Le tabou de l’enfant préféré

Dans l’imaginaire collectif, les parents aiment leurs enfants de la même façon, sans distinction. Pourtant, derrière cette image de perfection familiale, un tabou persiste : celui de l’enfant préféré. Éclairage.

Françoise Dolto disait, “les enfants d’une même fratrie n’ont pas tous les mêmes parents”. Une phrase qui fait sens quand on sait qu’au sein d’un même foyer, un parent pourrait avoir une connexion plus naturelle avec un de ses enfants, souvent pour des raisons de personnalité, d’intérêts partagés ou même de circonstances de vie. Ce sujet, rarement abordé publiquement, génère souvent culpabilité et malaise chez les parents qui se retrouvent à ressentir des affinités plus marquées pour l’un de leurs enfants. “À mon sens, il n’y a pas d’enfant préféré, il y a l’enfant qui se distingue des autres d’une façon ou d’une autre”, estime Dr. Mostafa Massid, psychologue clinicien. De son côté, Amel Sebti, thérapeute holistique et coach nous explique que, “logiquement, il doit y avoir un enfant préféré parce que les dynamiques familiales et relationnelles varient forcément d’une personne à l’autre, mais surtout, il y a le mythe de l’enfant préféré.” Et d’ajouter : “l’histoire de l’humanité a commencé par une histoire de favoritisme familiale. C’est donc quelque chose qui fait partie des racines historiques mythologiques de l’être humain.”  De plus, précise-t-elle, “les parents vont forcément préférer l’enfant qui va représenter leur meilleure chance de succès et de réussite” .

Une préférence qui ne dit pas son nom 

Mais beaucoup de parents récusent l’idée qu’il puisse y avoir une différence de traitement entre leurs enfants. Mais la réalité est tout autre. On ne peut pas aimer ses enfants de la même façon : on les aime différemment. Et prétendre aimer ses enfants de la même manière équivaut à ne pas reconnaitre l’individualité de ses enfants.

“L’enfant préféré est une tendance assez courante puisqu’elle fait partie des caractéristiques humaines. Lorsque l’un des enfants se comporte d’une façon qui plaît au parent, ce dernier lui accorde une place privilégiée”, rappelle Dr. Massid.  La notion de l’enfant préféré se construit, assure Amel Sebti, selon deux processus, l’un conscient et l’autre inconscient. Dans le premier cas, “l’enfant préféré est celui dans lequel on a reconnu quelque chose qui contribue à notre bien-être. Ce sera la petite fille la plus sage, le petit garçon le plus serviable ou encore l’enfant facile à vivre, le plus affectueux. Dans d’autres cas, l’enfant préféré sera celui qui est fragile, qui a besoin de plus d’attention ou encore le dernier de la fratrie…”, développe la thérapeute. Le processus inconscient s’explique par une identification avec l’enfant. Il arrive également que l’enfant préféré est celui qui possède un talent particulier qui n’a pas été suffisamment nourri chez le parent. “Ceci représente un champ de possibilités transférentielles”, souligne-t-elle. Et puis, il y a aussi l’enfant préféré illusoire. “Dans certaines familles, il y a un enfant qui va prendre, aux yeux de sa fratrie, l’image de l’enfant préféré alors qu’il ne l’est pas du tout”, résume Amel Sebti.

Des conséquences sur la fratrie 

L’une des principales raisons pour laquelle ce sujet reste tabou est l’impact psychologique que la préférence peut avoir sur les enfants dit préférés. “Avoir un enfant préféré peut être une arme à double tranchant”, insiste Amel Sebti avant d’expliquer “Il y a un certain nombre d’impact sur l’enfant préféré. Ce dernier peut être infantilisé, voire déresponsabilisé ou encore ressentir une certaine pression car il se sent obligé de répondre aux attentes de ses parents. L’enfant peut également ressentir de la culpabilité envers ses frères et sœurs.” En effet, les enfants sont, dès leur plus jeune âge, sensibles aux signes, même les plus infimes, d’inégalité de traitement. Lorsqu’ils perçoivent qu’un frère ou une sœur est le préféré, des parents, ils peuvent ressentir des sentiments d’injustice, de rejet et de frustration. Ces ressentiments peuvent générer des tensions et rivalités au sein de la fratrie. “En plus de provoquer chez l’enfant de la jalousie et un manque d’estime de soi, cela risque de développer le sentiment d’abandon, d’injustice, voire de rejet”, développe la coach, car poursuit-elle, le favoritisme familial peut créer des rivalités fraternelles. “Souvent, dit-elle, je reçois des adultes qui viennent traiter le complexe de l’enfant non préféré. Ces adultes ont le sentiment d’avoir été un second choix, et sont constamment à la recherche de cet amour parental qu’ils n’ont pas eu.”

Mostafa Massid affirme, pour sa part, que les conséquences du favoritisme familial “peuvent se manifester de diverses manières : opposition, révolte, agressivité, repli sur soi.  Divers troubles de comportement risquant d’aller jusqu’à la dépression voire aux tendances suicidaires.” 

Aussi, et pour en finir avec le tabou de l’enfant préféré, nos spécialistes conseillent de verbaliser son amour, de rappeler à l’enfant qu’il est autant aimé que ses frères et sœurs. Car, n’oublions pas que chaque enfant est unique, et c’est cette unicité qui fait la richesse de la relation parents-enfants.

Tu es unique !

Si les enfants ressentent une différence de traitement, il est important d’en parler et aussi de valoriser l’enfant : “tu es unique et l’amour que je te porte est aussi unique”. Et pour calmer l’enfant jaloux, les parents doivent le sécuriser par rapport à cet amour parental qu’il porte en lui, lui renvoyer une image forte, fiable et solide de parents qui l’accompagnent. Ceci ne peut être mis en place que grâce à des moments de proximité psychique, d’échanges de qualité. Les parents ont le devoir absolu de dire des mots gentils à chacun de leurs enfants tous les jours, de se focaliser sur ce qui va bien et ne pas organiser la relation sur ce qui va mal. 

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