Bien que le débat sur la liberté du iftar public pendant Ramadan soit devenu un rendez-vous annuel inévitable, il n’a pas perdu de sa pertinence et suscite de plus en plus d’attention. Je m’attends à ce que son intensité augmente dans les années à venir.
Nombreux sont ceux qui ne réalisent pas vraiment les changements que le Maroc connaît au niveau des valeurs et des modes de vie, ni le conflit étouffé mais bien réel qui oppose une société conservatrice traditionnelle aux générations modernes. Ces dernières ont grandi et évolué dans une époque d’information, de liberté et d’ouverture où le monde représenté ne correspond pas à leur réalité vécue. Ils ont ainsi commencé à chercher des espaces parallèles, des espaces et même des communautés exclusives, leur permettant de pratiquer leurs convictions et leurs choix religieux.
L’article 222 du code pénal marocain stipule que: “Celui qui, notoirement connu pour son appartenance à la religion musulmane, rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le temps du ramadan, sans motif admis par cette religion, est puni de l’emprisonnement d’un à six mois et d’une amende de 200 à 500 dirhams ». Ce texte a été établi par le protectorat français en 1913, et modifié en 1933 par le Département des affaires indigènes de Lyautey.
Le Maréchal Lyautey s’est rendu compte qu’il ne pouvait attirer et maîtriser les notables, ni contrôler les savants et cheikhs des Zawiya et tous ceux qui contribuent à orienter les sentiments collectifs du peuple marocain, ni courtiser le public, sans adopter ce qu’il a appelé la “politique islamique”, basée sur le respect de la religion, des coutumes, des institutions de gouvernance et des institutions sociales traditionnelles.
La loi 222 n’est donc ni une loi inspirée de la religion ni une jurisprudence islamique. Cependant il est impossible dans la situation actuelle de ne pas prendre en compte ce que le jeûne du Ramadan représente dans la conscience des Marocains, après sa transformation d’un culte religieux en un rituel culturel et social. C’est ce qui explique dans une certaine mesure, l’accent mis par les Marocains sur le jeûne et le Ramadan, contrairement à d’autres cultes comme la prière.
Ramadan, dans l’imaginaire des Marocains, n’est pas un culte dans lequel un individu s’abstient de certains désirs seulement, mais un mois de cérémonies et de rituels divers. Un mois de rassemblement familial autour des tables à manger, des prières de tarawih, le mois du cérémonial de Laylat al-Qadr, des longues robes et autres apparats traditionnellement adoptés lors de ce mois… Cet ensemble d’éléments rassemblés a fait du culte du jeûne une autorité morale collective, de l’étranger une anomalie contraire au groupe, le tout expliquant le niveau de violence à l’encontre de l’autre.
Nous sommes confrontés à des transformations majeures dans la relation de la société avec la religion, et dans la nature de la société elle-même, et sa tendance à plus d’individualisme et de rébellion contre l’autorité du groupe. Cela nécessite une grande prise de conscience et de clairvoyance. Le défi de l’État étant d’accommoder tout le monde, et d’assurer à chaque citoyen le droit d’exercer librement ses convictions, tout en protégeant la Paix sociale et la sécurité spirituelle.