En 2019, le monde célébrait le 30ème anniversaire de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CDE), ratifiée par le Maroc en 1993. Un an plus tard, la pandémie de Covid-19 sévit, emprisonnant le monde et malmenant les droits des enfants, et ce, malgré les avancées, les acquis, les efforts cumulés ainsi que les engagements pris, ces dernières décennies, dans le domaine de la protection des mineurs notamment par le Royaume. En mars 2020, le confinement, choisi par le Maroc et salué à titre d’exemple par plusieurs pays étrangers pour tenter d’endiguer le plus tôt possible la propagation du virus, a entraîné précipitamment l’enseignement à distance. Élèves et étudiants ont dû suivre leurs cours en ligne ou à travers la télévision selon le niveau scolaire. Problème, 8,4 % des ménages marocains n’ont pas encore d’électricité, un chiffre atteignant les 25,4 % en milieu rural(1). Aussi, certaines jeunes filles vivant dans des douars isolés se sont vues contraintes de marcher plusieurs kilomètres afin de saisir une chance, même infime, d’avoir au moins une barre de connexion Internet. “Certaines de nos bénéficiaires se sont retrouvées en difficulté car elles n’ont pas trouvé d’aide à la maison lorsqu’elles ne comprenaient pas une leçon, leurs parents étant pour la plupart analphabètes”, rappelle Naima Senhadji, présidente du Comité De Soutien à La Scolarisation Des Filles Rurales (CSSF)(2) qui porte l’initiative “Une bourse pour réussir”, un programme offrant aux jeunes filles issues de zones fortement enclavées, des foyers créés, en partenariat avec des associations locales, à proximité des collèges de l’enseignement public. Aussi, la rentrée était très attendue. À distance et en présentiel, les cours ont redémarré dans le respect des mesures barrières et sous certaines conditions notamment à travers un allégement des effectifs par classe et l’instauration de groupes en alternance selon les établissements. “Nos 140 bénéficiaires sont revenues dans nos 7 foyers”, indique-t-elle fièrement, précisant que son comité a reçu, fin août, un don de plus de 130.000 DH. “Cette année, au lieu d’ouvrir un 8ème foyer, nous avons décidé d’équiper chacune de nos bénéficiaires d’une tablette avec une puce comprenant les cours de toute l’année en cas de problèmes de connexion”, explique-t-elle. Une initiative pour combler également le manque de matériels informatiques maintes fois pointés du doigt par une panoplie d’organismes tels que l’Unicef ou l’Unesco, déplorant dans la foulée qu’à l’heure de la Covid-19, l’éducation aggrave les disparités. Fin juin, Saaid Amzazi, ministre de l’Éducation nationale, de la Formation professionnelle, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique avait avoué qu’il manquait 2 millions de tablettes au Maroc. Depuis, quelques opérations de part et d’autres ont été lancées ou soutenues par le Département de tutelle dont une, début novembre, donnant le coup d’envoi à la distribution de… 696 tablettes destinées aux élèves du secondaire-collégial vivant dans la précarité en milieu rural…
Une recrudescence de la pauvreté infantile
581.000. C’est le nombre d’emplois perdus entre les troisièmes trimestres de 2019 et de 2020 et enregistrés par le Haut commissariat au Plan (HCP). Dans le détail, ce sont 237.000 postes en milieu urbain et 344 000 en milieu rural, faisant grimper le taux de chômage de 9,4% à 12,7% au niveau national. Mais derrière cette ribambelle de chiffres se cachent des familles démunies. “Alors que chez certains ménages, la pauvreté se trouve accentuée, d’autres y tombent subitement et de façon parfois dramatique”, alertent l’ONDH , l’Unicef, Partnership for Economic Policy, et Oxford Policy Management dans leur étude récemment dévoilée sous le nom “Impact de la pandémie de Covid-19 sur la situation des enfants au Maroc”. Ainsi, suite aux répercussions causées par la pandémie, plus d’un demi-million d’enfants marocains âgés de moins de 18 ans auraient glissé dans la pauvreté. Un constat édifiant atténué par le “Fonds spécial pour