre 2024 à
New Balance, la célèbre marque sportive vient d’ouvrir son deuxième magasin à Casablanca. La marque a choisi Fadoua El Fassi
31AA4644-E4CE-417B-B52E-B3424D3D8DF4