Violence contre les femmes : Baraka !

Le 25 novembre, la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes pointe du doigt un fléau ravageur qui touche des millions de femmes au Maroc. Un sujet tabou pour une violence d’abord conjugale, mais pas seulement. Notre dossier révèle les terribles contours et vérités de ce phénomène planétaire.

Du terme latin “violenta”, la violence se réfère à une transgression, une utilisation de la force contraire au droit légal et moral. Dès lors qu’une relation de pouvoir s’installe entre les genres, la violence voit le jour. Il a fallu attendre les années 60 pour que la violence s’impose comme une préoccupation des organisations internationales actives dans la promotion de l’égalité des sexes. L’article premier de la Déclaration de l’Assemblée Générale des Nations Unies a défini en 1993 la violence à l’égard des femmes : “Tout acte de violence dirigée contre le sexe féminin et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée.”
Tantôt physique, tantôt morale, la violence à l’égard des femmes est un phénomène à visages multiples. À côté des scènes de coups, d’autres formes méritent d’être rappelées : accès restreint à l’éducation, lourdes tâches de travaux asservissants, mariages précoces ou forcés, harcèlement sexuel et viol (dont le viol conjugal), polygamie, répudiation, inégalité face à l’héritage et aux droits…

Un virus mortel

La violence faite aux femmes n’a pas d’âge, ni d’origine sociale. Elle frappe partout. C’est un virus parfois mortel, et dont le dénominateur commun est la domination. Les hommes cherchent encore à entretenir un rapport d’autorité face aux femmes.
Au Maroc, et selon les derniers chiffres livrés par le Haut commissariat au Plan, ce sont près de la moitié des Marocaines qui ont déjà subi un acte de violence. La loi 103-13 relative à la violence faite aux femmes, entrée en vigueur en septembre 2018, après plus d’une décennie de lutte de la part des organisations de défense des droits des femmes, peine à endiguer ce fléau mortel. Et pour cause ! Le texte de loi comporte de nombreuses lacunes et prêche par son côté “flou” notamment en ce qui concerne les devoirs de la police, du procureur et des juges d’instruction dans les affaires de violences familiales. En outre, aucune mention n’est faite du viol conjugal et la définition du harcèlement de rue est sibylline. De même que les définitions des infractions sont assez limitées concernant la question de la prévention, de la prise en charge, de la protection de la victime, et de l’application des peines.
Pourtant, cette loi avait été présentée par le ministère de tutelle lors de sa promulgation comme une avancée historique qui incrimine pour la première fois “certains actes considérés comme des formes de harcèlement, d’agression, d’exploitation sexuelle ou de mauvais traitement”, durcit les sanctions pour certains cas et prévoit des “mécanismes pour prendre en charge les femmes victimes” de violences. Mais un grand fossé sépare le texte de la pratique, et la violence à l’encontre des femmes ne cesse de prendre de l’ampleur.

Car, et il faut l’avouer, l’ensemble des mesures et actions prises jusqu’à présent n’ont pas eu un impact significatif sur la réduction et l’élimination de ce fléau. C’est ainsi que la moitié des actes de violence contre les femmes sont d’ordre conjugal. Coups, insultes, maltraitances, privations, viols…, les manifestations sont aussi diverses que sournoises.  À cet égard, le HCP révèle que 57% des femmes ont été victimes d’un acte de violence en 2019 (soit 7,6 millions de femmes âgées de 15 à 74 ans). Cette violence envers les femmes et les filles est principalement perpétrée au sein de l’espace conjugal et familial, puis en milieu éducatif et professionnel et enfin dans les espaces publics.

En 2021, les hôpitaux marocains ont accueilli et traité 24 444 femmes victimes de violence. Un chiffre qui reflète partiellement la réalité des faits, car les victimes des violences n’ont pas recours systématiquement aux soins de l’hôpital. Pis encore, les victimes de violences conjugales abandonnent les rares poursuites pénales qu’elles engagent à l’encontre de leurs bourreaux sous la pression de leur famille ou de celle du conjoint abusif, car bien souvent, elles n’ont aucune ressource et dépendent financièrement de leur agresseur.

Le combat continue

“La violence dans toute société nous touche tous. Elle marque la génération suivante et distend le tissu social. Mais elle n’est pas une fatalité. Des politiques et des programmes adéquats donnent des résultats.” Cette affirmation du secrétaire général de l’ONU lors de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes devrait laisser entrevoir quelques lueurs d’espoir, comme ce partenariat entre La Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN) et ONU Femmes. Cette collaboration technique s’inscrit dans la réforme profonde, structurelle et fonctionnelle entamée par la DGSN pour assurer une réponse efficace et conforme aux normes internationales de prise en charge des femmes victimes de violence. “Le partenariat entre la DGSN et ONU Femmes a pour principaux axes d’intervention le renforcement des capacités des chef•fe•s de Cellules de prise en charge des femmes victimes de violence pour répondre à toutes les formes de violences, la mobilisation et la sensibilisation internes au sein du corps de la police pour promouvoir une culture de l’égalité et la communication à destination des citoyennes sur les efforts déployés et les services disponibles et fournis par la DGSN en matière de prévention et réponse aux violences faites aux femmes et aux filles”, souligne à ce propos la représentante d’ONU Femmes au Maroc. L’organisme onusien se mobilise par ailleurs tout au long des 16 jours d’activisme qui sont lancés, comme chaque année, le 25 novembre et qui se terminent le 10 décembre, jour de la commémoration de la Journée internationale des droits de l’Homme. L’initiative qui a pour objectif de briser le silence autour de ce fléau, de libérer la parole des survivantes et de faire entendre davantage la voix des victimes ne serait complète et entière sans une refonte globale du code pénal. Ceci permettra de combler les lacunes et de rectifier le tir concernant tous les manquements juridiques qui consacrent des lois liberticides. Un travail de sensibilisation colossal est nécessaire pour déconstruire les stéréotypes du genre, mettre fin au modèle patriarcal en cours et changer les normes sociales ancrées sur des rapports de force. Car, n’en doutons pas, pour endiguer ce fléau, une mobilisation générale et une véritable prise de conscience sont une nécessité absolue. 

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