Code de la famille : Jusqu’où peut-on aller ?

Très attendu, le nouveau Code de la famille devrait instaurer davantage d’égalité entre les hommes et les femmes, et introduire certaines modifications relatives au mariage des mineurs et à la filiation. Qu’en est-il dans les faits ? Et quels défis faudra-t-il relever ? Éléments de réponse.

Le “Code de la famille a représenté un véritable bond en avant. Désormais, il ne suffit plus en tant que tel”, avait déclaré SM le Roi en juillet 2022 à l’occasion de la Fête du Trône. Le 26 septembre 2023, le Souverain a confié au Chef du gouvernement la mission de la révision du Code de la famille et a fixé un délai de 6 mois pour la restitution d’une nouvelle mouture, avant l’élaboration par le gouvernement d’un projet de loi et sa soumission au Parlement pour adoption. Conscient des défis importants que soulève cette réforme, le Roi a appelé à ce que plusieurs institutions soient associées à cette réforme dont le Conseil supérieur des Oulémas, le Conseil national des droits de l’Homme, l’Autorité gouvernementale chargée de la solidarité, de l’insertion sociale et de la famille, tout en s’ouvrant aux acteurs de la société civile, aux chercheurs et aux spécialistes des questions de la famille. C’est dire que le Maroc se prépare non seulement à franchir un nouveau cap dans la révision du Code de la famille, mais aussi et surtout à redéfinir les contours d’une société dans l’air du temps, en phase avec l’évolution de ses différentes composantes. Mais la question qui se pose alors est de savoir jusqu’où peut-on aller dans la refonte de ces textes de loi ? Pour les observateurs de la société marocaine, le Code de la famille sera adapté au contexte actuel, mais “il ne faudra pas s’attendre à des dispositions révolutionnaires”, nuance le sociologue Fouad Belmir. Ce que balaie d’un revers de main la Coalition féminine pour un Code de la Famille basée sur l’égalité et la dignité (CFCFDE) lors d’une conférence de presse organisée le 10 octobre dernier à Casablanca qui réclame une refonte globale du Code de la famille. Dans ce sens, quelques dispositions doivent être impérativement revues, voire abrogées. “Cela commence par une terminologie adaptée. L’actuel texte comporte d’innombrables termes qui rabaissent la femme”, dénonce l’avocate Zahia Amoummou.

Le Code de la famille doit subir une modification globale et radicale de manière à garantir sa compatibilité avec la Constitution de 2011. Cette compatibilité ne peut être obtenue qu’à travers une révision globale du Code de la famille”, assure Me Aïcha Alhiane, présidente de l’Union de l’action féminine. Le ton est donné. L’annonce d’une réforme éminente et imminente du Code de la famille ouvre la voie à tous les espoirs… et à toutes les exigences. “Le droit de la famille doit refléter le statut d’égalité, en termes de droit et d’obligation, dans tous les domaines, que ce soit au moment du mariage, pendant celui-ci ou lors de sa dissolution, de manière à éliminer d’une part, tous les concepts et termes qui insultent la dignité des femmes et les rabaissent et dévalorisent leurs rôles fondamentaux au sein de la famille. Le nouveau dispositif devra garantir le droit des femmes à la tutelle sur leurs enfants, ainsi que leur droit à l’argent acquis après le mariage, avec une révision du système de l’héritage de manière à réaliser la justice entre les femmes et les hommes tout en éliminant “Ataassib” (héritage par agnation). Il n’est plus permis d’accepter ce genre de discrimination...”, insiste la présidente de l’Union de l’action féminine. Une prise de position qui rejoint celle d’un grand nombre de militantes qui sont bien décidées à ce que la nouvelle mouture du nouveau Code de la famille réponde au mieux à leurs exigences. 

En Octobre 2003,
SM le Roi Annonce
les grandes lignes de la réforme du Code de la famille et pose pour une photo souvenir avec des parlementaires.

Des dispositions à bannir

Plusieurs dispositions doivent être supprimées. Pour Fatna Serhane, enseignante universitaire et militante féministe, les articles qui régissent la filiation, la garde et la tutelle des enfants après le divorce portent atteinte aux intérêts de l’enfant. “Il est impératif de s’attaquer aux articles qui violent les droits humains”, insiste-t-elle. Parmi les articles décriés, l’article 20 qui autorise par dérogation le mariage des mineurs. Une violation des droits de l’enfant, estime l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM). Toutefois, “depuis 2016  suite à une circulaire du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, il arrive rarement que cette dérogation soit appliquée, à quelques exceptions bien sûr : quand la fille a 17 ans et des poussières, ou que l’union est déjà consommée, ou qu’il y a un bébé en route”, explique un juge à Casablanca. 

Les articles 163, 171, 173 et 175 régissant la garde des enfants après le divorce sont également pointés du doigt. Les acteurs de la réforme devraient également se pencher sur les articles 231, 236 et 238 qui font le distinguo entre les droits du tuteur ou représentant légal et les missions de celui qui a la garde. “La loi devrait garantir l’égalité des deux parents pour la tutelle des enfants”, dit-on à l’Union des Femmes du Maroc (ADFM). Outre les problèmes administratifs du quotidien (document de voyage, liberté de mouvement hors du territoire, transfert d’école, …), seul le tuteur peut exercer des droits au nom de l’enfant et veiller sur ses biens. Un amendement favorable à davantage d’équité serait envisageable. 

