Neuvième art : La montée en puissance des illustratrices

Univers longtemps accaparés par les hommes, la bande dessinée et les romans graphiques sont devenus, au cours de ces dernières années, le terrain d’une expression féminine et féministe. Les illustratrices croquent des œuvres inspirantes et engagées à l’image de leurs talents.

Déconstruire les stéréotypes et les normes imposées, lutter contre les inégalités, défier le patriarcat, bousculer les tabous et les interdits sont quelques-uns des thèmes récurrents dans les bandes dessinées réalisées par des femmes. Les dessins mis en avant par les illustratrices marocaines focalisent sur ces thématiques, mais également sur des thèmes en rapport avec la mémoire, le corps, le patrimoine et les représentations féminines dans la société. Autant de sujets qui sont mis en relief dans des bandes dessinées engagées et inspirantes. Témoins de leur temps, les illustratrices ont développé un regard aiguisé sur leur environnement, et offrent, à travers leurs dessins et BD, l’image de femmes libres et libérées. 

Les six illustratrices qui ont participé au début du mois de mars 2024 à une résidence artistique au studio Hiba ne dérogent pas à la règle. Soutenue par le Conseil de la Communauté Marocaine à l’Étranger (CCME), en collaboration avec la Fondation Al Mada et la Fondation Hiba, cette résidence a permis à ce groupe d’artistes de réaliser une BD qui sera présentée au Salon International du livre à Rabat au mois de juin prochain. Encadrés par  Zineb Benjelloun (autrice de Darna, un roman graphique) et Rachid Sguini, alias Rakidd (auteur entre autres de Souvenirs du bled), ils étaient en tout onze jeunes illustrateurs de BD (6 filles et 5 garçons) à plancher pendant une semaine sur le thème des identités, un sujet qui interpelle ces jeunes talents d’ici et d’ailleurs. Au pinceau, à la plume ou à la tablette graphique, les six illustratrices ont révélé, à travers leurs dessins, les thèmes chers à leur cœur, tout en s’inscrivant dans la thématique retenue pour l’ouvrage collectif.

Aux sources de l’inspiration

La double nationalité, la construction de l’identité, et les injonctions faites aux femmes traversent les œuvres de la majorité des illustratrices rencontrées lors de cette résidence. Qu’elles vivent au Maroc (Aïcha Aboulhaj et Hind Kharifi) ou qu’elles résident en France et en Belgique (Merieme Mesfioui, Inès Balegh, Ibticem Larbi, Meryam Sbaï), toutes les six véhiculent des messages de tolérance, de bienveillance tout en dénonçant les injustices que peuvent subir les femmes sur leurs choix de vie ou leurs corps. Ces sujets habitent fortement l’œuvre de Merieme Mesfioui, plus connue sous le pseudonyme de Durgamaya. L’illustratrice qui vit et travaille à Angoulême est la cofondatrice du Spin Off, un festival de microédition et de musique alternative ainsi que de Hibou Print Club, un atelier de risographie. Dans son travail d’illustration, elle mêle la calligraphie, les motifs traditionnels marocains et les éléments de l’art islamique, en y ajoutant une touche érotique. “Aujourd’hui dans nos sociétés, on condamne ce qui est érotique, comme si c’était une influence occidentale. Alors qu’en réalité, pleins d’aspects de notre culture sont érotiques. En remontant dans l’histoire, en regardant la période andalouse, en cherchant dans la musique, je me suis rendue compte qu’il y avait aussi des références au féminisme, à la connaissance du corps des femmes…”, assure-t-elle. L’illustratrice trouve dans ces référentiels un champ fécond pour livrer des messages passionnants autour de la libération du corps de la femme des diktats qui lui sont imposés afin de briser la fracture entre les femmes et leurs corps. Le regard déterminé et la posture assurée mettent de ce fait en avant la force des femmes. “Bien que résidant depuis de nombreuses années en France, je continue à m’intéresser à la condition de la femme marocaine. Je trouve par ailleurs que les femmes occidentales sont confrontées à divers degrés aux mêmes blocages, d’où la nécessité de conjuguer nos forces et lutter de concert pour débloquer les systèmes…”, espère-t-elle. 

Inès Baligh a abordé pour sa part le thème de l’identité dans sa première BD sur un ton humoristique et décalé. Sa seconde BD “Osss’”, s’inspire de sa passion pour le king boxing féminin, ce qui lui permet de dresser le portrait d’une femme volontaire qui affronte tous les défis pour se révéler à elle-même. “Les thèmes que j’aborde sont souvent la double nationalité, l’identité, le quotidien. Je tente de faire vivre à mes personnages des sortes de rites de passage, de les faire traverser des épreuves pour les retrouver changés à la fin du récit”, explique Inès Baligh qui vit actuellement en Belgique.

Des femmes puissantes

De son côté, Hind Kharfi, illustratrice, mais également designer, livre à travers ses planches, “un monde imaginaire, empreint de féérie et de sérénité, où la nature occupe une place centrale. Je souhaite raviver l’esprit enfantin qui sommeille en chacun de nous, en invitant le lecteur à s’évader du tourbillon de notre monde moderne pour se perdre dans les méandres des rêves. Ce désir d’évasion trouve son origine dans les histoires que me racontait ma grand-mère, où je devenais l’héroïne principale, une expérience qui résonne avec la magie des univers créés par des artistes qui m’inspirent tant aujourd’hui, tels que Miyazaki”, explique l’artiste qui s’interroge également sur “la construction de l’identité, sur les inégalités de genre ressenties dès le plus jeune âge, et sur les liens entre l’homme et la nature”. Le féminisme est abordée par l’illustratrice de façon ludique et éducative.

“Ce qui est récurrent dans mon travail, c’est la représentation des femmes dans notre époque contemporaine et surtout des femmes de la diaspora qu’on voit très rarement dans le monde de la BD et de illustration. Et lorsqu’on les voit, c’est souvent dans des contextes clichés, lourds, vus et revus”, se désole Ibticem Larbi qui a choisi de mettre en scène des femmes puissantes, mais aussi contemporaines, avec leurs histoires du quotidien. “Ce que j’aime dans ma pratique c’est de pouvoir créer un espace qui témoigne de notre époque, comme un journal intime ouvert où chacun.e pourra voir ou lire quelque chose qui résonnera avec ce qu’elle/il vit ou ressent, au passé ou au présent”, ajoute-t-elle. 

Dans les BD de ces illustratrices, la poésie, le rêve et l’onirisme servent de fil conducteur pour questionner et revendiquer. Grâce à elles, le neuvième art renforce la place des femmes et leur donne plus de visibilité.

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