Le mariage a toujours été perçu comme l’aboutissement d’une relation amoureuse, le pacte qui scelle à jamais la rencontre de deux individus, mais aussi un lien juridique et religieux dont l’objectif est de fonder une famille. Mais que s’est-il passé pour que cette institution – pendant longtemps considérée comme naturelle et même désirable – devienne aujourd’hui si problématique et suscitant les réserves et la méfiance chez beaucoup de nos concitoyen(ne)s ? Les indicateurs ne manquent pas pour étayer ce constat : le recul permanent de l’âge moyen de mariage au Maroc selon les données du HCP, l’explosion des chiffres du divorce (l’épidémie du Covid-19 n’a pas arrangé les choses !) …Il n’est donc plus étrange d’entendre un ami ou une copine expliquer qu’il/elle ne se voit pas vivre dans le cadre du mariage, ou que plus jamais Il/elle ne tenterait une nouvelle expérience maritale après le divorce.
Le mariage, comme institution sociale et juridique, a subi aussi les mêmes transformations que les autres institutions politiques et économiques du pays. Le rouleau compresseur et inévitable de la modernité l’a également métamorphosé. L’individualisme, force et poison de la modernité, s’est introduit dans nos rapports intimes et dans nos relations à l’autre. L’individualisme est à la fois la liberté de choisir, le droit à une existence propre et distincte du groupe (famille, tribu…) auquel on appartient, mais c’est aussi le calcul froid, l’égoïsme et la recherche du confort et du plaisir personnel dont on dessine soi-même les contours. Cet individualisme explique donc pourquoi le mariage devient, pour certains d’entre nous, une aventure, une entreprise à risque et même un cadre contraignant et encombrant. On réfléchit plusieurs fois avant de s’engager dans un mariage et on ne se retient plus pour y mettre fin. La perspective de rentrer chez soi et de s’affaler sur un canapé parait parfois plus reposante que de rejoindre le foyer familial pour faire face à des problèmes qu’on n’aurait eu tout seul. L’individualisme est un calcul permanent, pour le meilleur et pour le pire.
Nos aînés (et notamment les mères) désarçonnés par ce nouveau rapport au mariage, donnent invariablement comme réponse : “la patience a disparu” (ma b9ach sbar). Et ils n’ont pas tort, bien que la réalité soit un tantinet plus complexe. Cette fameuse patience, que la société supposait être du côté des femmes évidemment, revenait à avaler des couleuvres, composer parfois avec l’inacceptable, et se soumettre totalement à un rapport de domination principalement économique, pour préserver le lien du mariage. L’accès à l’éducation, au travail et à l’autonomie financière a permis d’établir des limites à cette fameuse patience. Le mariage n’est plus donc un but en soi, une finalité que l’on poursuit et que l’on souhaite maintenir à tout prix, quitte à s’asseoir sur sa dignité ou sa quiétude. Il est devenu plus rationnel, plus exigeant et on y accède en tant que deux individus, libres et égaux, et non pas comme un commandant de navire et son matelot. C’est peut-être ce souci d’exigence et de réciprocité qui sauverait le mariage. “Ils se marièrent, vécurent égaux et exigeants et eurent comme ils l’auraient voulu des enfants…” est la nouvelle formule du mariage pour les temps modernes.
Abdellah Tourabi
Journaliste et chroniqueur