Ramadan entre traditions et modernité

Mois de piété et de dévotion, Ramadan se distingue par des manifestations sociétales. Solidarité, surconsommation, quête spirituelle et rituels sont les traits saillants de cette période de l’année où le cultuel et le culturel se croisent. Éclairage.

Le keûne du Rmadan est l’un des cinq piliers de l’Islam les plus respectés dans le Royaume. La sacralisation de ce mois est entérinée par la loi, et la rupture publique du jeûne est punie pénalement. Aussi, et comme dans de  nombreux pays musulmans où le mois sacré revêt un aspect exclusivement religieux, au Maroc le volet culturel et cultuel est assez impressionnant. Le mois d’abstinence représente un moment unique tant au plan spirituel que familial et sociétal car il permet de renouer avec certaines traditions quasi-délaissées le reste de l’année. 

Le mois sacré est vécu de différentes manières, selon la perception et les  croyances de chacun. Privation, simple abstinence, élévation vers le divin, retour aux sources, introversion, quête du salut sont autant de ressentis qui accompagnent le jeûne. Pour ceux qui ont habituellement un haut degré de pratique religieuse, Ramadan est le mois de la spiritualité et de la purification. Ces dernières années, la tendance est à la méditation, au yoga, à la détox, au détachement de soi… “Ramadan est le moment idéal pour méditer mais également chasser toutes les toxines de notre corps”, explique Maria Sinaceur, maître de yoga à Casablanca. Ce mois est également propice à une remise en question pour se débarrasser des mauvaises habitudes et se détacher de ses vices. “Le Ramadan est l’école de la réforme par excellence”, confirme Mounia Bennani Chraibi, auteur de “Le Ramadan au Maroc : sacralisation et inversion”.

Modernisme et authenticité

Au cours de ces deux dernières décennies, de nouvelles habitudes ont émergé au sein de la société marocaine. La modernisation, les influences étrangères, le mode de vie, les nouvelles technologies ont été autant de facteurs qui ont chamboulé certaines traditions. “Le mode de vie et le digital ont une influence certaine sur nos comportements et habitudes alimentaires”, confirme Saïd Bennis, enseignant chercheur au Centre d’Études et de Recherche en sciences humaines, à l’université Mohammed V à Rabat. Cette mutation s’explique par l’arrivée sur la table du ftour de nombreux ingrédients, condiments, plats, etc. La soupe de poisson, les bouchées salées (quiches, vol-au-vent, nems…) côtoient désormais les incontournables Sellou, chebakkia et briouates aux amandes, dattes et harira. 

Le volet culinaire revêt une importance particulière durant le mois sacré, car pour beaucoup de nos concitoyens, ce mois est aussi celui des senteurs, des saveurs et des gourmandises. Outre les pâtisseries qui sont prises d’assaut, les marchands saisonniers proposent également une variété de produits prêts à la consommation. Un changement important qui a marqué la société marocaine, permettant aux femmes actives de profiter de ce temps pour s’adonner au sport, aux loisirs, … “Aujourd’hui, le consommateur marocain aspire à davantage de temps pour son travail, ses loisirs, ses études”, estime l’anthropologue Saïd Bennis. En revanche, le mois sacré a gardé son authenticité et sa simplicité dans certaines régions, surtout en milieu rural et dans les petites villes.

Consumérisme à l’excès

Les changements constatés ces dernières années concernent également le lieu de rupture du jeûne. S’il est vrai que le charme de Ramadan réside dans les retrouvailles en famille autour de la table du ftour, force est de constater que de plus en plus de personnes préfèrent rompre le jeûne à l’extérieur du foyer familial, au moins une fois par semaine au restaurant, en tête-à-tête, en famille ou entre amis…. Plusieurs restaurants et hôtels proposent des menus aussi succulents que variés pour la rupture du jeûne, pour le plus grand bonheur des ménagères, souvent épuisées par les multiples préparatifs exigés par la table du ftour. Paradoxalement, Ramadan est aussi un mois de surconsommation. “Cette consumérisation soulève de sérieuses questions. Avons-nous bien compris le sens de ce quatrième pilier de l’islam ?”, s’interroge Ismaïl Mounir, auteur de Consumérisme et valeurs de l’islam. “L’analyse sociologique des changements des habitudes et des pratiques pendant le Ramadan chez les Marocains permet de mettre en lumière les interactions complexes entre les facteurs sociaux, culturels, économiques et politiques qui façonnent toutes ces évolutions”, explique Nadia Lamoudy, sociologue et professeur universitaire.

La quête spirituelle

Pour beaucoup de nos concitoyens, Ramadan rime avec dévotion. “Sans exagérer la portée du religieux, nous pouvons dire que durant les trois dernières décennies, l’espace public a été marqué par une idéologisation accrue de la religion”, avance l’anthropologue Hassan Rachik. Les mosquées ne désemplissent pas. Davantage de personnes se rendent à la mosquée pour les Tarawihs, même s’il est possible d’accomplir ces prières surérogatoires à la maison. Les gens sont beaucoup plus ponctuels quant à l’accomplissement des autres prières de la journée. Autre fait à relever, la lecture du Coran, avec l’objectif de le clôturer avant la fin du mois sacré. “La spiritualité reste au cœur du ramadan pour de nombreux Marocains. Les pratiques religieuses telles que le jeûne, la prière et la lecture du Coran demeurent des éléments inébranlables de ce mois sacré”, rappelle Nadia Lamoudy.

Ceux qui cherchent davantage de détachement des distractions de la vie quotidienne s’envolent vers les lieux Saints. Une habitude très ancrée chez certains Marocains, qui pensent être plus proche du Divin quand ils sont à Médine ou à la Mecque. “Dieu est partout, certes. Mais quand on est là-bas, notre existence se résume aux cultes et à rien d’autre. On ne passe pas des heures en cuisine, au marché, au bureau, ni dans les réceptions, …”, raconte Saïda, la cinquantaine bien entamée. Ramadan étant un moment de partage , les réceptions font également partie des habitudes des Marocains. On invite au moins une à deux fois famille et amis pour partager un moment convivial autour du ftour.

L’autre élément saillant est l’esprit de solidarité. Car en dehors de la Zakat du fitr, les Marocains font beaucoup de dons, en nature ou en argent. Au-delà des actions individuelles, ces dernières années ont connu une “institutionnalisation de la bienfaisance.” Plusieurs associations multiplient les actions en faveur des démunis. Des chapiteaux sont montés dans de nombreux quartiers pour servir le ftour aux personnes qui sont dans le besoin. Parallèlement des actions, ciblant les familles des malades, sont menées dans plusieurs hôpitaux, et  plusieurs milliers de ftours sont servis chaque jour à travers le Royaume. “En dépit de tous les changements constatés, la spiritualité reste au cœur du Ramadan. La solidarité et la générosité restent des valeurs profondément enracinées pendant ce mois, et les actes de charité et de solidarité sont accentués”, précise la sociologue.

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