Carte blanche : L’amour, cet étrange feu qui nous anime

“ L'amour nous envahit d’un bonheur enivrant et nous nous sentons soudain merveilleusement vivants.”

Très jeunes, l’amour devient notre première obsession. Nous commençons par le rêver sans vraiment le vivre, et ce dont nous rêvons, ce sont de passions tout aussi dévorantes. Pas de prince charmant. Le prince charmant me paraissait, enfant, d’un ennui abyssal. Et d’un profond cynisme. Il poursuit avec ferveur le rêve d’épouser la jeune fille qui lui a volé son cœur et, une fois tous les obstacles surmontés, il tend son visage vers elle, clôt ainsi un pacte qu’elle n’a pas forcément demandé à signer et l’emporte comme un trophée sur sa monture immaculée.

Et que dire des contes de nos mères et grands-mères. De véritables thrillers habités d’ogresses échevelées, de “jnouns” grouillant sous la terre, de bossus malveillants qui envahissant le hammam des femmes et ourdissent avec elles de sombres projets contre les hommes, leurs époux, violents, méprisants, qui ne voient en elles qu’objets de désir et garantie d’une descendance. Ces femmes qui, chacune à sa manière, tentent de tromper la mort, comme Shéhérazade qui la déroute en la faisant participer à la fête des sens à laquelle elle se livre dans ses contes. Ruse au-dessus de toutes les ruses : Shéhérazade rachète chaque nuit, par son habileté, un jour de sa vie. Le roi déchu, blasé, aigri, castré, se remet à “brûler”, renaît au désir et au plaisir par la seule magie des mots, par la force de l’imaginaire.

Mort vaincue, certes. Mais qu’en est-il de l’amour ? Eh bien, l’amour n’a pas lieu. Et nos rêves ne ressemblent pas à ces contes. 

Nos premières amours platoniques d’adolescents, nous les réinventons éruptives éternelles passions dans le secret de notre imagination. Puis, le temps passant, se tissent les premières histoires, se vivent les premières détresses dans lesquelles plongent ce qu’on appelle les “chagrins d’amour”, formule insipide. Et pourtant, une fois estompé le désarroi de ce qui se vit comme un deuil, on en redemande. Toute notre vie, il sera question d’amour. Comme si seul l’amour nous donnait véritablement sens, véritablement chair, véritablement lieu. Il nous envahit d’un bonheur enivrant et nous nous sentons soudain plus beaux, délicieusement légers, merveilleusement vivants. Mais il y a ces amours interdites, cachées, qui, elles, s’achèvent sur des drames irréparables dans une société comme la nôtre où des familles en sont encore à choisir l’époux ou l’épouse de leurs enfants. Des drames irréparables parce qu’ils détruisent le rêve que nous portons tous en nous. L’amour n’est plus une option. C’est une hérésie. J’ai connu, il y a quelques années, deux jeunes gens qui vivaient, chacun, une histoire passionnelle avec une femme divorcée. Une femme plus âgée qu’eux et chez qui ils aimaient à se réfugier. L’une d’elle était divorcée, avec des enfants, et son amant, un ami, me disait qu’il aimerait passer sa vie avec cette femme. Ses yeux brillaient quand il parlait d’elle, puis s’obscurcissaient soudain. Il savait impossible ce rêve parce qu’on l’empêcherait de le vivre. 

Leur destin est rompu à leurs trente ans quand leurs parents, qui n’étaient pas dupes, les ont contraints à se marier avec des filles qu’ils ne connaissaient pas. Ils ont fait le deuil de l’amour et l’on aura peut-être à dire un jour qu’“ils vécurent malheureux et eurent beaucoup d’enfants”. Tragique, aussi, le désespoir dans lequel ces mariages soudains, qui leur ont arraché les hommes qu’elles aimaient, ont plongé les amantes abandonnées. Alors, l’amour ? La plus belle, la plus brûlante et persistante de nos aspirations… Étranglée sous certains cieux.

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