la gestion de la pandémie de la Covid-19” mis en place, sur Hautes instructions de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, pour soutenir notamment l’économie nationale, à travers une batterie de mesures proposées par le Comité de Veille Économique comme les aides exceptionnelles aux ménages du secteur formel et informel. “Partis en ville, des jeunes travaillant dans l’hôtellerie, le tourisme ou dans l’industrie se sont retrouvés du jour au lendemain sans emploi, raconte Omar Saadoun, responsable du pôle Lutte contre le travail des enfants à Institut National de Solidarité Avec les Femmes en Détresse (Insaf). Aussi, dévastés, ils ont dû rentrer chez eux, dans leur douar, déversant leur mal-être sur leurs sœurs. Plusieurs des filles que nous suivons, nous ont confié que leurs frères les surveillaient à tel point que certains leur confisquaient leur portable pour celles qui en avaient un.” Alors que l’école était un moyen d’évasion, beaucoup de filles en milieu rural ont ainsi été “privées de liberté” sans ouverture vers le monde même confiné. Pire encore, au vu de l’ampleur de la crise économique qui s’installe durablement, “de plus en plus de familles évoquent déjà l’idée de mariages précoces pour les filles encore mineures, s’inquiète Omar Saadoun. Nous avons déjà eu trois abandons scolaires…”
Le mariage précoce, l’épée de Damoclès
“La non-scolarisation et la déscolarisation prématurée des filles, l’inégalité entre les hommes et les femmes, le manque d’accès à une éducation de qualité, aux services de santé et de la justice, sont considérés à la fois comme des causes et des conséquences du mariage d’enfants et des facteurs de pérennisation de cette pratique”, a signalé le rapport datant 2019 du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE)(3). Mais que dit la loi ? Selon l’article 20 du Code de la famille, “le juge de la famille chargé du mariage peut autoriser le mariage du garçon et de la fille avant l’âge de la capacité, à savoir 18 ans, par décision motivée précisant l’intérêt et les motifs justifiant ce mariage, après avoir entendu les parents du mineur ou son représentant légal, et après avoir eu recours à une expertise médicale ou procédé à une enquête sociale”. En d’autres termes, le législateur accorde au juge, par le biais dudit article, la possibilité de déroger à cette disposition. Ainsi, l’exception devient la règle, comme le dénonce depuis des années maints associations féministes et organismes défendant les droits des enfants. En effet, en 2018, le ministère de la Justice a enregistré pas moins de 32.104 demandes de mariage d’enfants contre 30.312 en 2006. Entre 2011 et 2018, 85% des demandes de mariage se sont soldées par une autorisation. Autorisation qui a des conséquences souvent dramatiques sur les mineures : mise en danger de leur vie et de leur santé (viols et violences conjugales, infections sexuellement transmissibles, grossesses non désirées, accouchements et avortements à risque, mortalité maternelle et néonatale, etc.) ainsi que perte de perspectives avec l’abandon de leurs études… Pour le Docteur Jaouad Chouaib, président de l’association Bayti, il y a certes lieu de pointer du doigt le législateur qui a laissé entrouvert la porte aux mariages d’enfants qui sont de fait des mariages forcés, mais il y a également lieu de ne pas perdre de vue que les statistiques du ministère de la Justice ne prennent pas en compte les mariages informels d’enfants dits mariages “Orfi” ou “avec Al Fatiha” pour lesquels il faut également trouver des solutions. Aussi, comme le conclut le CESE dans son auto-saisine, “l’éradication du mariage d’enfants s’impose aujourd’hui comme un objectif de développement humain à atteindre d’ici 2030” ajoutant que “la lutte contre ces mariages, en raison de leurs dimensions psychosociales, économiques et culturelles, doit certes passer par une amélioration du cadre juridique mais aussi par la mise en place d’un ensemble de politiques publiques, visant particulièrement les mariages coutumiers des enfants.”
