Ahmed et moi, nous nous sommes connus sur les bancs de l’école. Après treize ans de vie commune, nous avons tourné la page de cette union d’amour. La séparation était inévitable : nous étions devenus des copains colocataires, nous le sommes restés, la colocation en moins. Entre nous, il n’y a pas eu de guerre des tranchées, ni de rancunes amères, juste la tristesse de voir le contrat s’arrêter quand nous nous étions imaginés vieillir ensemble.
Il y a des décisions que l’on prend, non sans douleur, mais avec la conviction qu’elles nous permettront de nous retrouver. C’est ce qui m’est arrivée il y a trois ans, lorsque j’ai décidé de quitter mon mari. Je lui ai laissé la garde de nos jumelles, qui venaient tout juste de fêter leurs dix ans. Cette décision a été perçue comme une rupture des codes de la famille traditionnelle, mais elle m’a offert la liberté dont j’avais besoin. Pour être une bonne mère j’avais besoin de m’accomplir aussi bien dans ma carrière que dans ma vie de femme. En m’occupant seule de mes deux filles, je n’étais pas épanouie. J’avais peur de me perdre de vue. Ni l’amour maternel ni le bonheur d’être mère ne justifient un tel sacrifice. Pourquoi n’aurais-je pas le droit de tout avoir dans ma vie ? Pourquoi ma parentalité serait-elle un obstacle à mon accomplissement dans les autres domaines de l’existence? Être mère est un plus dans une vie, pas un moins ! Il a donc fallu que je trouve une combinaison pertinente.
“J’avais besoin de me retrouver”
Nous nous sommes mariés jeunes, remplis d’amour et de rêves partagés. Quand les jumelles sont nées, j’ai été submergée par la joie d’être mère, mais, au fil des années, quelque chose s’est éteint en moi. Ma vie était ponctuée par les mêmes étapes et une routine mortelle: travail, courses, transport, devoirs, dîner… J’ai senti qu’une part de moi était en train de disparaître. Vers mes trente-cinq ans, j’ai commencé à ressentir un désir de liberté, un besoin d’indépendance que je n’avais jamais explorée. Ce n’était pas un manque d’amour envers mes enfants, ni une envie de fuir mes responsabilités. J’avais simplement besoin de découvrir qui j’étais en dehors des rôles que la société m’avait attribués. “J’ai le sentiment d’être devenue une version de moi-même qui ne me représente pas du tout”, ne cessais-je de répéter à mes amies proches. Cette décision a été mal comprise, critiquée et vilipendée par certains membres de ma famille et quelques amis. On m’a accusée de négliger mes filles, d’être une égoïste qui ne pensait qu’à elle. “Comment as-tu pu abandonner tes enfants ?” Cette question revenait souvent, lourde de reproches. Mais pour moi, ce n’était pas de l’abandon. C’était un choix assumé, qui, à mes yeux, était aussi un acte d’amour. Laisser la garde des enfants à leur père, qui a toujours été très présent et attentif, me semblait la meilleure solution. “Mon ex-mari serait un père aimant et dévoué, comme il l’a toujours été”, disais-je pour défendre ma décision. C’était un papa gaga qui avait ce fort désir de parentalité avant même que je ne tombe enceinte. Ahmed était très impliqué dans leur éducation et ce, dès leur plus jeune âge. Nous avons décidé ensemble que les jumelles resteraient avec lui, dans leur maison, entourées de leurs repères, de leurs amis. Moi, je me suis installée dans un appartement à quelques kilomètres de là.
Les enfants, un lien indestructible malgré la séparation
Le plus difficile a été d’expliquer ma décision aux jumelles. “Pourquoi tu pars, maman ? Tu ne nous aimes plus?” Ces mots m’ont déchirée. Comment expliquer à des enfants qu’une mère peut aimer tout en ressentant le besoin de partir ? J’ai trouvé les mots, mais cela n’a pas empêché les larmes, ni les nuits où j’ai douté. De leur côté, les filles ont longtemps été sur la défensive, elles ne m’ont pas adressée la parole pendant des mois. Pourtant, chaque jour qui passait renforçait ma conviction: pour être la mère qu’elles méritaient, j’avais besoin de me retrouver. Nous avons mis en place un arrangement qui leur permettait de venir passer du temps avec moi régulièrement, des week-ends, des soirées. Elles ont fini par comprendre que, même si j’étais partie, j’étais toujours leur mère. Avec le temps, une nouvelle forme de complicité s’est installée avec mes filles. Aujourd’hui, elles sont adolescentes, et elles savent qu’elles peuvent compter sur moi comme je peux compter sur elles. Leur père et moi sommes restés en bons termes. Ce n’est pas parce que nous n’étions plus en couple que nous ne pouvions pas être partenaires dans notre rôle de parents. Nous avons appris à reconstruire une forme de famille, sans tension ni rancœur, une structure qui respecte les choix de chacun tout en veillant au bien-être des enfants. Pour ma part, j’ai retrouvé cette liberté que je recherchais. J’ai pu m’épanouir professionnellement, reprendre des études, voyager. Mais ce que je suis la plus heureuse d’avoir retrouvée, c’est moi-même.