On vous connaît davantage comme romancière. Qu’est-ce qui vous a poussée à changer de genre littéraire en publiant un premier recueil de poésie intitulé “Que la foudre soit avec toi !” ?
Ce recueil de poèmes s’est imposé à moi il y a 7 ans. Assise en tailleur dans mon salon durant une journée off, j’ai accueilli ces vers d’une seule traite. Je les ai alors posés sur un papier que j’ai ensuite enfermé dans un tiroir. Quelques années plus tard, j’ai démarré une série de dessins. En 2020, année si particulière pour tous, j’ai décidé de réunir ces deux projets dormants qui se mêlent à merveille pour vous livrer “Que la foudre soit avec toi !”, avec pour sous-titre : “petits crimes amoureux entre adultes consentants.” Je trouvais amusant de rajouter cette phrase qui a le mérite d’annoncer la couleur ! Et puis, même si je suis l’auteure de trois romans, j’ai toujours été sensible à la poésie, et ce, dès mon enfance. Je me souviens encore avec fierté avoir reçu le prix de la poésie à l’école primaire (rires). Pour moi, la poésie, telle que je l’écris, est une forme de liberté de l’intime. Si je devais la comparer à de la peinture, je dirais que j’ai le sentiment de peindre de l’abstrait avec mes mots.
Dans ce texte, vous abordez votre sujet de prédilection, le couple, et vous vous attaquez notamment au coup de foudre. Pourquoi déconstruire ce mythe ?
Être frappé par un coup de foudre est une chance. Je le souhaite à tout le monde, même s’il a pour réputation de ne pas durer dans le temps. Et puis, qu’est-ce que c’est que cette obsession de la durée ? Doit-on être aussi efficace en amour qu’en gestion de carrière? Ce qui compte, c’est l’intensité et l’authenticité. Ce sentiment intense est renversant, et ce, quelle que soit sa durée. Donc il est vrai que je pousse à oser ce choc émotionnel magnifique. La société d’aujourd’hui a tendance à mettre en ava nt l’assurance tous risques et le tout sécuritaire, même en matière d’amour, alors que le lâcher-prise est amoureusement fabuleux. Il serait intéressant de pouvoir nous libérer de cette injonction d’obligation de résultat selon des normes sociétales imposées, et d’aller à l’écoute de ses aspirations du moment.
Qui sont vos “âmes rebelles” comme vous les qualifiez dans votre recueil ?
Ce sont ceux qui osent sortir des rails alors que la société les rappelle à l’ordre et les pointe du doigt. Ce sont ces âmes fortes qui ont bravé les regards et le “qu’en dira-t-on” pour rester fidèles à elles-mêmes. Je me considère aussi comme une âme rebelle. Cela demande du courage, de la bravoure, et d’accepter les carambolages. Et puis après ? (rires)
Avec votre casquette de psychothérapeute, vous restez toujours connectée à la réalité. Aussi, qu’apprend-on de la société marocaine dans cet ouvrage ?
Il s’agit plutôt de la perception de la réalité des personnes que j’accompagne. D’ailleurs, je me sens de moins en moins légitime à apporter un diagnostic sur notre société. L’accompagnement en psychothérapie m’a appris l’humilité et la justesse de l’écoute. Mais, je reconnais que notre société est en transition entre ses traditions et un avenir qui n’est pas encore tout à fait défini. Aujourd’hui, nous avons, d’un côté, une femme paradoxale, à savoir affranchie et carriériste (pour certaines), mais encore en attente accrue de son conjoint. Et de l’autre côté, un homme, perdu, ne pouvant plus s’appuyer sur ses anciens pouvoirs et essayant de se construire une nouvelle place. Le drame est que la tendance relationnelle actuelle se limite à un consumérisme et à une immédiateté déconcertants. Aussi, sommes-nous plutôt face à des “sprints relationnels” qu’à de l’engagement authentique. Chacun essaie de soigner ses blessures comme on essuierait ses chaussures sur le paillasson de l’autre. Bref, dur, dur…
Ce livre regorge d’autres surprises. Outre votre parti pris stylistique et vos dessins, vous présentez quelques vers en Amazigh. Pourquoi ?
