C’est dans le cadre feutré de l’hôtel Casablanca que Rita El Quessar nous donne rendez-vous. Casque sur les oreilles et livre à la main, la jeune femme est plongée dans ses pensées. Mais dès les premiers mots échangés, la magie opère. Rita se révèle fascinante. Elle nous fait remonter le temps et revivre ses premières années et la naissance de sa passion pour le cinéma. “Après mon Baccalauréat, j’ai entamé des études de droit. Mais j’ai vite compris que je n’avais pas la vocation de marcher sur les pas de mes parents, tous deux avocats…”, nous confie-t-elle. Ayant toujours manifesté un vif intérêt pour l’écriture et se rêvant écrivain, Rita opte pour des études de cinéma à l’École Supérieure de Réalisation Audiovisuelle. Ses premiers pas dans l’industrie cinématographique sont marqués par des expériences diverses, allant de la réalisation de courts métrages à la production de documentaires engagés. Paraphrasant la célèbre citation de Simone de Beauvoir, “on ne naît pas femme on le devient”, Rita affirme avec force “on ne naît pas cinéaste, on le devient. Mon parcours a été un working process”. C’est ainsi qu’au fil de ses courts-métrages, films publicitaires, émissions de divertissement et documentaires que Rita El Quessar a construit patiemment une filmographie engagée…
Un pur produit de la télé
“Mon père aimait le cinéma politique engagé et les films complexes tandis que mon grand-père adorait les films de Western et de Péplum. C’est ce qui a forgé ce que je suis devenue”, se souvient la réalisatrice. Imprégnée par ces deux courants cinématographiques antinomiques, Rita El Quessar a réussi, après un certain tâtonnement, à faire des films qui lui ressemblent, des films qui se distinguent par une exploration sensible de thèmes sociétaux et culturels. La réalisatrice avoue avoir fait ses premières armes à la télévision. “Après avoir fait mes premiers courts métrages, je me suis sentie un peu déconnectée de la réalité… J’ai ainsi réalisé, pendant trois ans une émission de téléréalité intitulée “Forssa lil Najah”. Ce programme suivait des jeunes en difficultés dans leur parcours académique en leur proposant des activités sportives, des notions de philosophie et du coaching”, explique-t-elle. Dans la foulée, elle signe aussi des sitcoms, puis réalise des documentaires. “Je n’aimais pas trop ce genre cinématographique… À la base, j’ai toujours été attirée par la science-fiction”, confie-t-elle. Pourtant, ses films documentaires offrent un regard intimiste sur la société marocaine, explorant avec une grande sensibilité des thèmes tels que l’identité, la radicalisation, la condition féminine et les tensions entre tradition et modernité.
C’est ainsi qu’en 2023, elle signe “Ana Bidaoui”, un documentaire d’une grande force qui donne la parole aux Casablancais. En 2024, sa caméra plonge dans le monde carcéral et livre un pan de la vie de détenus et d’ex-prisonniers. “Skat Haraka” confirme le talent de cette cinéaste engagée. “Ce film m’habite encore”, souffle-t-elle. “En tant que femme, nous n’avons pas vraiment de modèles féminins auxquels se raccrocher. En réalisant ce documentaire, j’ai rencontré Fatna El Bouih, une militante féministe et ancienne détenue politique. Grâce à elle, j’ai appris que pour être une femme, nul besoin d’adopter une attitude masculine.” Depuis la fin du tournage, Rita anime des ateliers en prison pour les mineurs. “Sur les 15 enfants des deux ateliers, 5 ou 6 filles seulement sont alphabétisées tandis que les garçons le sont tous”, dit-elle, faisant remarquer que la prison est le reflet de cette inégalité sociale entre hommes et femmes. La cinéaste s’attaque actuellement à la réalisation de son premier long-métrage. Le film sera axé sur le divorce, ses répercussions et son poids dans la société, assure-t-elle.
À travers ses œuvres, Rita El Quessar parvient à donner une voix aux voix marginalisées et à susciter une réflexion profonde sur les réalités complexes de la vie contemporaine. Dans ce sens, ses films offrent un regard profondément humain sur les réalités complexes de la société marocaine. En tant que femme réalisatrice dans une industrie souvent dominée par les hommes, Rita El Quessar défie les normes établies et ouvre la voie à une nouvelle génération de cinéastes marocains.