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Covid-19 : La vie bouleversée des enfants en situation de handicap
Les enfants en situation de handicap ont été fortement affectés par le confinement engendré par la pandémie de Covid-19, aggravant leur fragilité. ”Du jour au lendemain, leur quotidien a été chamboulé alors que ces enfants ont besoin de stabilité, souligne Sabah Zemmama, présidente de l’Union Nationale des Associations œuvrant dans le domaine du Handicap Mental au Maroc (UNAHM). L’angoisse, l’isolement en famille, l’interruption de la scolarité, de l’éducation spécialisée et des rééducations ont été catastrophiques pour ces enfants et ces jeunes ainsi que pour leurs familles qui ont tenté, tant bien que mal, de prendre le relais dans ce contexte inédit.” Les conséquences ? Des troubles comportementaux et psychiques parfois extrêmement graves chez les personnes en situation de handicap mental restées confinées trop longtemps, et des conséquences psychologiques et matérielles pour leur famille, répond l’UNAHM qui a, dès le début, alerté les décideurs sur notamment la mise en place, en toute urgence, d’une prise en charge et de la scolarisation à distance comprenant des appels et des consultations en ligne, et ce, en attendant le retour à “la normale”. Mais, au grand dam des associations, la situation s’est très peu arrangée, devenant très préoccupante. Certes, le confinement a été levé, mais les centres accueillant les personnes en situation de handicap mental ont tardé à rouvrir. “Ils n’ont repris qu’en octobre après maints appels l’UNAHM”, précise Sabah Zemmama, rappelant que, dès le début du confinement et l’urgence sanitaire, l’UNAHM a également réclamé le déblocage des subventions de 2018 et de 2019. “En raison de la conjoncture économique, certains parents n’ont même pas eu les moyens de payer les frais d’inscription. Les assurances ne payaient plus vu l’arrêt des prestations. Les galas et kermesses ainsi que les projets générateurs de revenus n’ont également pas pu se faire au vu des restrictions sanitaires…”, décline la responsable. “Et de surcroit, à la rentrée, une baisse inquiétant des subventions a été noté amenant à des réductions allant de 10 % à 60% selon les associations”, enchérit-elle, concluant ainsi que “les personnes en situation de handicap qui représentent tout de même 6,8% de la population nationale ne sont malheureusement pas suffisamment prises en compte dans le cadre des mesures de prévention, d’information, de sensibilisation, et de soutien.”
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Le retour des “petites bonnes” ?
“Il est fort à craindre également une hausse du nombre de petites bonnes”, redoute Omar Saadoun. Adoptée en 2017, la loi 19-12 relative aux conditions de travail et d’emploi des travailleurs et travailleuses domestiques, fixe à 18 ans l’âge minimum de ces employé(e)s, avec une période de transition de cinq ans, à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi, pendant laquelle celles qui sont âgées de 16 et 17 ans seront autorisées à travailler. Aujourd’hui, difficile d’avoir un aperçu des effets de ladite loi, mais comme le pointe du doigt le responsable du pôle “Lutte contre le travail des enfants” à l’Insaf, “les mesures de contrôle prévues par la législation sont impossibles à mettre en œuvre.” En effet, le cadre juridique d’intervention des inspecteurs du travail ne leur permet pas l’accès aux maisons, sans oublier leur nombre tout bonnement insuffisant au regard des besoins. Aussi, pouvons-nous questionner sur le sort des “petites bonnes” de moins de 16 ans ? Déjà cachées par leur employeur, elles sont aujourd’hui enfermées à double tour chez eux depuis le confinement. “Il était déjà très difficile d’avoir accès à elles, mais aujourd’hui…”, souffle Omar Saadoun. Au grand désespoir de son équipe et de tous les militants pour les droits des enfants, les intermédiaires, les semsaras, recommencent à défiler dans les ruelles des douars se rapprochant des foyers démunis et effrayés par le destin qui se profile à l’horizon. Sombre. Très sombre. “Depuis le début de la pandémie, nous sommes restés auprès des familles pour les informer, les sensibiliser et les soutenir”, poursuit-il. Mais pour lui, face à leur inquiétude grandissante, il faut consolider les aides mises en place, et ce, durablement. Un avis partagé par l’ONDH dans l’étude réalisée avec l’Unicef, Partnership for Economic Policy, et Oxford Policy Management sur la situation des enfants au Maroc. En effet, ils plaident pour une prolongation des indemnités forfaitaires notamment pour les travailleurs du secteur informel RAMedistes et non-RAMedistes, ainsi que l’octroi d’une aide aux familles ayant un enfant déjà bénéficiaire d’un programme d’aide scolaire (programme Tayssir, programme des cantines scolaires, programme de transport collectif, internat ou Dar talib, bourses d’étude et programme “1 million de cartables”). Concrètement, “l’augmentation de la pauvreté chez les enfants de moins de 18 ans serait réduite de près de 60% grâce aux mesures compensatoires que nous proposons”, soulignent les initiateurs du rapport. Un scenario qui coûterait au gouvernement la modique somme de… 789,86 DH par enfant âgé de moins de 18 ans sorti alors de la pauvreté grâce aux mesures renforcées sans compter l’aide scolaire supplémentaire. Cette dernière s’élèverait, à elle seule, à 125,18 DH par enfant…