Je me sens davantage Amazigh qu’Arabe. Ce sont les racines de mon pays. Le peuple Amazigh, qui ne se limite pas qu’au Maroc, est un peuple que je considère libre et spirituel. Cela n’enlève rien aux autres peuples. Je procède rarement par comparaisons. Aussi, le premier mot qui me vient à l’esprit lorsqu’on évoque nos racines amazighes, c’est l’amour que ce soit à travers le respect de soi, des autres ou de la nature.
Les changements ne s’arrêtent pas là pour vous en 2020 puisque les éditions de l’Institut Marocain de Psychothérapie Relationnelle (IMPR) dont vous êtes la fondatrice, se sont transformées en éditions Onze, se positionnant ainsi sur le marché du livre. Comment est née cette renaissance ? Et à quoi fait référence ce nom, Onze ?
Onze est mon chiffre fétiche qui, à travers ses deux barres verticales, évoque la stabilité, la dignité, le lien entre la terre et le ciel, l’équilibre, le partage et l’équité. Ensuite, l’idée de cette renaissance a germé en 2019. Ma rencontre avec Patrick Lowie a fait le reste.
En effet, dans cette nouvelle aventure, vous vous êtes notamment entourée du célèbre écrivain, éditeur et metteur en scène belge, Patrick Lowie, devenu directeur éditorial des éditions Onze. Comment s’est faite cette rencontre ?
Elle s’est faite tout simplement via Facebook (rires). J’avais posté une annonce à la recherche d’un stagiaire pour développer ce nouveau projet d’édition. Patrick Lowie m’a alors contactée, m’affirmant qu’il était intéressé. Vous l’imaginez bien, j’ai requalifié l’intitulé du poste ! (rires)
Vous avez lancé les éditions Onze dans le contexte inédit et difficile de la pandémie de Covid-19 qui malmène de nombreux secteurs dont celui du marché du livre. Pourquoi prendre ce risque ?
Moi je vous rétorquerai, pourquoi freiner la cadence ? Ce n’est pas mon caractère. J’adore prendre des risques. On se doit de faire ce que l’on a à faire ! Et puis, la meilleure façon de se débarrasser d’un obstacle, c’est de l’enjamber! Ce qui m’aide beaucoup aussi, c’est que je ne suis pas perfectionniste, mais déterminée. De plus, les échecs potentiels seraient pour moi des expériences et des apprentissages, offrant une multitude de rencontres.
Quels talents marocains, notamment féminins, mettez-vous ou comptez-vous mettre en avant ?
Karima Echcherki. Elle est déjà l’auteure d’un recueil de nouvelles chez Onze, et elle est aujourd’hui en train de finaliser un roman. Pour moi, l’écriture est une conséquence de qui nous sommes. Aussi, le courage de Karima me touche. Elle est professeure universitaire dans une faculté devenue “arriérée” par moments. Malgré les obstacles, l’environnement et les risques qu’elle prend, elle résiste. Aux éditions Onze, nous accompagnons aussi les auteurs au niveau humain. À la base, j’ai créé cette maison d’édition parce que je n’en ai pas trouvé une qui répondait à mes attentes. En 2021, nous espérons également porter deux jeunes auteures francophones : une en France et l’autre au Liban. La francophonie est aussi ma patrie. Cette langue que je pratique dépasse les frontières. Et c’est une chance !
Qu’espérez-vous apporter au paysage littéraire marocain ?
À travers les éditions Onze, nous espérons apporter une éthique. Je tiens à préciser que cela ne signifie pas qu’elle n’existe pas chez mes confrères qui ont osé l’édition et qui ont permis d’ouvrir ce chemin bien avant moi au Maroc. En terme d’éthique, je parle évidemment de la rétribution des droits d’auteur, mais aussi du fait de pouvoir respecter le lecteur avec un bel objet entre les mains : Onze, c’est un beau papier avec des sujets engagés et engageants, autant que des thèmes sociétaux, citoyens et humanistes. Car je tiens à nous libérer d’un certain folklore littéraire pour porter l’écriture de mon pays vers plus d’universalité.