Dans les camps de réfugiés avec Nezha Drissi

Remettre de l’espoir (amal) là où il y a de la douleur (alam), telle est la devise de Nezha Drissi, qui a pris son bâton de pèlerin pour aller panser les traumas de guerre des réfugiés syriens au Liban. Un témoignage fort où la souffrance, toujours présente, cohabite avec la joie d’être malgré tout en vie…

Originaire du Maroc et établie en Suisse, Nezha est une jeune femme chaleureuse au sourire lumineux qui adore consacrer son temps aux autres. La dernière fois que nous l’avons rencontrée, elle était occupée à lancer une vaste campagne de traitement de la cataracte dans les confins reculés de notre pays via sa fondation Althéa. Mais cet été, le sujet qui l’a complètement mobilisée, ce sont les réfugiés syriens dans les camps de Beyrouth et de Tripoli (au nord du Liban). “Comme tout le monde, l’actualité terrible des derniers mois m’a rattrapée. Même si je ne possède pas de télé, il y a internet qui déverse sur vous un flot d’images insupportables.” Elle a alors réfléchi à la façon dont elle pourrait apporter une aide concrète, sa “goutte d’eau”, comme elle dit…

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Le déclic a lieu en mai 2015 en Jordanie où elle assiste à une conférence donnée par Rihanna Webster, une pionnière dans la TBT (Trauma Buster Technic), une technique de traitement des traumas appliquée avec succès sur des victimes de catastrophes naturelles et sur les réfugiés du Rwanda. Mélange de coaching, de programmation neurolinguistique et d’EFT (Emotion Freedom Technic), il s’agit à la fois de pratiquer l’écoute active, d’amener la victime à dissocier le souvenir traumatique de la douleur afférente mais aussi de libérer les bonnes énergies du corps via l’acupressure (tapotage de certains points particuliers du corps, disposés sur des méridiens dans la médecine traditionnelle chinoise). ça tombe bien ! Notre passionaria des causes difficiles est elle-même coach de formation. Conquise, elle s’empresse de prendre un billet direction Beyrouth avec un contact sur place, Reem, une Syrienne appartenant à une ONG locale, Moubaderoon.

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Sabra et Chatila

En rencontrant les membres de Moubaderoon, Nezha est d’abord impressionnée par le travail de cette association chrétienne de bénévoles apolitiques qui œuvrent pour la paix en temps de guerre. “Ils ont un degré de résilience extraordinaire et focalisent en priorité sur l’instruction et l’éducation des jeunes. Un atelier d’art therapy a aussi été monté dans le but de dépasser les maux à travers l’expression artistique”, indique-t-elle. Les jeunes gens font montre d’un certain scepticisme lorsqu’elle leur explique la méthode. Mais le leader du groupe accepte tout de même de se prêter à la démonstration. Son trauma est relatif à Ahmed, un petit orphelin de guerre, qui vient quotidiennement à l’association se jeter dans ses bras. à sa vue, une souffrance violente qu’il ne s’explique pas le terrasse littéralement. Au niveau de la technique, il s’agit de mettre à jour au fil du récit le point crucial de la douleur, identifié sur une échelle de zéro à dix. “Ce pic point peut être, en fonction des personnes, relié à l’auditif (sirènes, bombardements, avions, armes, cris…) ou à une image ou une situation gravées dans l’esprit. Il provoque palpitations, sueurs, difficultés à respirer ou paroles hachées”, explique Nezha. Le jeune homme est ensuite invité à revivre ladite scène, cette fois en noir et blanc et à l’aide de personnages de dessins animés (par exemple les Schtroumpfs) en empruntant aussi leur voix. Parallèlement, durant tout le temps où il se livre, la thérapeute entreprend de tapoter certaines zones ciblées du corps pour libérer l’émotion et “éteindre l’incendie” de la souffrance morale. Le reste du groupe est prié de solliciter les mêmes points clés. Peu à peu, le sourire revient sur le visage du jeune homme et en moins d’une dizaine de minutes, il se sent “nettoyé” de ses démons…

