Rachid O. Les mots le pour dire

Son nom intrigue autant que ses écrits. Rachid O. continue de marquer les esprits par ses romans évoquant son homosexualité. Après dix ans d'absence, il revient avec "Analphabètes". Retour sur ce dernier opus dans cette interview exclusive.

FDM Vous revenez avec “Analphabètes”, dix ans après la parution de votre dernier livre. Pourquoi cette longue absence ?

Rachid O. : C’est la difficulté d’écrire, tout simplement. Ce n’est pas évident de donner de soi au lecteur. Après quatre livres, je crois que je me suis senti dans une impasse littéraire. Il me fallait du temps. Les histoires ne manquaient pas, mais elles ne tenaient pas la route. Je vivais aussi des difficultés d’être, par moments. J’écrivais mal et je n’étais pas à l’aise avec ça. J’ai vécu ce qu’on appelle une traversée du désert… Je m’amuse d’ailleurs à changer cette expression pour dire que j’ai été analphabète pendant dix ans. Et puis, tout d’un coup, ça a pris !

Ce nouveau roman est aussi un retour vers le récit autobiographique. Est-ce facile de s’exposer ainsi ?

J’expose des choses qui me semblent faciles à partager. Mais il y en a d’autres que je ne révèle pas : celles qui se rapportent à mon quotidien le plus banal et qui peuvent paraître anodines, mais qui sont finalement celles qui me sont les plus chères. Un auteur avait dit une fois : “Lorsque je dis “je”, le lecteur le croit”. Personnellement, ça me va, parce que le “je” suscite une lecture juste, naïve, où celui qui lit croit connaître parfaitement l’écrivain. Mes livres les plus autobiographiques restent les deux premiers, à savoir “L’enfant ébloui” et “Plusieurs vies”. Pour les autres, je voulais m’essayer à écrire dans un modèle à mi-chemin entre l’écrit et l’oral. Un style qui me convient parfaitement.

Pourquoi avez-vous baptisé votre livre “Analphabètes” ?

D’abord, le titre est au pluriel. Il s’applique donc à nous tous. Il n’est pas seulement lié au fait de ne pas savoir lire et écrire, mais il pointe surtout du doigt un analphabétisme des sentiments. La couleur est annoncée par le personnage classique du père analphabète. Puis, on retrouve cet analphabétisme des sentiments qui s’applique, par exemple, au personnage de Slimane, qui tue son ami parce qu’il se sent perdu et qu’il n’a plus confiance en lui. Et enfin, il y a mon analphabétisme à moi, parce que je me reproche des choses aussi. Il m’a certes fallu du courage pour le dire, mais je crois que, comme tous ces personnages, je suis aussi analphabète par moments.

Votre ton a changé dans ce livre. Est-ce de l’amertume ?

Il est vrai que mes deux premiers livres parlent avec tendresse de ce jeune qui fait connaissance avec sa sexualité, avec les hommes… Ce sont des textes qui ont séduit assez rapidement les lecteurs et la critique. Avec mon troisième opus, on ressentait déjà quelque chose de triste et de grave. “Chocolat chaud” dégageait comme un blues. Avec “Analphabètes”, il me semble qu’il y a une douceur qui se dégage, au-delà de l’apparence dure des histoires que je raconte. En fait, c’est moi le plus mal dans l’histoire.

Pourtant, il est plus question des autres personnages que de vous-même …

En effet, c’est le livre dans lequel je suis le plus tourné vers l’extérieur, même si je ne suis pas dans la description détaillée des personnages et de leurs états d’âme. C’est un changement de taille, car j’ai toujours été dans une écriture confidentielle, qui parlait de moi et de mon entourage. Là, c’est mon livre le plus politique, d’une certaine manière. C’est la première fois que je me retrouve dans cette écriture. Je ne suis pas du tout un écrivain militant, qui va prendre position, mais là, c’est le cas.

On sent que vous prenez à coeur de dénoncer l’homophobie de la société marocaine. Est-ce bien la trame de ce roman ?

Il est évident que mes livres sont militants à partir du moment où ils parlent d’un sujet tabou et interdit dans un pays arabe et musulman. Mais pour moi, “Analphabètes” est surtout un livre féministe. Il esquisse une série de portraits de femmes que je croise. Il y a la patronne de l’hôtel, qui est à la fois très forte, voire repoussante, mais qui a quelque chose d’extrêmement généreux, limite biblique. Elle a aussi cette particularité d’aimer les homosexuels. Il y a ensuite la jeune fille qui fugue et qui est recherchée par son frère. Celle-ci a dû prouver sa virginité en la faisant constater par un médecin. Autant d’histoires qui me font dire que c’est un livre engagé. Mais, encore une fois, je ne prétends pas être un militant dans le sens connu du terme. J’ai un lien direct avec le lecteur et j’aime ce rapport. Mais pour ce qui est du militantisme, les associations, les intellectuels et certains auteurs le font mieux que moi. Mon désir est d’être dans cette posture d’écrivain. Voilà tout. Et puis, il me semble normal que je puisse aussi parler de mon identité, de mon homosexualité et de ma vie.

Le livre donne l’impression que l’homosexualité est bien tolérée au Maroc. Est-ce vraiment le cas ?

Je crois qu’il ne faut pas se leurrer. Les homosexuels sont toujours vus de la même manière. C’est juste que le monde change et que les choses deviennent plus visibles. Mais ça reste toujours une honte pour beaucoup de concitoyens. Si certains sont compréhensifs, d’autres ne le sont absolument pas. Les Marocains ferment peut-être un peu plus les yeux qu’ailleurs. Mais dans l’absolu, ça n’existe pas d’être homosexuel au Maroc.

Est-ce la raison pour laquelle vous avez quitté le Maroc ?

Non, pas complètement. Mais disons qu’évidemment, je suis beaucoup mieux en France. Après, je n’ai pas spécialement envie de m’étendre sur cette question, comme si je cachais quelque chose. Mais j’aurais du mal aujourd’hui à quitter la France parce que j’y ai mes amis, et des gens proches avec lesquels je ne peux pas me séparer. Le Maroc me manque aussi sans arrêt, mais ce n’est pas si loin. Pour quelqu’un comme moi, ce n’est pas évident d’y résider. Je peux certes m’y installer sans problème, car je suis plutôt quelqu’un de discret, en dehors du fait d’être reconnu comme écrivain homosexuel. Mais ce n’est pas agréable de ne pas se sentir à l’aise.

En parlant de discrétion, qu’est-ce qui vous a poussé à prendre un pseudo ?

Je n’ai pas eu tellement l’occasion d’en parler au Maroc, mais c’est bien de tirer les choses au clair. Comme je l’ai dit au tout début, je ne suis pas du tout un écrivain militant. Ça ne m’intéresse pas. J’ai commencé à écrire il y a de cela vingt ans, à une époque où il était très difficile de révéler son homosexualité. J’ai alors pris un pseudo, tout simplement pour me préserver et protéger ma famille. On oublie souvent qu’un patronyme ne nous appartient pas à nous seuls. J’ai aussi fait ce choix-là parce que je ne veux choquer personne. Ce que je désire, c’est raconter une expérience sous forme de littérature.

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