La garde des enfants figure également parmi les questions soulevées par la société civile. Pour l’association Amane, la révision de l’article 175 du Code de la famille est capitale. “Cette disposition n’est pas du tout équitable. La femme perd systématiquement la garde des enfants dès lors qu’elle se marie. Ce qui peut affecter les intérêts de l’enfant”, s’indigne Me Aicha Alhiane, présidente de l’UAF. “Pourquoi la garde du père n’est pas déchue quand ce dernier se remarie ?”, s’interroge Aïcha Guellaâ, membre de la CFCFDE. “Les réformateurs sont appelés à revoir cette pension, en vue d’assurer une vie décente aux enfants”, rappellent les mouvements féministes. La question de l’héritage fait également débat. “Eu égard aux conséquences du Taassib sur la stabilité économique de la famille et en l’absence de texte le réglementant dans le Coran et la Sunna, la suppression du Taassib rentre dans le domaine du possible”, estime Fatna Sarehane. 

Le plafond de la réforme   

“Le comité en charge de la réforme du Code de la famille doit prendre en considération toutes les évolutions de la société, ainsi que la réalité des femmes marocaines devenues soutien de famille et membres actifs de la société”, soutient Me Aïcha Alhiane. Dans son discours d’ouverture du Parlement le 10 octobre 2023, le Roi n’a pas délimité le périmètre précis de la réforme, et n’a pas explicité les thématiques qui doivent être revues, laissant la voie ouverte à tout ce qui ne fait pas l’objet de textes sacrés explicites. Faut-il en conclure que l’ijtihad servira de fil conducteur à la réforme de la Moudawane et que l’égalité et la parité entre les hommes et les femmes primeront ? “Au-delà des dispositions, c’est la mise en application qui est entravée par certaines mentalités machistes, croyances rétrogrades ou mauvaises interprétations des textes”, nous confie Zhor Al Hor, ancienne présidente du Tribunal de la famille. “Il est essentiel d’avoir un système judiciaire spécialisé en Code de la Famille et en sociologie. Les juges doivent disposer d’une certaine ancienneté et une expérience qui permet de comprendre les problèmes conjugaux”, estime pour sa part Abdelali Mesbahi, président du Club des Magistrats. C’est dire l’importance du facteur humain et de la qualité des effectifs pour mener à bien cette réforme. Laquelle implique, selon plusieurs juristes toute une logistique et des conditions de travail optimales.  Car, n’oublions pas que les lois, aussi avant-gardistes qu’elles soient, pourraient subir les contre-coups de mauvaises interprétations ou d’une application injuste. “Il est également très important d’œuvrer dans le domaine culturel pour éliminer les stéréotypes sexistes et diffuser une culture d’égalité, de tolérance et de respect de la différence”, insiste Me Aïcha Alhiane

Mais quelques soient les écueils, les associations féministes sont dès à présent en ordre de marche pour obtenir des avancées réelles.

La loi doit servir l’intérêt général

Lorsque Sa Majesté le Roi a donné ses instructions pour établir la loi sur la famille, c’était dans le but de promouvoir les droits de l’Homme, l’équité envers les femmes, la protection des droits de l’enfant, et le maintien de la dignité de l’Homme, en respectant pleinement les nobles precepts de l’islam. Par conséquent, cette initiative de réforme ne doit pas se limiter à changer ou à modifier les textes régissant le mariage et la relation entre les conjoints, car la loi doit être adaptée dans une certaine mesure pour servir l’intérêt général, le bien-être public, et les intérêts supérieurs des parties impliquées. Il est essentiel de travailler en parallèle sur ce qui ne peut pas être changé, et qui constitue un obstacle à toute réforme, comme les coutumes, les traditions, la domination de la mentalité masculine, les affiliations tribales, le manque de civisme et de modernité…

Ceux qui s’opposent au changement ne progressent pas. Toutefois, on ne peut manquer de relever que la plupart des intervenants dans la question de la modification de la loi sur la famille se concentrent sur la réforme des dispositions du divorce et de ses conséquences, ce qui montre que nous avons échoué à réglementer les aspects du mariage, dont le divorce ou la dissolution en sont les résultantes. Plus nous renforçons les bases du mariage et ses règles, plus nous évitons le conflits liés au divorce (…). Les institutions constitutionnelles devraient se consacrer à servir la famille autant que la société, car la famille est le noyau de la société. La question va au-delà de la simple modification du Code de la famille, car il s’agit d’une question d’éducation, d’enseignement et de changement de la perspective du Coran et des relations au sein de l’institution du mariage.

Ce que la pratique judiciaire a accumulé au cours de vingt ans doit être évaluée, et ses erreurs corrigées, en se concentrant sur les problèmes majeurs tels que la pension alimentaire, les modes de collecte, les preuves de parenté, le recensement et les cas de recours à la justice, le divorce et ses taux exponentiels, la numérisation et son importance pour la documentation et la régulation, et l’équilibre entre la nécessité de modernisation et la préservation de la cellule familiale.

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