Une musique pop résonne dans les ruelles du douar Laadam, un petit village relevant de la commune Al Ouidane, située à une trentaine de kilomètres de Marrakech. Elle provient d’une maison abritant l’un des 38 sites de project Soar, une ONG lancée en 2013 par Maryam Montague et Chris Redecke, deux entrepreneurs sociaux américains installés au Maroc, visant à favoriser l’autonomisation des jeunes filles en milieu rural et contribuer à l’empowerment féminin. Consciente que le mariage des mineures a toujours été une épée de Damoclès au-dessus de la tête de leurs bénéficiaires, Maryam Montague, s’est rapprochée des responsables de Mobilizing for Rights Associates (MRA) et de 16 autres associations, pour lancer, au printemps 2022, le mouvement BIGGER (Building a Greater Girls’ Rights), porté par une délégation d’une vingtaine d’adolescentes (13-20 ans). “La société civile n’a cessé d’engager des plaidoyers afin d’obtenir l’interdiction pure et dure des mariages de mineurs, rappelle la fondatrice. Vu l’ampleur de ce drame, nous avons pensé à un mouvement original animé par les jeunes filles elles-mêmes, se battant pour leurs propres droits en sensibilisant leurs pairs et en faisant pression sur les décideurs pour combler les lacunes juridiques.” Pour rappel, l’article 19 du Code de la famille fixe à 18 ans l’âge minimum pour se marier. Cependant, les articles 20, 21 et 22 prévoient des dérogations à cette règle. Censées être exceptionnelles, les autorisations à ces unions sont devenues la norme. Selon les statistiques du ministère de la Justice, 85% des demandes de mariage d’enfants entre 2011 et 2018 ont été accordées… En 2022, 13 652 ont été approuvées.
Une conscience juvénile en éveil
“Les leaders du mouvement BIGGER sont deux par zones géographiques, notamment celles enregistrant un nombre alarmant de mariage de mineurs, détaille Victoria Di Gaetano. Ainsi, elles couvrent quasi l’intégralité du Maroc.” Et d’enchaîner : “Ce sont d’anciennes bénéficiaires de Project Soar qui se sont construites en cultivant leurs atouts et en forgeant ainsi leur leadership. Aussi, elles ont été choisies car ce sont des filles dynamiques qui souhaitaient s’engager concrètement dans cette lutte.” Parmi elles, Soukaina Zaihour et Hanane Bigoura, étudiantes, âgées respectivement de 19 et 20 ans, chargées de la région Marrakech –Safi. “Nous habitons un autre douar à proximité d’ici”, indiquent-elles brièvement. “Sur ce site, nous sensibilisons les adolescentes qui pourraient être victimes de mariages forcés, explique ensuite Soukaina. Car les conséquences sont préjudiciables, terribles : éducation scolaire bafouée et santé mise en péril (grossesses précoces, infections sexuelles, VIH, violences et abus sexuels).” Et de résumer : “Cette pratique détruit des vies”. Pour ces jeunes femmes, le Covid-19 a aggravé la situation. “Le confinement engendré par la pandémie a fermé les écoles. Hors des classes, les fillettes étaient plus en proie aux mariages précoces”, pointe du doigt Soukaina, avant que Kaoutar Arhenbou, coordinatrice de programmes au sein de Project Soar, interpelle sur le contexte économique tendu malgré les aides et bourses scolaires disponibles. “La pauvreté est l’un des principaux facteurs amplifiant ce fléau”, appuie-t-elle.
Porte-parole
Les leaders du mouvement BIGGER ont toutes été formées au plaidoyer et ont participé activement au processus d’élaboration des amendements juridiques proposés au Code de la famille avec des avocats membres de MRA. Dans leur viseur, tous les articles de la Moudawana concernant le mariage des enfants. Dans ce sens, elles appellent à abroger les articles 20, 21 et 22 ou encore à modifier et compléter les dispositions 98 (“L’épouse peut demander le divorce judiciaire pour l’une des causes suivantes : … si elle a été mariée avant l’âge de 18 ans”) ainsi que celles 195 et 199 en y introduisant les mots suivants “sauf si elle a été mariée avant l’âge de 18 ans”. “En octobre dernier, nous sommes parties à la rencontre des décideurs politiques”, racontent fièrement Soukaina et Hanane. La délégation a échangé, entre autres, avec Abdellatif Ouahbi, le ministre de la Justice, Aawatif Hayar, la ministre du Développement Social, de la Famille et de la Solidarité, Bouchaib Doulkifel du Conseil National des Droits de l’Homme du Maroc (CNDH), Luis Mora, représentant de l’UNFPA Maroc ou encore Aymane Essaidi, responsable du programme Égalité des genres à ONU Femmes et El Hassan El Mansouri, secrétaire général de l’Observatoire national du développement humain (ONDH). “Je suis convaincue que notre message est passé tout comme l’urgence d’agir pour mettre un terme à cette violence, déclare Soukaina. Car nous avons parlé avec nos trippes! Nous sommes la voix et le visage de ces filles qu’on oblige à se marier !” Après les responsables nationaux, le mouvement veut approcher les acteurs locaux afin de les pousser à renforcer les moyens soutenant l’éducation des adolescentes. Et ce n’est pas le seul projet en construction. Il est également question d’élaborer une initiative faisant la promotion de la masculinité positive en milieu rural. “L’avenir de nos filles se joue avec eux”, lâche Maryam Montague, la fondatrice de Project Soar. Et Soukaina de soutenir : “En attendant, nous avons sensibilisé des adolescentes qui feront de même avec d’autres… En attendant, nous, nous ne détournons pas le regard !”