« Nos enfants sont nourris, logés, blanchis, aimés, adorés, dorlotés et pourtant, nous culpabilisons. Nous faisons dix fois plus pour eux que ce que nos parents ont fait pour nous et malgré tout, nous doutons. Pourtant, ces derniers n’ont jamais douté de leurs compétences. Où est le bug ?” Ainsi s’exprime Nadia, 48 ans, trois fois maman et accessoirement cadre supérieur dans un ministère ; et nous sommes nombreux à partager son point de vue. Pour quelles raisons sommes-nous si peu conscients de notre valeur à titre de parent ?
A la recherche de l’estime perdue…
Les psy à qui nous avons posé la question ont répondu : “La faute à l’idéalisation…” De qui, de quoi ? Du statut de mère. Nous serions la “génération sandwich”, celle à qui on a appris à vénérer les parents, surtout les mères. En vertu du hadith qui clame : “Omoka, omoka, omoka, tomma abouk” (Tu dois vénérer ta maman, répété trois fois, ensuite tu dois obéissance à ton père). La mère sur un piédestal, donc. Une protectrice qui serait présente à la sortie des crèches, disponible pour les premières fois, fidèle au poste pour éponger la moindre larme, panser les micro, mini et gros chagrins… Or, les femmes d’aujourd’hui n’ont plus le temps, et personne n’a encore réussi la duplication ! D’où le sentiment d’incompétence… Après une journée au bureau, des prolongations à soliloquer au travers d’une circulation souvent infernale, le retour au foyer ne signifie pas repos de la guerrière. D’autres batailles sont sur le grill : supervision des devoirs ; réception des doléances diverses et variées, celles des enfants, de la femme de ménage, de l’époux… La patience n’est pas toujours au rendez-vous. La culpabilité, si. Les mères sont à l’épreuve du grand écart : être au top, à l’écoute de ses enfants à la maison, et épanouie au travail. Très peu y arrivent. Une écrasante majorité doute. Le doute alimentant la mésestime de soi…
Beaucoup d’amour…
En attendant la parité, le partage des tâches – les pères aussi doutent, soit dit en passant ! – et d’avoir plus de temps pour soi et pour ses enfants, que faire pour améliorer son capital d’estime personnelle à titre de mère ? “Retourner aux sources”, rappellent inlassablement les psy. Et la source, c’est l’amour. Se laisser pénétrer par le principe de base : on est un parent compétent dès lors qu’on aime suffisamment son enfant. Car un enfant qui a reçu son quota d’amour parental est assuré d’être aimable et acquiert donc la garantie d’être aimé par autrui quand il quittera le cocon familial. Mais attention, il faut que ce soit un amour inconditionnel, c’est-à-dire totalement indépendant des
performances académiques, sportives ; des qualités physiques et spirituelles des rejetons en question. Et c’est là que le bât blesse ! Dur de lâcher prise, de demeurer zen face à des contre-performances à l’école qui impacteraient négativement l’avenir de nos enfants qui, en attendant, nous reprochent de les réduire à leurs notes et donc, de ne point les aimer… ce qui renforce la lassitude parentale et exacerbe le sentiment d’incompétence ! “Comment faisaient les anciens ?”, se demandent nombre de parents d’aujourd’hui, largués. Ils faisaient confiance à l’avenir car la compétitivité n’était pas ce qu’elle est devenue. Il n’y a pas si longtemps, le postulat suivant avait un sens : un diplôme en poche signifiait un emploi pérenne. Cependant, quelle que soit la conjoncture économique, une constante demeure inaliénable : la plus belle richesse à léguer à ses enfants, c’est l’amour inconditionnel. Cela se travaille. C’est un apprentissage comme un autre, plus laborieux, certes, mais pas impossible. En s’armant de volonté et de discipline, on y arrive !
Un minimum de discipline…
Oui, il faut de la discipline pour aimer ses enfants pour ce qu’ils sont. Il faut aussi accompagner l’amour inconditionnel dédié à ses rejetons d’une dose de discipline. Il est infiniment plus dur d’imposer un minimum de discipline à la maison, que d’aimer sans limites la chair de sa chair. Or, veiller à ce que les enfants observent des limites, dire “non”, savoir punir, c’est aussi aimer. Car les enfants à qui on ne refuse jamais rien seront obligatoirement sujets à l’anxiété un jour, au mal-être. Devoir respecter des lignes rouges les rassure. C’est grâce au suivi vigilant des parents, à leur “observance indéfectible” d’un système de valeurs cohérent en sus de leur amour inconditionnel que l’enfant parvient à dépasser son égocentrisme, à communiquer avec les autres, à accepter la diversité, rappellent les psys, toutes écoles de pensée confondues. Quand l’enfant y arrive, il renvoie aux parents un signal fort : vous faites du bon boulot. Votre mode éducatif tient la route. Vous êtes compétents !
Vaincre la culpabilité…
Des parents qui aiment leurs enfants, qui sont vigilants, qui punissent à bon escient – même quand c’est d’abord à eux que la punition portée fait si mal – et qui culpabilisent, on en rencontre. Comment expliquer cela ? Chafika Sekkat, psychiatre, apporte l’éclairage suivant : “Les parents qui culpabilisent manquent d’estime de soi. Or, cette dernière est fortement corrélée à la conscience de sa valeur en tant que personne. Avant d’être une mère, un père, on est d’abord un individu qui nourrit à son propre égard un certain nombre de pensées positives et négatives. Avoir une bonne estime de soi, c’est se percevoir comme compétent, c’est nourrir une perception juste de ses fragilités et de ses forces, et faire avec. C’est un capital qui nous assure de pouvoir faire face quand les aléas de la vie l’imposent, ce qui arrive bien souvent !” Sans invoquer l’histoire personnelle de chacun, comment restaurer la confiance en sa capacité de parent et trouver l’antidote à un poison qui a pour nom “culpabilité” ? “Couper la route à la culpabilité, assure Chantal Emran, psychologue, c’est se convaincre que du moment où on ne maltraite pas ses enfants, verbalement ou physiquement, du moment qu’on les nourrit, qu’on les soigne, qu’on leur impose un minimum de discipline, et surtout qu’on les aime, alors on fait au moins aussi bien que ses propres géniteurs, on est des parents compétents, on a droit à tous les égards !” Nos rejetons nous manquent d’égards et cela n’a rien à voir avec le type de respect que nous portons à nos parents ? Nul besoin de s’en vouloir, ce n’est pas une question de personnes, mais d’époque !