Hajar Azell : “Les femmes construisent et détruisent”

“L’envers de l’été”, premier roman de l'écrivaine et entrepreneure culturelle franco-marocaine Hajar Azell porte les prémisses d’un immense talent. Écrit sans fioriture dans un style aussi sobre que solaire, le roman célèbre le matriarcat tout en portant un regard neuf sur le Maroc. Entretien.

Vous avez fait une entrée remarquée en littérature. Pour vous, cela allait-il  de soi ?

Pas du tout. J’écris depuis toujours, mais j’ai mis du temps à m’avouer que les histoires étaient importantes pour moi car j’ai suivi un parcours scolaire assez classique, prépa, grande école, etc. J’ai la chance d’avoir des parents qui sont de grands lecteurs et qui m’ont encouragée à lire depuis toute petite. Je leur dois beaucoup dans mon rapport à la lecture. Ma grand-mère maternelle, Mahjouba, à qui le roman est dédié, était également une grande conteuse. Elle m’a transmis des histoires et une langue : l’Amazigh.

Ce qui m’a encouragée à passer de la lecture à l’écriture c’est la création d’un média culturel : www.onorient.com. En promouvant les artistes émergents d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient pendant dix ans, avec une trentaine d’autres rédacteurs, j’ai réalisé le pouvoir des mots au service d’une cause. 

J’ai adressé mon roman en 2020 à Gallimard et j’ai eu de la chance d’être contactée quelques mois plus tard par l’un des éditeurs de la maison. Je ne connaissais personne dans ce milieu. En envoyant mon roman, je n’y croyais pas vraiment, j’ai même paniqué et failli refuser la publication. Classique syndrome de l’imposteur. Comme quoi, il faut toujours croire en ses rêves, car on peut être surpris.

Quel a été le déclic pour écrire L’envers de l’été ? Et pourquoi un tel titre ?

J’ai commencé ce roman à mes 26 ans. J’avais quitté le Maroc pour la France depuis 10 ans, pour y faire mes études. C’est ce vécu de l’entre-deux qui m’a inspirée. Contrairement à moi, May, mon héroïne, a grandi en France. En revenant à Tephles, le village fictif que j’ai inventé et dont est issue sa famille, May, découvre l’envers du décor d’un pays qu’elle ne connaissait que l’été. Cela me fascine de voir comment un même village, une même maison familiale, sont perçus différemment par ceux qui y habitent, et ceux qui les visitent. Pour moi, ces deux regards recèlent tous les deux une vérité.

Le titre du roman est également une référence au texte de Camus, L’été. C’est un texte qui m’a beaucoup marqué, mais qui m’a également surprise par son orientalisme. J’avais envie de proposer ma propre version de l’été.

Vous situez votre roman dans un village imaginaire, Tephles, un mot qui renvoie à l’enfance alors que votre roman sonne le glas du bonheur estival et des joies simples des vacances en famille. Est-ce dire que l’adieu à l’innocence est inéluctable ?

Pour moi, l’enfance est une mythologie, au même titre que la terre des origines. Je voulais montrer comment ces mythologies nous influencent (on revient sans cesse sur les territoires qui nous ont marqués et on garde toujours une certaine nostalgie de l’enfance), mais qu’en même temps, c’est forcément un mirage. Dans mon roman, après la mort de sa grand-mère, May va être obligée de faire face aux non-dits de son enfance pour retrouver un apaisement. Cette quête de vérité est nécessaire pour elle, pour se construire, apprendre, grandir, mais elle n’entame pas l’attachement qu’elle a pour sa famille, son village et son pays. C’est un passage douloureux, mais salutaire, de l’innocence à la lucidité.

Les personnages féminins de votre roman sont déterminés, mais trop souvent soumis aux injonctions et autres interdits érigés par le patriarcat ainsi qu’à la nécessité de se conformer à des modèles pré définis. Est-ce à votre avis une fatalité ?

Mon roman est très matriarcal : ce sont les femmes qui construisent et qui détruisent aussi. Les hommes restent au second plan de l’intrigue. Ce que je voulais montrer c’est la difficulté, pour les femmes, à choisir un modèle librement. Celles qui choisissent la communauté, l’honneur, la famille, la maternité (Gaia et Nina) s’opposent à celles qui souhaitent vivre leur vie autrement : Rita et Camélia. Nina dit d’ailleurs de Rita que c’est une “femme de l’apocalypse“, bent akher zaman, comme on dirait au Maroc. C’est cette impossibilité de choisir librement sa vie qui crée des souffrances, des non-dits, des secrets. Les rondes collectives figent les femmes comme les hommes dans une image faussée de ceux qu’ils sont. Les individualités peinent à exister.

Quel est le personnage féminin du roman qui trouve le plus de grâce à vos yeux ? Et pourquoi ?

Nina est le personnage le plus important pour moi dans cette histoire. C’est celle qui connaît le mieux la terre, la mer et le soleil… et tout ce qui n’intéresse plus personne : “regarder le ciel, faire grandir les arbres, en récolter les fruits, les recueillir à chaque saison, s’occuper de la maison”.

C’est celle qui veut conserver la maison, perpétuer la tradition, protéger l’héritage de Gaia. Elle incarne la constance dont on s’accommode, siège en reine dans une nature désertée par les autres membres de la famille. C’est une femme sacrifiée et écartée de l’héritage… et en même temps c’est le personnage le plus indépendant finalement. Une fois que la maison est vendue, elle se confond presque avec les éléments, elle retrouve une certaine liberté. Nina est presque entièrement une allégorie de la terre qui “les réclame tous un jour ou l’autre”, comme on peut lire au début de l’histoire.

Parlez-nous de votre routine d’écriture, et particulièrement pour ce roman ?

Mon écriture s’appuie sur des fragments très courts que je tisse entre eux pour créer une histoire.  Je construis mes personnages à partir d’un carnet où je les imagine dans plusieurs situations. Ils prennent vie petit à petit, c’est très amusant. Quand j’écris, je pense à eux tous les jours, mes émotions deviennent les leurs. Mon problème est que j’ai souvent une foule de personnages différents dans la tête, je lutte pour me concentrer sur un ou deux et leur donner suffisamment d’espace.

Ce premier roman, je l’ai écrit sans plan, à l’instinct, car je cherchais avant tout à maintenir une tension dans l’écriture, suivre mes personnages là où ils m’entraînaient. La fin du roman, par exemple, est vraiment venue au fil de l’écriture, c’est comme si Nina m’avait parlé. Le titre arrive assez vite dans mon processus. Au même titre qu’un court prélude que j’écris pour chacun de mes romans, il me sert de diapason pour garder la musique du texte. 

Revendiquez-vous votre statut de femme lorsque vous écrivez ?

Quand j’écris, j’essaye de ne pas trop réfléchir à qui je suis, pour être à 100% dans mon texte, avec mes personnages. Je ne revendique pas un statut de femme écrivaine et je ne dirai pas non plus que mon écriture est féminine. Je suis juste moi-même et donc, bien sûr, beaucoup de personnages féminins se retrouvent dans mes textes. 

En revanche, oui je suis féministe et je me réjouis de voir que de plus en plus de femmes prennent la plume aujourd’hui. Cela ne peut que faire du bien à la littérature. 

Je suis d’ailleurs très fière de la publication d’une nouvelle dans le magazine Colères, édité par Atonale, une jeune maison d’édition marocaine. Ce recueil rassemble beaucoup de jeunes plumes, notamment féminines, du Maroc et de Tunisie. Cela fait du bien de voir émerger de plus en plus d’autrices dans nos pays. 

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