Cancer de l’enfant : un combat encore long

L’oncologie pédiatrique a fait du chemin au Maroc, comme nous le remémore, en toute intimité, le Professeur Fouzia Msefer Alaoui dans son livre-témoignage “Pour la vie des enfants atteints de cancer”. Au fil des pages, cette spécialiste en cancérologie pédiatrique revient sur les défis remportés ainsi que sur les batailles toujours en cours…
Professeur Fouzia Msefer Alaoui

Pendant longtemps, la douleur et les maladies infantiles ont été sous-évaluées voire sous-estimées… faute de formations et de moyens. Conscient de cette injustice, quelques femmes et hommes se sont battus, à l’instar du Professeur Fouzia Msefer Alaoui, professeur de Pédiatrie à la Faculté de Médecine de Rabat qui a consacré toute sa carrière à sa spécialité. Dans un livre-témoignage “Pour la vie des enfants atteints de cancer” publié en mars dernier, elle revient sur l’évolution de l’oncologie pédiatrique au Maroc à travers son histoire personnelle et professionnelle. “À la fin des années 1970, j’étais maître assistante de pédiatrie à l’Hôpital d’Enfants de Rabat. Je voyais des enfants mourir de leucémie ou autres cancers, sauf s’ils avaient une petite tumeur tout à fait localisée ou si leurs familles avaient les moyens de les faire soigner à l’étranger. Je trouvais injuste cette inégalité dans l’accès aux soins. Je voulais essayer de donner aux enfants marocains la chance d’être soignés et guéris dans leur pays, quel que soit le niveau socio-économique de leur famille”, raconte-t-elle. Le cancer est l’une des principales causes de décès chez les enfants et adolescents dans les pays développés. Lorsqu’un cancer est diagnostiqué, la probabilité de survivre varie selon les pays, comme l’alerte depuis des années l’OMS. Dans les pays à revenu élevé, plus de 80 % des enfants atteints d’un cancer guérissent mais dans de nombreux autres pays à revenu faible ou intermédiaire, cette proportion est inférieure à 30 %. Plusieurs facteurs expliquent ces taux de survie inférieurs dans ces pays, notamment un diagnostic tardif, la difficulté d’obtenir un diagnostic précis, des thérapies inaccessibles, l’abandon des traitements et du suivi, les décès dus à la toxicité (effets secondaires) et aux rechutes qui pourraient être évitées.

Une dynamique impulsée

Pour le Professeur Msefer Alaoui, l’histoire de l’oncologie au Maroc a été marquée par toute une série de grandes étapes. La première : la création des unités d’hémato-oncologie, une à Casablanca par le Pr Benchemsi en 1980 et une autre à Rabat par le Pr Msefer Alaoui en 1982. “Elles ont eu du mal à démarrer en raison du manque chronique de matériels et de ressources humaines, précise-t-elle. Aussi, pour soutenir ces unités, deux associations ont vu le jour : l’association AGIR à Casablanca et l’association AVENIR que nous avons fondée en 1986”. C’est le deuxième temps fort dans l’histoire marocaine de la cancérologie”. Leur objectif ? Répondre aux besoins de plus en plus croissants de ces unités, que ce soit en termes de médicaments, de matériels ou de rénovation des lieux, devenant ainsi essentielles pour le service. Troisième moment marquant : la création de la Maison de l’AVENIR inaugurée en mai 1995 après un constat saisissant évoqué par cette experte : “85% des enfants soignés pour cancer à l’Hôpital d’Enfants habitaient en 1988 hors de Rabat-Salé, parfois jusqu’à 1000 km de distance et 75% étaient de familles très modestes qui souvent abandonnaient le traitement, car elles n’avaient pas les moyens de louer un logement à Rabat”. Et d’enchaîner: “Ces abandons entraînaient des rechutes, des décès et, partant de là, le découragement des infirmières et des internes.” Ainsi, la Maison de l’AVENIR a été une deuxième maison pour ces parents, “adoucissant les conditions médicales, sociales et psycho- affectives des enfants et de leurs familles”, appuie-t-elle. Les partenariats ont également joué un rôle considérable dans cette dynamique. Parmi eux, l’hôpital St Jude de Memphis au Tennessee, considéré comme l’un des plus grands centres de soins, de formation et de recherche dans le domaine des cancers de l’enfant aux États-Unis et dans le monde ou encore le Groupe franco-africain d’Oncologie pédiatrique constitué de médecins français et africains, maghrébins et subsahariens. “La création de la Fondation Lalla Salma de lutte contre le cancer a aussi été un événement notable au Maroc”, précise le Pr Msefer Alaoui. La Fondation a donné une formidable bouffée d’oxygène à tous les intervenants dans ce domaine, que ce soit les soignants ou les patients. Elle a notamment initié le Plan national de Prévention et de Contrôle du Cancer (PNPCC) 2010-2019 qui comportait de nombreux axes stratégiques : prévention, détection précoce, prise en charge diagnostique et thérapeutique, soins palliatifs, suivi, accompagnement social et psychologique, formation, recherche et mobilisation. Pour cette experte, “le projet de généralisation de la protection sociale au Maroc à l’horizon 2025, initié par SM le Roi Mohammed VI en avril 2021, est également une véritable bénédiction qui permettra plus de justice sociale et sanitaire.”