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Les jours suivants, assistée de ses anges gardiens, Nezha part cette fois en quête de “patientes” dans un centre de femmes et d’enfants situé au camp de Sabra. La responsable du département couture, Raïssa, a reçu la photo de la tête coupée de son frère sur son portable. Mais ce que découvre in fine Nezha en la questionnant, c’est que le point culminant de rupture se situe ailleurs. Lorsqu’elle a dû annoncer à sa mère la mort de son fils, son impuissance à la consoler l’a définitivement anéantie. Raïssa en garde des douleurs somatiques aux jambes et un souvenir traumatique indélébile. Petite inflexion de méthodologie : outre les incontournables tapotements, Nezha rembobine avec elle le film des évènements, façon “comme si”, et la conduit à produire mentalement des images apaisantes de son frère au paradis et des versets du Coran, pour l’amener à l’acceptation positive des choses. “Je me suis appuyée sur son background religieux car la technique des dessins animés ne se prêtait ni à sa personnalité, ni au contexte culturel.” Pendant que chacune retrouve peu à peu sa sérénité, Nezha, quant à elle, continue de s’enfoncer dans des histoires ordinaires de guerre, plus atroces les unes que les autres. Telle la grand-mère de Raïssa, dont le fils a rendu son dernier souffle dans ses bras, tandis que son petit-fils a été amputé d’une jambe, emportée par un obus. Ou encore cette femme dont le mari a refusé de s’engager avec l’armée syrienne et qu’on a assassiné à sa porte, devant ses enfants. “Elles m’ont donné du courage et une véritable leçon de vie, à moi qui suis venue les assister. Malgré toutes leurs épreuves, elles gardent foi en la vie, se battent bec et ongles pour l’avenir de leurs enfants, apprennent la couture, la broderie, la cuisine…” “Habibtna el maghribiya”, comme ils la nomment affectueusement, est même partie d’un fou rire interminable à l’occasion d’un échange anecdotique: “Est-ce vrai que vous pratiquez la magie noire avec vos maris, vous les Marocaines ?”

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Camp de Tripoli et Beyrouth

Ce deuxième périple va durer près de 17 jours, car Nezha veut passer le relais aux formateurs qui ont bénéficié au préalable de la technique pour en faire un outil facilement reproductible. La première escale a lieu dans une école où se trouvent des enseignants et des travailleurs sociaux syriens. Certains ont un statut légal de réfugiés, d’autres sont demandeurs d’asile avec la hantise d’être renvoyés un jour dans leur région d’origine à feu et à sang. “Tous véhiculent la même hantise: être enrôlés par ce qu’ils appellent “nidam” (l’armée régulière syrienne), massacrés par Daesh ou encore interceptés par les autorités libanaises au cas où on les surprendrait à travailler illégalement.”
Mais pour l’heure, Nezha doit faire fi de ces considérations et se retrousser les manches pour respecter son planning : deux jours d’entraînement théorique et pratique nécessaire à la mise en œuvre de sa technique de soulagement des traumas. Avec Youssef, le premier participant, elle se heurte immédiatement à un écueil de taille: polytraumatisé, il refuse d’aller plus loin dans le descriptif de ses zones d’ombre. L’impact sur le public présent est désastreux: “J’ai dû user de toute ma force de persuasion pour travailler avec chacun d’entre eux, un à un. Car noyés dans la même émotion, ils ne supportaient pas la verbalisation de toute cette “violence” mise en commun… Puis Mohamed, un jeune architecte, se montrera très reconnaissant de la disparition de sa douleur au cou”, explique Nezha. Le jour d’après, ces mêmes éducateurs conviennent de s’attaquer avec elle aux symptômes des élèves. Ils créent alors une sorte de courte histoire, où des marionnettes volubiles et agitées endurent drames et traumas. Les enfants sont chargés de leur tapoter les points stratégiques pour les soulager. Dans un second temps, les petits chantent en chœur une mélodie de gratitude et se tapotent de concert sur lesdites zones précises, tel un jeu.

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Tripoli, Beyrouth, Naeme, Broumana, Sabra, Beqaa, notre fourmi infatigable poursuit minutieusement l’expérience avec ses ouailles : “L’originalité de la démarche, c’est que je viens former des éducateurs ou des psychologues eux-mêmes éprouvés par leur vécu. Quand ils retrouvent une forme de mieux-être, ils sont d’autant plus motivés à exercer la technique sur d’autres.” Ainsi, même en son absence, la chaîne de solidarité effective ne s’effrite pas. “Si rien ne pourra jamais gommer le souvenir de l’horreur vécue, il existe des moyens pratiques pour faire disparaître la douleur émotionnelle ou physiologique qui y est rattachée”, conclut notre femme de cœur. Pari tenu !

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