La lecture, une démarche engagée pour l’éducation des enfants et pour l’avenir du pays (Interview)

La lecture alimente l’esprit, invitant au voyage et à l’évasion. Un outil culturel capital que la maison d’édition Langages du Sud se démène pour rendre accessible aux enfants à travers sa collection jeunesse ou aux adultes en soif d’art via sa série beaux-livres. Entretien avec sa fondatrice, Patricia Defever.

La maison d’édition Langages du Sud met en lumière le Maroc à travers ses traditions et ses richesses. Comment est née votre passion pour notre pays ?

Je suis arrivée au Maroc il y a maintenant près de 12 ans pour travailler sur un ouvrage. Je n’y étais pas revenue depuis plusieurs années. Ce livre, dont j’étais l’auteure, portait sur les routes du royaume. Aussi, au cours de mes reportages, j’ai sillonné tout le territoire, découvrant des paysages splendides et une population extraordinaire. Ce séjour a été un véritable coup de coeur voire une révélation. J’ai ainsi eu le sentiment de devoir rester. Je me sentais là où je devais être.

Le célèbre peintre Pierre Soulages dit que “c’est ce que je trouve qui me dit ce que je cherche”. Une telle pensée ne pourrait-elle pas sous-tendre votre démarche éditoriale ?

Oui, tout à fait. J’ajouterais que le retour dans ce pays, accompagné de rencontres multiples, m’a permis d’entreprendre ce que je voulais vraiment et de m’y consacrer. C’est effectivement dans ce que j’ai trouvé au Maroc, tant dans son humanité, dans ses différentes richesses culturelles et géographiques que dans sa spiritualité, que j’ai découvert ce que je cherchais. Toutes ces  découvertes m’ont amené à vouloir valoriser les savoir-faire, les talents, les qualités et surtout la jeunesse. Ainsi ce sont deux petites filles de Sidi Moumen qui m’ont poussée à lancer des collections pour les enfants, qui parlent de leur pays avec des héros marocains. Pour finir, je dirais aussi que c’est la rencontre d’une personne passionnée par la culture qui m’a aussi conduite à réaliser ce projet.

Dans votre Maison d’édition, l’art marocain brille à travers bon nombre de beaux-livres. Pourquoi ce choix qui est un vrai pari ?

À mon sens, c’est une passion plus qu’un pari. Depuis ma jeunesse, l’art m’enivre. J’ai toujours collectionné. Au Maroc, j’ai eu la chance d’être absorbée par une créativité inspirante au contact de multiples talents. La qualité des artistes et de leurs œuvres m’ont ainsi conduit à les présenter à travers le monde par le biais de nos ouvrages et de nos conférences. Et puis, nous nous appelons bien Langages du Sud. Le langage de l’art est essentiel pour comprendre un pays. En d’autres termes, c’est dans notre ADN.

Parmi vos beaux-livres, vous portez notamment “Maîtres artisanes – Coopératives féminines du Maroc”. Qu’est-ce qui vous a poussé à aborder et traiter un tel sujet ? 

Outre ma sensibilité pour les métiers d’art, c’est un autre ouvrage plus ancien, qui m’a ouvert la porte de l’artisanat. Il y a près de 10 ans, j’ai écrit le livre “Métiers d’art, artisanat du Maroc, un élan créatif” qui a été un premier pas dans ce milieu. Au fil des années, j’ai multiplié les reportages et les déplacements pour être toujours au plus près de la population notamment des femmes travaillant dans des coopératives. Elles font vivre leur famille et détiennent un savoir-faire ancestral qu’il faut préserver. Leur talent et leur courage sont inestimables tout comme la diversité des coopératives féminines. Aussi, les mettre en lumière était devenue une évidence. Le projet monté s’est fait en partenariat avec la Maison de l’artisan et le ministère de tutelle. Il a connu un beau succès que ce soit au Maroc ou à l’international.

Quel est votre livre coup de cœur sur le Maroc ?
J’en ai plusieurs. Je pense notamment à un ouvrage consacré à une exposition sur les bijoux et les berbères, qui m’a poussé à déclencher toutes mes recherches sur l’artisanat. Il y a aussi l’analyse brillante d’Abdeljlil Lahjomri intitulée “L’image du Maroc dans la littérature française de Loti à Montherlant” qui donne une autre objectivité sur la littérature française, ou encore les oeuvres de Fatéma Mernissi qui m’accompagnent souvent lors de mes déplacements. Grâce à cette universitaire et spécialiste, j’ai beaucoup appris sur le pays et la femme marocaine.

Quels auteurs, notamment autrices, marocains vous ont marquée ?
Fouad Laroui, Mohamed Choukri, Driss Chraïbi, Mahi Binebine, Abdellah Taïa, Bahaa Trabelsi,… Car j’aime leur écriture et leur façon de raconter la vie en toute sincérité. Je suis une passionnée de littérature. Aussi, à mon sens, les auteurs et autrices d’un pays sont les premiers éclairages sur la vie d’une nation et sa compréhension.