Entre des carences

Au Maroc, l’incidence des cancers chez les enfants et adolescents est de 1200 nouveaux cas par an. Parmi eux, 800 sont traités dans les cinq unités d’oncologie pédiatrique et environ 500 guérissent chaque année. Les cancers les plus prédominants chez l’enfant ? Les leucémies, les lymphomes, les tumeurs du rein et les tumeurs cérébrales. “Toutes les unités sont accompagnées et soutenues par la Fondation Lalla Salma et utilisent des protocoles de traitements reconnus au niveau national et international, souligne Pr Fouzia Msefer Alaoui. Toutes les familles sont accompagnées par une association qui leur apporte un soutien médical et psycho-social.” Et de préciser : “La Fondation a notamment créé des centres régionaux de cancérologies (CRO) et des Maisons de Vie pour les malades en traitement ambulatoire”. Depuis 2019, le Maroc fait partie des pays ciblés par l’Initiative globale pour le cancer de l’enfant (GICC) lancée par l’OMS dans l’objectif d’améliorer de façon durable la qualité et l’efficacité de la prise en charge du cancer de l’enfant au niveau mondial. “Il s’agit d’atteindre au moins 60% de guérisons d’ici 2030, précise la spécialiste. Étant donné que le Royaume est déjà parvenu à 60%, le pays s’est fixé un cap ambitieux de 80%.” Et d’ajouter : “Le Maroc ne peut y arriver que si certains problèmes sont enfin traités comme la création de registre national des cancers de l’enfant -le projet est en cours- , le renforcement des ressources humaines ou la formation continue du personnel soignant ainsi que le développement de la recherche qui n’est toujours pas assez poussé dans ce domaine”. Pour cette scientifique, il faudrait une meilleure maîtrise du circuit de référence. Car, pour améliorer le pronostic des enfants atteints de cancer, il faut un diagnostic précoce et précis suivi d’un traitement efficace. “Certes le circuit s’est structuré mais cela engendre désormais une lourdeur administrative, alerte le Professeur. Car lorsqu’un enfant malade est repéré, il doit passer par divers centres avant d’arriver jusqu’à l’unité dédiée, et ce, dans un temps trop long. Chaque minute et chaque jour compte. Chez un enfant, certains cancers se développent très rapidement.” Autre écueil : la rupture de stock de certains médicaments. “Si un enfant atteint de cancer ne reçoit pas son traitement à temps, cela peut avoir de graves répercussions sur sa santé”, interpelle à nouveau Pr Msefer Alaoui, avant de s’arrêter sur le suivi à long terme. “Actuellement, les oncologues pédiatres de chaque unité suivent leurs malades plusieurs années après le diagnostic et le traitement, explique-t-elle. Cependant, de nombreux malades échappent au suivi, soit parce qu’ils n’ont pas les moyens matériels pour revenir à l’unité qui les a traités, soit parce qu’ils croient que la fin du traitement signifie la guérison”. Les conséquences ? Une rechute ou le développement d’autres maladies voire de nouveaux cancers. “Il est donc crucial de mettre en place une stratégie de suivi à long terme comprenant informations aux malades, formations du personnel soignant, moyens de préventions et financement”, met-elle en avant, reconnaissant que “le ministère de la Santé a fait de la lutte contre le cancer une priorité en lui sécurisant un budget conséquent chaque année”. Certainement pas assez aux yeux des spécialistes qui se battent pour sauver chaque enfant malade.

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Des liens utiles

-L’association des parents et amis des enfants atteints de cancer, L’AVENIR
Maison de l’Avenir, Hay Nahda 2, Rabat. Tél. : 05.37.75.41.74
[email protected]

-L’Association de soutien aux malades du sang et aux enfants atteints de cancer (AGIR) Service d’Hématologie & Oncologie Pédiatrique de Casablanca. Tél. : 05.22.22.78.05
[email protected]/www.agirmaroc.org

-La Fondation Lalla Salma Prévention et traitement des cancers
Villa N°1, Touarga Fouaka, Méchouar Said – Rabat – Maroc. Tél. : 05.37.66.10.55
www.contrelecancer.ma

-Association Noujoum
9 Rue Ahmed El Mokri Casablanca.
Tél. : 05.22.94.59.82
[email protected]/www.noujoum.org

-Principales structures hospitalières soignant les enfants atteints de cancer :

– Centre d’hémato-oncologie pédiatrique (CHOP), Hôpital d’enfants, Rabat.
Tél. 0537778380/0537673135
[email protected]

– Service d’hématologie et d’oncologie pédiatrique (SHOP)
Hôpital 20 août 1953 Casablanca.
Tél. : 05.22.22.78.05

– Unité d’hémato-oncologie pédiatrique (UHOP), Hôpital Mère-Enfant
CHU Mohammed VI Marrakech.
Tél. : 05.24.30.06.29
www.chumarrakech.ma

– UHOP, service de pédiatrie
CHU Hassan II, Route de Sefrou, Fès.

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