Mamoun Lahbabi Amour, quand tu nous tiens !

Et de dix, pour Mamoun Lahbabi ! Avec son nouveau roman, "L'épreuve de la passion", ce professeur universitaire confirme une fois de plus son talent d'écrivain. Résignation, coup de foudre et résilience sont les ingrédients de cette histoire d'amour à la saveur aigre-douce.

Pourquoi la femme est-elle encore une fois au centre de votre roman ?

Mamoun Lahbabi :Est-ce que vous m’auriez posé la question si cela avait été l’homme ? Je ne le crois pas ! J’écris sur le genre humain. La rencontre peut être celle d’une femme ou d’un homme. Peu m’im-porte. La littérature, pour moi, n’est pas sexuée. Cela interpelle parce que nous vivons dans une société misogyne. Pour transcen-der cette dernière, il n’y a pas mieux que de parler du genre humain, qui peut être autant masculin que féminin, ou même androgyne. Et puis, il y a quelque chose d’essentiel à savoir : je ne peux pas aborder un personnage si je n’en suis pas amoureux. J’aime profondé-ment Lamia, l’héroïne de mon roman. C’est ce qui me permet de me rapprocher d’elle, de l’imaginer, de la décrire, de ressentir ce qu’elle-même éprouve… Cette passion est une condition sine qua non pour aborder les personnages de mes romans.

 Racontez-nous l’histoire de Lamia ?

C’est une femme très particulière. Elle a vécu des moments assez douloureux dans sa vie. D’abord, elle a perdu sa mère très tôt. Son père s’est ensuite remarié et elle n’était pas du tout aimée par sa belle-mère. Ce sont ses premières souffrances… Pour se débar-rasser d’elle, son père la marie à un homme deux fois plus âgé qu’elle. Youssef est élé-gant, beau, certes, il est riche, mais elle ne l’aime pas. Lamia est aussi une femme émi-nemment résignée. Blessée, elle accepte cependant sa condition parce que ce n’est pas toujours facile de se rebeller. Elle en arrive à devenir étrangère à sa propre vie, jusqu’au jour où elle rencontre un homme venu d’ailleurs. C’est le coup de foudre. Mais malgré cette passion extraordinaire, elle va mettre du temps à s’émanciper. Elle était même prête à renoncer à cet amour et ce n’est que lorsque son mari la trahit et se moque d’elle qu’elle décide enfin de vivre cette his-toire jusqu’au bout. Elle met beaucoup de temps à opérer sa rupture parce qu’elle était profondément résignée et subissait le poids des valeurs sociales.

Quelle relation entretient l’héroïne avec son entourage ?

Lamia a une relation très particulière avec ses enfants. Son fils, qui appartient à la jeune génération, transgresse la morale parce qu’il a envie qu’elle soit heureuse. Il respecte son choix de quitter son père et comprend que c’est la vie de sa maman qui est engagée, et non la sienne. La relation de la mère avec sa fille est tout aussi intense. Elle est sym-bolisée par le rituel de lissage des cheveux. C’est avec les autres femmes qui évoluent dans le même microcosme que Lamia que les choses se passent mal. On ne l’aime pas tellement parce qu’elle ne partage pas les mêmes commérages, ni les mêmes intri-gues. Elle a aussi la particularité d’être très belle. C’est une rousse aux yeux verts ma-gnifiques, ce qui suscite forcément quelques petites jalousies. Mais vous savez, celles qui n’apprécient pas Lamia sont elles-mêmes en perpétuelle compétition. C’est l’image clas-sique de ce type de microsociétés.

Le portrait que vous dressez de la haute société casablancaise n’est-il pas exagéré ?

je pense qu’on est un peuple comme tous les autres. Ce n’est pas une histoire de société casablancaise puisque ce genre de situa-tion peut avoir lieu un peu partout dans le monde. Vous avez des microsociétés de bourgeois, de gens riches et de parvenus où vous allez avoir exactement les mêmes attitudes. Mondanités et petits flirts ca-chés deviennent des scènes de vie tout à fait banales. 

Ce qui est loin d’être banal, c’est cette impression de suivre en filigrane l’histoire du Maroc moderne…

Jean Cocteau disait une très belle phrase : “Que vous peigniez une nature morte ou un paysage, vous faites toujours votre portrait.”J’ai beau ima-giner une fiction, je raconte par la métaphore, directement ou indirectement, ma propre vie. Vous savez, quand un auteur conçoit son ro-man, il raconte une histoire, et est raconté par la sienne. Quelque part, je partage mes vies, mais par des détours.

 Printemps arabe oblige, votre roman met en avant l’intérêt de la jeunesse. Mais pensez-vous que celle issue de la société casablancaise dorée se sente réellement concernée par ces changements ?

Là, vous êtes dans le cliché, parce qu’il ne s’agit pas d’une entité homogène ! Si vous prenez dix personnes de ce que vous appe-lez la jeunesse dorée, vous allez avoir des gens intelligents qui s’intéressent à ce qui se passe dans le monde et qui ont des idées, et d’autres qui n’en ont pas. De toutes les manières, cette époque appartient aux 18-20 ans. Vous savez, ce ne sont pas les vieux qui changent le monde. C’est leur avenir qui est hypothéqué et ce sont eux qui aspi-rent à changer le cours du monde.

Notre jeunesse paraissait pourtant bien résignée auparavant…Pas tellement !

Il faut remettre tout ça dans son contexte. A mon avis, la plus grande révolution du 21èmesiècle est Fa-cebook. Communiquer avec un milliard d’individus en instantané devient un jeu d’enfant. C’est totalement inédit ! Cela ne s’est jamais vu dans l’humanité. C’est ce qui donne la possibilité aux jeunes d’être ce qu’ils sont aujourd’hui. Avec Facebook, vous leur donnez la possibilité de dire ce qu’ils veulent. Chacun est un journaliste et détient l’information et le pouvoir de la divulguer. Ça fait inévitablement éclore des énergies considérables.

“Il faut aimer la vie et ne pas se contenter de la survie”. Est-ce la morale de l’histoire ?

Elle peut l’être. Il y a autant de façons d’abor-der la vie que d’individus. On peut choisir de survivre, de végéter ou de vivre. Mais ce dernier choix est très dur puisqu’il nous oblige à affronter des obstacles, à renoncer à nos préjugés, à remodeler notre culture et à nous départir d’une part de nous-mêmes. Tout ça demande beaucoup d’énergie. Il faut se battre et poursuivre sur un chemin de douleur, mais c’est tellement plus intéres-sant que de se laisser aller à l’insignifiance de la survie. Le confort est soporifique. La peine est à mon avis beaucoup plus produc-tive de bonheur que la facilité. â—†

 

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