Insoutenable…
Les abus sexuels sont un sujet sensible et tabou. Aussi, il est difficile d’avoir une idée chiffrée de l’étendu de ce fléau. “Les obstacles auxquels se heurtent les filles et garçons victimes d’exploitation sexuelle sont nombreux: réticence à parler, peur du jugement, stigmatisation, non accès à la justice, isolement, etc.”, comme le signalait déjà l’Association Anir travaillant sur la protection de l’enfance dans la zone Souss Massa, dans un fascicule publié en avril 2019 et intitulé “Exploitation sexuelle des enfants au Maroc. Des témoignages pour comprendre et agir”. Ce dernier rassemble 12 témoignages d’acteurs de terrain, mettant en lumière toutes les difficultés rencontrées. “Face à un système inadéquat de protection de l’enfance, les victimes et leurs familles se retrouvent en détresse, tiraillées entre les normes sociales (…) et la multiplicité des interlocuteurs dans le circuit de prise en charge (police ou gendarmerie, associations, justice, santé, etc.)”, comme le décrit l’auteur dudit cahier, le journalise, spécialiste des sujets sociétaux et cofondateur d’En Toutes Lettres, Hicham Houdaïfa qui a récemment publié le livre “Enfance au Maroc. Une précarité aux multiples visages”. Aussi, poursuit-il, “dans cet environnement, l’accompagnement et le suivi, ne serait-ce que d’une seule victime, deviennent un vrai défi”. Face à ce constat atterrant laissant imaginer l’ampleur du phénomène à l’heure de la pandémie, les associations et organismes n’ont pas chômé. Début octobre, l’Observatoire national des droits de l’enfant (ONDE), présidée par Son Altesse Royale la Princesse Lalla Meryem, a notamment décidé d’insuffler une nouvelle dynamique nationale pour contrer l’exploitation sexuelle et la violence à l’égard des enfants. Baptisée “Promotion des normes sociales protectrices de l’enfance”, l’opération lancée en collaboration avec l’Unicef et le ministère de la Solidarité, du Développement social, de l’Egalité et de la Famille, se décline en cinq axes d’intervention : un appui à la société civile au niveau national et local – avec déjà la signature de conventions avec 15 associations qui se traduit par une aide technique et financière de près de 1 million de dirhams -, un renforcement du partenariat avec les CHU, des sessions de formation au profit des enfants et des acteurs institutionnels et associatifs, ainsi que la création de commissions ad hoc régionales composées d’enfants parlementaires pour assurer le suivi-évaluation de la situation de l’enfance et l’émission de recommandations au niveau national. Une stratégie traduisant l’engagement fort et l’urgence pour protéger l’enfance au Maroc notamment à l’heure de la Covid-19. Aussi, avec la même dynamique connue depuis sa création, l’ONDE compte s’attaquer aux mariages précoces. C’est l’un de ses chantiers en 2021.
Les enfants en situation de rue… La pandémie de Covid-19 et la crise économique engendrée, ont été un véritable catalyseur de l’aggravation, de la précarité et de la vulnérabilité de ces enfants. “Lorsque le confinement a été déclaré, les enfants en situation de rue ont été amenés rapidement dans des centres et des établissements de protection sociale, indique le Docteur Jaouad Chouaib. Du jour au lendemain, ils ont été enfermés avant d’être remis à la rue dès la fin de l’application de ladite mesure, et ce, sans aucun suivi, retombant ainsi dans la survie, dans la situation d’avant aggravée par les tensions économiques”. Et de préciser que “les établissements de protection sociale sont encore très en-dessous de ce que devraient être de telles structures.”
Les grands oubliés
En effet, se référant au rapport de la Cour des comptes datant de mai 2018 nommé “Synthèse du rapport sur les établissement de protection sociale prenant en charge les personnes en situation difficile”, le spécialiste énumère une série de dysfonctionnements comme l’insuffisance des ressources humaines, le manque de compétences des cadres, la fragilité des financements ou encore la vétusté avancée de certains bâtiments. Et d’interpeller au passage sur l’état actuel de la société civile qui se démène pour les droits des enfants. En effet, les associations se retrouvent confrontées aux mêmes problématiques qu’auparavant, à savoir un manque de moyens et de soutien au regard des besoins ayant explosés. Toutefois, “dès le début du confinement, il y a eu une capacité incroyable du ministère de l’Intérieur de recenser les enfants en situation de rue et de leur venir en aide notamment à travers le soutien de l’Entraide nationale et du ministère de la Solidarité, du Développement Social, de l’Egalité et de la Famille afin qu’ils réintègrent leurs familles et les centres le cas échéant”, tient à nuancer une source dans le domaine des droits de l’enfance, appuyant que “durant la pandémie, diverses initiatives ont été réalisées et ont produit des résultats. Il ne faut pas l’oublier. Au contraire, il faudrait capitaliser dessus”.
