Mariage des mineures, filiation par ADN: un appel à l’action

Si le Code de la famille avait marqué un tournant en 2004, ses dispositions sur le mariage des mineures, la filiation et la polygamie, entre autres, sont aujourd'hui vivement contestées par les militants des droits de l’homme et de l’égalité des genres. Un débat sur la nécessité d’une réforme globale est plus que jamais d'actualité.

La Moudawana de 2004, après vingt ans d’application, présente des failles significatives qui la rendent inadaptée aux évolutions sociétales actuelles. Ce texte juridique, conçu pour répondre aux défis de son époque, se révèle aujourd’hui en décalage avec les principes modernes d’égalité de genre et de justice sociale. En conséquence, une réforme globale du Code de la famille apparaît désormais incontournable. Quels aspects de cette réforme sont jugés prioritaires ? “Les points critiques nécessitant une révision urgente incluent la législation sur le mariage des mineures, les modalités de filiation basées sur les tests ADN, l’équité successorale, la régulation de la polygamie, les dispositions relatives à la tutelle, les critères de la pension alimentaire et les mécanismes de partage des biens”, estime Bouchra Abdou, militante féministe et présidente de l’association Tahadi.

“Viol de l’enfance”

Si la Moudawana a porté à 18 ans au lieu de 15 ans l’âge légal du mariage, les dérogations sont monnaie courante. Selon le ministère Public, les données révèlent une diminution des demandes de mariage pour mineures, passant de 20.738 en 2019 à 13.652 en 2022, mais le phénomène n’a pas pour autant disparu. Il est important de noter que ces chiffres ne prennent en compte que les mariages formels, étant donné que les unions coutumières, encore pratiquées et non déclarées, échappent à toute reconnaissance juridique. La persistance encore importante des mariages de mineures est en grande partie attribuables à l’article 20 du Code de la famille. Cet article permet aux juges d’autoriser ces mariages par une “décision motivée” pouvant permettre de contourner l’exigence de la majorité légale fixée à 18 ans. “La véritable problématique réside dans les articles 20, 21 et 22 de la Moudawana, qui permettent encore le mariage des mineures. Ces jeunes filles, qu’elles soient issues de milieux ruraux ou urbains, se retrouvent victimes de mariages forcés en raison d’exceptions légales qui ne devraient plus exister”, défend Ghizlane Mamouni, avocate d’affaires et militante féministe fondatrice du mouvement Kif Mama Kif Baba.

Pour la militante féministe Zahia Amoummou, “il est inacceptable qu’un pays ayant ratifié des traités internationaux sur les droits de l’Homme tolère encore ce qu’elle qualifie de “viol de l’enfance”. La situation se complique quand une mineure enceinte se voit poussée à épouser le père se son enfant car privée de l’option légale de l’avortement, et que, à la discrétion du juge, cela puisse justifier une dérogation pour un mariage de mineure. “Il est crucial de commencer par punir le violeur et d’introduire la légalisation de l’avortement dans le code pénal. Les exceptions doivent être abrogées ; les tentatives antérieures ont échoué. Un changement radical est désormais indispensable”, affirme l’avocate au barreau de Casablanca, spécialisée en droit de famille. Malgré les progrès réalisés, des défis demeurent, soulignant la nécessité d’une action coordonnée pour transformer les aspirations en mesures concrètes et éliminer les pratiques nuisibles affectant les jeunes filles au Maroc.

Par ailleurs, l’article 148 du Code de la famille, qui limite la reconnaissance de la filiation aux enfants nés dans le cadre de relations matrimoniales, apparaît aujourd’hui obsolète face aux moyens offerts par la science. L’article 152 du Code de la famille impose des conditions complexes pour établir la filiation paternelle, reposant soit sur l’aveu du père, soit sur des preuves traditionnelles comme le témoignage de tiers. “En continuant à maintenir des régulations telles que celles sur le mariage des mineures, la filiation par ADN ou la tutelle, nous compromettons l’intérêt supérieur de l’enfant, pourtant protégé par la Constitution marocaine et les conventions internationales ratifiées par le Maroc”, insiste Zahia Amoummou. “L’ADN est une preuve scientifique incontestable, pourquoi peine-t-on encore à l’adopter alors que tant d’enfants nés hors mariage sont confrontés quotidiennement à des réalités désastreuses, à l’abandon, à la violence?” s’interroge-t-elle. Pour l’avocate, il est impératif que la législation soit claire et dépourvue d’ambiguïté, afin d’éviter toute interprétation arbitraire.

La réforme de la Moudawana est devenue une nécessité urgente pour assurer une égalité de genre et une justice sociale véritables au Maroc. Les défis sont nombreux, mais une action coordonnée entre la société civile, les militants des droits de l’homme et le gouvernement pourrait transformer ces aspirations en réformes concrètes, offrant un avenir meilleur pour les jeunes filles et les enfants du pays.

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