le retour en force de la Darija

Chaque mois autour d'un café, FDM discute avec des jeunes d'un sujet qui les intéresse. La darija de plus en plus visible dans le paysage urbain et médiatique, les voix qui s'élèvent pour qu'on l'enseigne à l'école... Voici ce qu'ils en pensent.

FDM La darija est notre dialecte. Pourtant, on a l’impression que rien autour de nous n’est édité dans cette langue : la télévision, l’administration, l’enseignement et même le milieu professionnel fonctionnent en arabe classique et en français. D’où vient ce décalage ?

Houda : notre génération s’exprime plus dans des langues étrangères, notamment en français ; surtout avec les réseaux sociaux et le chat qui nous encouragent à pratiquer plus souvent cette langue. En outre, on a tendance à préférer la culture occidentale à la nôtre. C’est l’effet des médias et de la mondialisation, mais aussi celui des études primaires, faites généralement en français dans certains établissements. Personnellement, je pense que la communication se fait mieux en français, qui permet de toucher davantage d’interlocuteurs.

Mouna : nous souffrons d’un réel problème depuis le protectorat. Si nous n’avions pas été colonisés par les Français, nous parlerions exclusivement en darija. Mais nous remarquons que ce dialecte est plus présent, notamment dans les médias. Les professionnels ont compris que le message passait mieux, car la masse préfère la darija, en partie à cause de l’analphabétisme. Dans la publicité, les annonceurs la réclament et les agences s’y mettent de plus en plus.

Mustapha : comme l’a précisé Houda, nous préférons la culture occidentale à la nôtre car nous souffrons d’un complexe d’infériorité. Souvent, dans un groupe de personnes, certains ne peuvent s’empêcher de parler en français, comme si c’était une preuve de connaissance. Nous sommes des Marocains à ce que je sache, nous devons donc parler notre langue ! Nous avons tous connu plus ou moins la même enfance, les mêmes pratiques, le même mode de vie. Je ne comprends pas pourquoi on s’obstine à utiliser le langage comme un outil de ségrégation sociale.

Sami : il est important de préciser que le drame linguistique marocain existe depuis belle lurette. Pour revenir un peu à l’Histoire, il fut un temps où nous avions une certaine élite qui tirait les ficelles. C’est toujours le cas aujourd’hui, mais c’est après l’indépendance que cela a commencé. Cette élite était composée de jeunes bilingues, chose qui était considérée comme un plus. La décision d’arabiser l’enseignement est venue plus tard. Un choix qui, à mon avis, était un complot d’une classe supérieure contre une autre et ce, afin de maintenir sa mainmise. Ainsi, ceux qui maîtrisaient le français avaient accès aux postes les plus importants. Les autres qui, à cause de l’arabisation, étaient faibles, occupaient les emplois inférieurs. Tout cela pour dire que le drame linguistique est beaucoup plus profond qu’il en a l’air.

Houda : entre parenthèses, je trouve que si certains préfèrent s’exprimer en français, c’est en partie parce que la darija est compliquée et crue. Il est difficile pour un étranger, par exemple, de la maîtriser.

Mustapha : je ne suis pas d’accord car la première langue qu’on apprend à nos enfants est la darija. Et en comparaison avec l’arabe classique dont elle est inspirée, je la trouve plus facile.

Selon vous, le message passe mieux en darija. Mais est-ce valable pour toutes les catégories sociales, dont certaines ne comprennent pas ce dialecte ?

Mustapha : dans la chanson en général, et le rap en particulier, il est clair que les artistes préfèrent la darija car eux-mêmes sont souvent de culture arabophone. De plus, comme pour la presse, c’est une question de cible. Dans le rap toujours, on s’adresse à une catégorie sociale particulière, souvent issue de la classe populaire. La darija est destinée à oulad echaâb (les enfants du peuple, ndlr) !

Houda : le véritable drame, à mon avis, c’est que certaines familles marocaines apprennent à leurs enfants le français avant la darija. Des enfants en très bas âge sont aujourd’hui capables de communiquer parfaitement en français, mais absolument pas en darija. Pire, ces derniers en arrivent à considérer cette dernière comme une référence sociale. L’autre jour, alors qu’une maman s’adressait à son amie en darija, sa petite fille s’est retournée vers elle en disant : “Maman, est-ce que c’est la bonne ?” Pour elle, ce langage est exclusif d’une certaine classe sociale.

Sami : souvent, j’écrivais en darija à l’époque où je travaillais au magazine “Nichane”. Aujourd’hui encore, il m’arrive d’utiliser des expressions dans cette langue car elles sont plus fortes que leur équivalent en arabe classique. Mais souvent aussi, je me trouve dans l’obligation professionnelle d’utiliser des mots dans des langues étrangères. C’est une autre problématique que celle de la richesse linguistique dans les domaines techniques et scientifiques. La langue arabe reste très limitée dans ce sens.