“Je dois reconnaître, certes, que dès le début du confinement, il y a eu une mobilisation très importante des autorités locales, que ce soit au niveau logistique ou financier, ainsi qu’un soutien des citoyen(ne)”, admet le Docteur Jaouad Chouaib, avant de rétorquer que “cet élan de solidarité ou ce devoir étatique s’est effiloché au fil du temps, donnant l’impression d’avoir agir juste pour la bonne image du pays…”. La situation des enfants à la rue reste très préoccupante. En novembre 2018, lors de la clôture du sommet Africités à Marrakech, une nouvelle dynamique a été insufflée par Son Altesse Royale La Princesse Lalla Meryem, présidente de l’ONDE, qui a officiellement lancé la campagne panafricaine “Pour des villes africaines sans enfant en situation de rue” dont un projet pilote à Rabat, entré dans sa phase d’opérationnalisation dès janvier 2019. Depuis, l’initiative continue son chemin, ayant déjà réalisé un recensement auprès des familles pour identifier les enfants en difficultés, des enquêtes auprès des mineurs en institution, des entretiens avec tous les acteurs du territoire. Une boîte à outils contenant une stratégie, des actions prioritaires d’intervention, de prévention, d’orientation, de prise en charge, de réintégration des enfants en situation de rue a également été élaborée et remise aux responsables tant au niveau national qu’africain. Une série d’actions d’autant plus attendues à l’heure de la crise post-Covid-19 éreintant en première ligne ces enfants vulnérables.
Un système de protection décrié
“Il ne faut pas oublier que la pandémie a fait éclater des familles, jetant à la rue de nombreuses mères avec leurs enfants”, fait remarquer le docteur Jaouad Chouaib, soulevant au même moment la question importante de l’impact psychologique de cette crise sur les mineurs : “L’anxiété chez les enfants a nettement augmenté”, comme l’ont alerté nos pédopsychiatres encore peu nombreux dans le pays, évoquant une recrudescence des troubles du comportement, des tentatives de suicide et des suicides même… Pour aider cette jeunesse en détresse psychologique, le pays dénombre quatre unités psychiatriques pour enfants au niveau des CHU de Rabat, Casablanca, Marrakech et Fès, et à peine 40 pédopsychiatres dont la formation d’internes en pédopsychiatrie se limite à une spécialisation entre la faculté de médecine de Casablanca et le service de pédopsychiatrie du CHU Ibn Rochd, comme le mentionne le rapport sur la situation des enfants dans le royaume publié en novembre 2019 par l’ONDH, ONDE et l’Unicef. Quant à la politique publique intégrée de la protection de l’enfance au Maroc (PPIPEM) (2015-2025) à laquelle ont travaillé plusieurs associations en concertation avec les institutions et les ministères, elle est encore peu visible sur le terrain, comme le déplore ce spécialiste. Un constat partagé par le journaliste Hicham Houdaïfa à travers son dernier livre dans lequel il cite le lancement du Dispositif territorial intégré de protection de l’enfance à Tanger. “Ce dernier devait à terme garantir une complémentarité entre les programmes gouvernementaux et les services fournis par les acteurs oeuvrant dans ce domaine donc une prise en charge et une protection effective de ces enfants, décrit-il. Mais, rien de concret n’est venu consolider cette annonce”. Et de souligner que l’enfance n’est pourtant pas un sujet clivant. “Tout le monde est en théorie d’accord pour protéger les enfants. Néanmoins, les décisions politiques prises démontrent que ce n’est pas vu comme une priorité, d’autant plus aujourd’hui puisqu’on parle de relance économique sans aborder la question de la situation des enfants alors qu’il est crucial pour le développement du pays d’inclure l’enfance dans la réponse économique.” Et le docteur Chouaib d’enchérir que “les décideurs politiques n’ont pas la même définition du mot urgence, alors qu’il est urgent d’avoir une volonté politique forte, de soutenir le travail social déjà mis en œuvre en renforçant les structures existantes, en coordonnant les acteurs, en ayant une vision territoriale et un budget dédié.” Très prochainement, un collectif d’associations(4) pour la protection de l’enfance au Maroc va voir le jour afin de rallier toutes les forces nécessaires pour la cause infantile, rappelant également le devoir de l’État envers ses enfants qui composent plus d’un tiers du pays. Malgré l’ampleur des progrès réalisés en termes de droits des enfants, la crise de 2020 a mis à nu certaines fragilités en matière de protection de l’enfance, tout en déclenchant une mobilisation nationale. Aussi, ne se transforme-t-elle pas en opportunité à saisir pour adopter, appliquer et/ou consolider une série d’outils destinés à accélérer durablement l’atteinte des droits des enfants qui sont, rappelons-le, les bâtisseurs du Maroc de demain. À suivre…
(1) Rapport sur la situation des enfants au Maroc publié en novembre 2019 et mené par l’ONDH, l’ONDE et l’UNICEF Maroc.
