Chercheuse à l’EHESS et à l’Institut Français du Proche-Orient, Zahra Ali lutte depuis de nombreuses années pour la reconnaissance et l’émergence d’une nouvelle conception de la femme en islam. Ses recherches sont axées sur la dynamique féminine vue sous le prisme religieux. Mais ses travaux nous éclairent surtout sur l’engagement de ces femmes théologiennes qui se sont lancées dans l’interprétation des textes originels du Coran, une prérogative jusqu’ici réservée aux hommes. Fille de réfugiés politiques irakiens, Zahra Ali arrive en France dans les années 80 et grandit dans une famille très pratiquante. Très jeune, elle se démarque par son engagement associatif, en s’impliquant auprès de femmes musulmanes de sa ville qui cherchent à développer leur savoir religieux… Peu à peu, elle s’investit de façon plus militante au sein de mouvements progressistes et se lance dans une démarche plus citoyenne, avec la dynamique “Présence musulmane”, ou encore “Féministes pour l’égalité”. C’est à ce moment-là qu’elle constate le décalage entre la quête de spiritualité de ses “soeurs” et les ouvrages religieux, incapables d’apporter des réponses à tous leurs questionnements. Le point commun de toutes ces femmes, c’est qu’elles partagent la même réflexion, “la conscience qu’il manque une troisième voie”. Et c’est dans la foi que Zahra Ali va trouver “les fondements de son engagement féministe et politique”. Dans “Féminismes islamiques”, elle donne la parole à des figures emblématiques du féminisme islamique comme Asma Lamrabet, Margot Badran, Oumaima Abou Bakr, Asma Barlas… Toutes sont engagées pour la défense des droits des femmes à l’intérieur du cadre religieux, du Maroc aux Etats-Unis, en passant par la Malaisie ou l’Irak.
Des revendications fondées sur le principe d’égalité
Le féminisme islamique revendique le principe d’égalité des sexes, en se fondant sur le Coran. Pour Zahra Ali, “les hommes se sont approprié le sens des textes sacrés, si bien que leurs interprétations sont aujourd’hui complètement imprégnées de patriarcat”. En réclamant une relecture de ces jurisprudences, le discours des activistes est ouvertement critique sur la vision traditionnelle des femmes en islam et grâce à leur réflexion, elles participent à l’évolution de leur statut. Elles défendent une “militance” qui puiserait son inspiration dans la spiritualité musulmane, sans toutefois se limiter à contester la domination masculine dans un cadre religieux. Elles rêvent de constituer une force de changement au sein de la société en étant intégrées dans le processus de dialogue et de mise en oeuvre des lois ; elles considèrent qu’une femme est apte à occuper la fonction de chef d’Etat, diriger une prière collective, être juge ou mufti…
Concilier religion et modernité
Beaucoup de féministes revendiquées islamiques, entendent réconcilier foi et modernité. Car dans l’esprit de nombreuses musulmanes, ces deux concepts seraient antinomiques. Au quotidien, beaucoup d’entre elles se sentent tiraillées entre des traditions qui les dévalorisent, et un monde “ moderne” censé les libérer. Pour https://femmesdumaroc.com/fdm-staff/tb_article.php?operation=edit&pk0=1255Asma Lamrabet, “on devrait refuser de rester dans ces schémas binaires et réducteurs… La question des femmes, et d’autres concepts universels tels que la liberté, le progrès et la raison, ne sont pas le monopole exclusif de la civilisation occidentale. Ils sont inhérents à un universel culturel commun dans lequel l’apport islamique a été plus important qu’on ne le croit”.
Des combats universels
En conférant à l’argument religieux une place centrale, elles militent, chacune à leur niveau, pour la réforme des statuts personnels, la défense des droits des femmes, l’égalité des sexes et la justice sociale. Pour Margot Badran, les féministes islamiques “démontrent de manière convaincante que l’islam n’autorise en aucune façon la violence aveugle contre les femmes et que, de surcroît, cette violence est anti-islamique. Cet effort interprétatif ne mettra certes pas, à lui seul, fin aux violences faites aux femmes, mais il constitue une arme supplémentaire pour s’y opposer”. En Malaisie, le groupe “Sisters In Islam” fait figure de pionnier en publiant ses revendications. L’une des figures de ce mouvement est Zainah Anwar. Elle est à l’origine du manifeste “Est-ce que l’islam autorise l’homme à battre sa femme ?” Son travail de lobbying auprès du gouvernement malaisien a permis de nombreuses avancées pour leurs droits, notamment dans les cas de demandes de passeport, litiges familiaux, violences domestiques… En fonction des spécificités des pays où elles vivent, elles investissent le terrain éducatif, politique ou social. “La défunte Konca Kuris en Turquie, Nadia Yassine, figure du mouvement Justice et spiritualité au Maroc qui affirme ouvertement que “la jurisprudence musulmane est machiste”, les Egyptiennes Suhayla Zayn al Abidin Hammad et Heba Raouf Ezzat, ainsi que la Saoudienne Manal Ash-Sharif, qui a lancé le mouvement pour lever l’interdiction de la conduite des femmes dans son pays sont, chacune à leur manière, des figures de cet activisme féminin et féministe musulman à l’échelle nationale et transnationale”.
Décoloniser le discours féministe…
Avec la notion de “féminisme islamique”, Zahra Ali propose d’autres alternatives à la pensée classique. Mais ce concept dérange et fait grincer des dents chez les féministes traditionnelles. De plus, ces féministes pointent un sujet sensible en dénonçant la marginalisation du rôle de la femme dans l’historiographie musulmane. Et en ce sens, leur démarche est à la fois réformiste et progressiste, estimant que l’interprétation des textes sacrés ne s’inscrit pas dans “un cadre fini, hostile à toute dynamique de renouvellement ou de relecture”. Aujourd’hui, leurs enjeux ont évolué, elles réclament plus de légitimité et la possibilité d’occuper des fonctions qui leurs sont encore interdites sans avoir à subir de discriminations.