Mustapha : mis à part la darija basique, le vocabulaire ne cesse de s’enrichir en fonction de l’évolution sociale. Je pense, par exemple, au terme “nayda” (mouvement musical inspiré de la nouvelle scène, ndlr). Il existe aussi d’autres nouveaux mots qui donnent l’impression que la darija est un langage cru et difficile. Or, elle est compréhensible par tout le monde, il suffit de le vouloir.

Des voix s’élèvent pour que la darija soit enseignée à l’école, à l’instar de l’amazigh. Est-ce, selon vous, nécessaire ?

Sami : absolument pas. Mais, je pense que la darija a besoin d’être étudiée pour avoir ses propres règles et, pourquoi pas, sa propre écriture. L’Institut des Etudes et des Recherches pour l’Arabisation de Rabat pourrait servir cette optique. La darija possède un registre très riche, avec un large éventail de figures de style, ce qui nécessite une recherche approfondie.

Houda : je pense que la darija n’est pas le langage adéquat pour éduquer les enfants dans les écoles. Ce n’est pas une langue destinée aux études, c’est plutôt le moyen commun de communication de notre société.

Mouna : je considère que les langues que j’apprends à l’école sont censées me servir lorsque je quitte le territoire national. Quand j’apprends l’arabe classique, c’est pour communiquer dans les pays arabes en général. Le français me sert dans les pays francophones, idem pour les autres langues.

Mustapha : si tu ne côtoies pas la rue, tu ne connaîtras pas la darija. C’est le derb qui pourra te l’enseigner et non l’école. Lâche ton enfant un mois dans le quartier, et tu verras s’il apprendra la darija ou pas !

Finalement, la darija est-elle une langue ou bien seulement un dialecte ?

Houda : pour moi, la darija s’utilise à l’oral. C’est vrai qu’on la retranscrit de plus en plus, mais ça reste un dialecte qui nous sert davantage à communiquer entre nous. C’est difficile d’attribuer à la darija le statut de langue officielle. Pour moi, comme langues officielles au Maroc, on a l’arabe et le français. J’aurais aimé parler amazigh aussi, malheureusement, ce n’est pas le cas. C’est pourtant une langue qui fait partie de notre patrimoine et c’est à mon avis une excellente chose qu’elle soit enseignée dans les écoles. Elle fait partie d’une culture propre aux Marocains.

Mouna : je ne vois pas comment on peut considérer la darija comme une langue alors qu’elle ne possède pas d’alphabet ! Pour moi, elle reste un dialecte auquel on doit donner de l’importance, c’est vrai. Mais comme disait Mustapha, il n’y qu’à sortir dans la rue pour apprendre la darija. Le mieux est de familiariser nos enfants avec ce dialecte dans leur foyer.

Sami : à un moment de ma vie, je me suis beaucoup intéressé à cette question linguistique. Il s’agissait pour moi de savoir qui j’étais au juste marocain, arabe, africain, amazigh, francophone… ? Une langue est censée porter notre identité et notre histoire. C’est le cas de la darija qui, pour moi, n’est pas qu’un moyen de communication. Si quelqu’un porte atteinte à ma langue, c’est comme s’il touchait à ma marocanité.

Houda : c’est clair que la darija est un vecteur de culture. Mais notre génération a dépassé ces considérations. On est dans du 2.0, voire du 3.0 prochainement, et je trouve qu’on est passé outre ce complexe lié à la langue. De nos jours, il n’est plus question d’identité. On ne doit plus s’attarder sur des considérations telles que la priorité de l’arabe par rapport au français. Pour moi, du moment qu’on arrive à transmettre un message, alors c’est bon. Je pars du principe que peu importe la langue qu’on utilise, l’essentiel est que le message passe. Qu’on parle mal une langue n’est pas un souci, du moment qu’on essaie de trouver un compromis avec son interlocuteur pour se faire comprendre. Je trouve qu’on s’attarde trop sur notre manière de parler. On considère que celui qui ne parle que français nous prend de haut, et celui qui ne parle qu’en darija comme étant issu de la classe populaire.

Mustapha : il ne faut pas oublier que c’est la société qui nous impose de tels comportements. C’est aussi en relation avec l’école. Les enfants du peuple ne commencent à apprendre la langue française qu’une fois au CE3. Pire encore, même les cours de français sont expliqués aux enfants en darija ! Croyez-le ou pas, j’en sais quelque chose pour l’avoir vécu moi-même.

Sami : la darija véhicule toute une culture. Pour moi, ceci est un fait. Mais la question qui se pose, c’est pourquoi s’intéresse-ton autant à ce dialecte ? Est-ce aujourd’hui seulement qu’on se rend compte que 80 % des Marocains parlent uniquement en darija ? Cela fait 50 ans que toutes les administrations fonctionnent en français, par exemple. Le problème est donc réel et il en va de l’avenir de notre pays. Il ne faut pas oublier que des langues ont quasiment disparu, en Afrique centrale notamment. Selon l’ISESCO, 27 langues maternelles disparaissent chaque année. Et en règle générale, tant que la recherche scientifique ne se fait pas dans la langue maternelle d’un pays, jamais celui-ci ne pourra progresser.

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