L’une de vos ambitions est aussi de “révéler pour transmettre” comme le prouve votre collection jeunesse. Pour vous, où en est la littérature jeunesse au Maroc ? Quelles difficultés rencontre-t-elle ? Quelles avancées avez-vous notées ?
C’est en préservant les mémoires et en transmettant les savoir-faire que nous construisons des adultes. Aussi, il y a un peu plus de quatre ans, nous nous sommes lancés dans les collections jeunesse avec un objectif précis : s’adresser aux 5-9 ans à travers des oeuvres ludo-éducatives dans lesquelles les héros sont Marocains. Pour être souvent allée dans le milieu rural, j’ai pu constater que les enfants ont très peu accès aux livres. Les ouvrages disponibles viennent pour la plupart de l’étranger et sont très coûteux. Le marché jeunesse reste compliqué, certes, mais lorsque les enfants défavorisés ont accès à un livre, ils se découvrent un véritable appétit pour la lecture. Au salon du livre de Tanger, je garde encore en tête l’image d’une jeune institutrice qui a offert à tous ses élèves un livre. Vous auriez dû voir l’enthousiasme qui se lisait sur leur visage. La lecture est magique et ouvre une porte dans le monde de l’imaginaire. Elle nous éclaire aussi. Mais, de mon point de vue, elle n’est pas assez encouragée. Pour y remédier, elle devrait recevoir davantage d’aides et de subventions. Car n’oublions pas que l’enfant d’aujourd’hui est un adulte en construction.

En partenariat avec le programme Afrique créative de l’Agence française de développement (AFD), vous avez récemment lancé la série animée 3D “Lina et Adam” d’après votre collection jeunesse éponyme. Pourquoi avez-vous osé la digitalisation ?
J’avais ce projet en tête depuis un moment. Il est devenu mature et il a pu se concrétiser grâce à l’appel à projet de l’AFD. À Langages du Sud, il nous semble important de présenter une offre multiple, à savoir des collections, des ouvrages, des livres-audio et numériques et des dessins animés. Le monde est à l’heure du digital. Aussi, il nous faut être présent dans ce secteur. Depuis plus de quatre ans déjà, nous travaillons sur le développement du digital, car, pour mon équipe et moi, il est complémentaire.

De façon plus générale, dans quel état est le monde de l’édition à l’heure de la pandémie de Covid-19 ?
Il souffre beaucoup surtout depuis que les librairies ne sont plus accessibles. Nos ouvrages sont diffusés à l’international. Sans les plateformes digitales, nous ne pourrions  rien vendre. Cette année, les ventes ont beaucoup baissé. Nous travaillons avec nos diffuseurs pour remédier à cette situation et créons des conférences digitales comme celle organisée pour le lancement de la série Lina et Adam. Nous en organisons une autre le 8 décembre pour le lancement de “Rêve de trains, découvrir un autre monde”, un ouvrage sur les plus beaux trains touristiques à travers le monde dont un train marocain L’Oriental Désert Express.

Pour tenter de sauver le secteur, l’opération “Lecture, acte de résistance” a été organisée du 6 novembre au 20 décembre 2020 par l’Union professionnelle des éditeurs du Maroc (UPEM). Selon vous, en quoi la lecture est-elle un acte de résistance surtout dans la situation actuelle ?
Pour moi, la lecture n’est pas vraiment un acte de résistance, mais plutôt une démarche engagée pour l’éducation des enfants et pour l’avenir du pays. La lecture, c’est une compagne du quotidien qui ouvre l’esprit, développe l’imaginaire et permet de s’évader pendant cette période particulière secouée par la pandémie de Covid-19.

Dans cette démarche, que préconisez-vous ?

Le maître-mot doit être l’innovation. C’est en tout cas ce que nous nous entêtons à faire chez Langages du Sud pour continuer, pour faire participer et pour associer !

Comment imaginez-vous le monde de l’édition de demain ? 

Je pense que nous aurons toujours besoin d’auteurs pour nous faire rêver, pour nous raconter le monde et pour nous ouvrir les yeux. Le milieu de l’édition devra continuer à s’adapter. Depuis quelques années, nous avons déjà vu apparaître de nouveaux choix éditoriaux et de nouvelles formes littéraires à l’instar de Riad Sattouf avec sa bande dessinée autobiographique “L’Arabe du futur”. Chez Langages du Sud, nous sommes aussi en évolution permanente. Outre la digitalisation, nous avons récemment exploré le format collaboratif à travers un concours de dessins adressé aux enfants qui a donné lieu au livre “Enfants du Maroc, regard sur le confinement”. La créativité est importante et l’agilité est au rendez-vous. Mais j’aimerais qu’une forme littéraire revienne en force : la poésie. Pourquoi ? Parce que l’art des mots est la musique du cœur. Notre monde en a bien besoin notamment en ce moment.

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