(2) Depuis son lancement en 2000, l’initiative “Une bourse pour réussir” portée par le CSSF a totalisé 4.000 bénéficiaires, 45 foyers d’accueil gérés par 29 associations partenaires s’autonomisant au bout de trois ans.
(3) Auto-saisine intitulée “Que faire, face à la persistance du mariage d’enfants au Maroc”
(4) Collectif lancée notamment par l’association Anir
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La situation alarmante des enfants migrants
“Les personnes migrantes ont été particulièrement touchées par la crise sanitaire et les mesures appliquées pour pouvoir la contrer, d’autant plus qu’une grande majorité vit de l’économie informelle qui a été presque complètement bloquée par le confinement et que ces personnes n’ont pas pu bénéficier des aides de l’Etat pendant cette période”, expose d’emblée Caritas Rabat dont le directeur est Hannes Stegemann et le président le Cardinal Msgr. Cristóbal López Romero. La situation a été notamment très difficile à vivre pour les enfants notamment les mineurs étrangers non accompagnés : ils se sont retrouvés sans aucun accès à des “boulots” journaliers et ainsi sans aucune entrée d’argent … et confinés, pour beaucoup, dans des chambres exiguës partagées par 8 à 10 personnes ! Pire encore, psychologiquement, “surtout pour les profils déjà fortement affectés par leurs parcours migratoires”, pointe du doigt Caritas Rabat. En effet, “beaucoup présentent des terrains psychiques favorables à l’apparition de troubles, poursuit l’ONG. L’isolement ou, au contraire, la forte promiscuité dans les logements, peuvent produire des reviviscences de ces événements douloureux, comme c’est le cas de certaines personnes suivies par les psychologues de Caritas..” Et de soulever que “la période du confinement a également fermé les principales routes migratoires pour rejoindre l’Europe et beaucoup de migrants qui avaient initialement ce projet, dont des mineurs, se sont retrouvés bloqués au Maroc.” Face à ce constat, les équipes de Caritas au Maroc ont dû rapidement s’adapter, remplaçant notamment l’accueil et l’accompagnement physique par le lien téléphonique ou encore en mettant en place des aides. “Des fonds d’urgence ont pu être débloqués auprès de nos partenaires financiers pour activer des distributions de différentes aides (bons alimentaires, kits hygiéniques, aides aux loyers, etc.) auprès d’un nombre conséquent de personnes migrantes dans le besoin car précarisées à cause de la crise sanitaire, développe l’ONG. Nous avons priorisé certains profils tels que les femmes, sans ou avec enfants, les familles, les personnes en situation de rue ou les Mineurs Etrangers non Accompagnés (MENA).” Concernant le retour à l’école, “le CAM (centre d’accueil à Rabat) a pu accompagner une centaine d’enfants dans leur inscription pour l’année 2020-2021, que cela soit dans le cadre de l’école formelle ou informelle”, fait savoir l’organisme, avant de se désoler que “les cours de soutien, notamment pour le renforcement de la langue arabe, n’ont malheureusement pas pu reprendre.” Quant aux formations pour les MENAs, “elles n’ont pas pu toutes redémarrer ainsi que la majorité des stages, ce qui rend leur situation plus complexe”, alerte Caritas Rabat, signalant que “cela n’empêche pas certain.e.s MENAs de tenter la traversée…”